Une caricature de Michael Addler dans le Totonto Star. Dans 12 ans mon fils en aura 17 et quel est exactement le monde que je vais lui laisser ? Je peux dire qu'il adore les animaux marins plus que tout et me pose d'incessantes questions de biologie marine. J’essaie de guider mes enfants dans un monde incertain et je sais que je ne suis pas le seul. Mon père était professeur d'écologie, de biologie et un amoureux de l'environnement. Ce qu'il m'enseignait sur les saisons n'est déjà plus adapté aux réalités de 2019. Récemment, l’article « Un enfant sur fond de fin du monde » anime les discussions. On reproche à la mère d’être alarmiste, de transmettre son anxiété ou alors on salue la résilience devant le prochain grand péril pour la planète. L’article est ici : plus.lapresse.ca/screens/8c78fc35-b0b6-46ea-a095-72d494a08365__7C___0.html Je suis un peu ailleurs sur cette question… J’enseigne aux enfants que la nécessité est la mère de l’innovation. Qu’au-delà de la « résilience » (concept qui suppose que l’on garde la même forme) il faudra faire preuve de « croissance post-traumatique » et innover pour changer le monde. Je garde le sentiment que c’est plus simple de réussir quand on n’a pas le choix. Et encore, ce n’est pas une garantie de succès parce que toutes les relations sont le produit de plusieurs interactions. J’écris « plus simple » et pas « plus facile ». L’humanité se tiendra très bientôt au bout d’une corde et on pourra se la passer au cou ou se tirer vers le haut. Alarmiste ou non, on pourrait faire changement et errer un peu du côté de la précaution par rapport à l'environnement. Encore faut-il être pleinement conscient de la situation, de son importance et des actions à prendre. Surtout quand c’est difficile et que tu es battu jusque dans ton dernier retranchement. Un peu comme le grimpeur Karl Prusik La légende raconte que Prusik (un alpiniste) s'est retrouvé confronté au décès de son partenaire en pleine ascension. Le pauvre est demeuré coincé à flanc de montagne, incapable de remonter la corde d’escalade qui est alors trop petite. C’est donc la fin pour lui, car la seule avenue est d'attendre une mort certaine. Au bout de tout, il va alors défaire ses lacets pour inventer un nœud autobloquant (qui se serre en cas de chute) ce qui va lui permettre de remonter le long de la corde. Si je comprends bien, le nœud se serre lorsqu’on met du poids dessus et est plus lousse quand on enlève la pression. Glissant ses pieds dans les boucles du lacet, Prusik remonta la corde mètre après mètre pour retrouver la sécurité. Une innovation qui sauva l’alpiniste et changea la confection des nœuds dans le domaine. C’est également un exemple de remontée spectaculaire vers la lumière alors que tout est perdu[1]. Mais encore faut-il que le grimpeur soit pleinement conscient du danger. Mon sentiment d'horreur au sortir de l'été L’humanité au grand complet est au bord de la chute. La seule véritable urgence planétaire est celle du réchauffement climatique et, selon les experts dans le domaine, l’humanité dispose de 12 ans pour faire des changements majeurs dans la consommation énergétique. C’est exactement comme une guerre mondiale dans laquelle il faut embarquer toutes les nations contre un ennemi commun (ce qui veut dire la Chine, l’Inde et également le Moyen-Orient) [2]. Il faudra également provoquer une prise de conscience collective majeure et rapide. On devra le faire par l’éducation, par les choix individuels et surtout un changement global par rapport à l’approvisionnement énergétique en limitant drastiquement l’utilisation des combustibles fossiles. Un peu comme tente de le faire le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques) : « Les scientifiques s’efforcent de créer une prise de conscience collective, seule finalité positive »[3]. Nous sommes, comme Prusik, au bout d’une corde et seul un effort d’innovation et d’imagination peut nous sortir de cette situation. Mais il faut prendre mesure du péril. Les médias de masse Alors que le mois de juillet est le mois le plus chaud jamais mesuré dans le monde, j’entends une météorologue qui affirme « qu’on est bien chanceux parce que ça été le plus beau mois de juillet depuis plus de 100 ans ». On est bien chanceux. Le plus beau mois. J’ai l’impression de revoir cette scène du film La Liste de Schindler dans laquelle un juif affiche sa joie de retrouver les autres dans un ghetto. Quelques scènes avant les camps de la mort. Dans une émission radio du « retour à la maison », des personnalités publiques m’expliquent qu’il faut éviter de tout dire directement aux enfants parce qu’on peut provoquer une déprime et de l’anxiété. La fameuse écoanxiété ou la « dépression verte ». Les rapports sont publics, tout comme les données scientifiques. Mes enfants vont me poser des questions avant longtemps sur notre responsabilité dans la situation. Il est difficile de mesurer l'impact des activités humaines, mais on peut certainement faire mieux. Mon plus petit est parfois triste parce que le nombre de mammifères s’amenuise et je ne lui cache absolument rien. Je lui explique avec douceur et bienveillance que les animaux du globe sont en grand péril. Qu’est-ce qu’il répond ? « On va en parler à tout le monde et on va sauver les animaux! » Si on veut préserver le monde, je garde le sentiment qu’il faudra le faire avec les yeux ouverts. C’est un effort colossal que l’humanité devra déployer pour pondre un nœud de Prusik. 12 ans avant de faire des dommages irréversibles à la planète, c’est pratiquement comme 5 minutes. Nous sommes bien à 5 minutes d’assister au début de la fin du monde. 5 minutes avant le début de la fin du monde, il se consomme encore de l’eau embouteillée, alors que les premières guerres pour le contrôle des plans d’eau sont une possibilité croissante. 5 minutes avant le début de la fin du monde, les météorologues de TVA Nouvelles se félicitent du beau temps de juillet. 5 minutes avant le début de la fin du monde et l’important c’est de savoir ce que je pense de la crise d’adolescence de Céline Dion. Est-ce sa première ? Sa deuxième ? Est-ce que sa robe est indécente ? Qu’en dirait René ? 5 minutes avant le début de la fin du monde, on veut me faire croire que la menace terroriste est celle de l’Islam et est liée aux migrants. Depuis 10 ans, aux États-Unis les extrémistes de droites ont fait trois fois plus de victimes que les djihadistes. Voir ici : http://plus.lapresse.ca/screens/e6d70eff-2f76-4863-aa3c-acc7aac1b701__7C___0.html?utm_medium=Facebook&utm_campaign=Microsite+Share&utm_content=Screen&fbclid=IwAR3GNI1IrcEhicyoLGKqJcWQq2GwcV9Q09C-ERgfRMQTT8VL9jK6akGhN8w 5 minutes avant le début de la fin du monde, la priorité est de lutter pour repousser des immigrants (surtout le 3% de musulmans dans la population) parce que mon mode de vie serait en péril. J'ai le choix d'être identitaire ou multiculturaliste. Voici quelques faits sur cette question épineuse: www.sciencepresse.qc.ca/actualite/detecteur-rumeurs/2017/04/19/7-mythes-musulmans-quebec 5 minutes avant le début de la fin du monde, l’important c’est le pH de la piscine, de trouver le confort pendant la canicule, d’attendre ta douce à l’air climatisé dans un véhicule. 5 minutes avant le début de la fin du monde, on ridiculise la jeune militante Greta Thunberg pour toutes les raisons possibles. Plutôt que de faire la part de choses, les politiciens la qualifient d’alarmiste ou alors on commente son apparence. Voir « Je regrette, Greta » http://plus.lapresse.ca/screens/b3eb63c6-4a4f-4864-820c-6e926ac86f32__7C___0.html?utm_medium=Facebook&utm_campaign=Microsite+Share&utm_content=Screen&fbclid=IwAR2bWjBI7Fkmilii3d-avFeSf0eNN3Yvs9_y3SB66PiREQSLJ-PW8F4uYT0 5 minutes avant la fin du monde, il ne faudrait pas que la situation me déprime trop. L’important est de ne pas exposer les faits aux enfants. Quand parler du réchauffement climatique devient de la partisanerie parce que Maxime Bernier doute des changements climatiques, mais pas d’une infiltration islamiste[4]… J’ai hâte de retrouver les étudiants et les étudiantes parce qu’il faut un sérieux changement de mentalité. On faisait des enfants pendant la Deuxième Guerre mondiale et on en fera encore sur fond de fin du monde. L’important est de s’engager consciemment dans cette lutte. Le 27 septembre prochain, c’est un jour de grève pour la planète. Je vais sans doute être dans les rues quelque part avec une affiche sur laquelle il y aura des animaux marins. Toujours dans l’espoir que l’on ne se réveille pas 5 minutes trop tard. [1] Cette anecdote me vient du film de Lars Von Trier « Nyphomaniac volume 2 ». Dans une pénible séquence portant sur le sadomasochisme, les personnages discutent de la confection de nœud. [2] L'entrevue de Bernie Sanders avec Joe Rogan expose une perspective similaire ici: www.youtube.com/watch?v=2O-iLk1G_ng [3] Voir le site : https://www.fournisseur-energie.com/giec/ et quelques données sur les changements climatiques. Mieux encore : une courte recherche sur les derniers rapports du GIEC devrait permettre de trouver beaucoup d’informations utiles. [4] https://www.lesoleil.com/actualite/politique/parler-du-rechauffement-climatique-pourrait-etre-considere-comme-partisan-284b90752bae066b945998b07b57cdfc
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Je ne traverse rien de très difficile et je suis privilégié. Il y a des gens qui vivent des moments réellement difficiles. Comme un proche qui combat dignement le cancer ou cette étudiante qui reprenait les études l’année après le suicide de son enfant. Je suis donc chanceux et confortable. Je rencontre des personnes qui donneraient tout pour avoir une infime partie de mes conditions de vie. Des gens qui se dépassent. Dans la vie il faut tester nos limites : par l’art, ce que l’on donne aux autres, par notre présence morale et également par le fait d’exister dans son corps. J’ai un travail intellectuel et il me semble approprié de me mesurer dans ma zone la plus lointaine : par le mouvement. Il faut dire que 2019 est une année intense. À l’approche de mes 40 ans, au lieu de la fuite ou du laisser-aller vers un « dad body », j’ai décidé de relever quelques défis. Faire des actes de folies comme ceci : -Autopublier un livre puis le soumettre à un éditeur (je suis en attente de réponse). -Être meilleur dans ma présence pour mes étudiants et étudiantes. -Me marier (pour l’instant elle dit « oui »). -Courir la plus longue distance de ma vie à travers une montagne et 30 obstacles. Il est possible que le ciel me tombe sur la tête, que je ne sois pas un grand sociologue, que ce soit ma dernière course, que les étudiants se foutent de ma gueule et que ma promise me brise le cœur. Le risque n’est d’aucune importance. Il faut vivre au moins une fois avant la fin. Comment trouver la motivation J’aime garder en tête quelques moments difficiles. La mort de mon père et des lourdes pertes financières, une enfance pendant laquelle j’ai traversé le cycle de l’intimidation dans un milieu anti-intellectuel, le souvenir d’une relation amoureuse toxique et autodestructrice et le fait que j’ai refusé pendant longtemps de me diriger vers l’enseignement par sabotage personnel. C’est grâce à cette noirceur et aux mauvais souvenirs que je vais de l’avant. À partir d’un point tu es capable d’avancer juste parce que tu as traversé bien pire. Un épisode J’ai brisé mon dos autour de 2011. Un jour un médecin m’a dit qu’il était improbable que je « marche normalement de nouveau un jour » il a ajouté « je recommande l’abandon de toutes activités physiques intenses ». En gros, tout choc, même la course, pouvait endommager mon dos pour de bon. À mon pire : je perds le contrôle de mes jambes, du bas de mon corps et on me recommande une canne pour marcher. J’ai refusé. Fuck him. J’ai cogné à toutes les portes. Après des semaines j’ai trouvé un autre spécialiste de la santé avec d’autres conseils. Après des déboires amoureux et sans argent, j’ai été forcé de retourner vivre chez ma mère pour ma sécurité (avec l’abandon d’une part de ma dignité). Je garde alors l’impression sérieuse que les dieux tentent de me tuer. J’ai réappris à marcher dans le sous-sol de chez ma mère en pleurant comme un enfant. J’ai réappris à courir. Puis à soulever doucement des poids, puis intensément. Ensuite j’ai découvert la callisthénie (une forme douce de gymnastique) et je suis tombé en amour avec ce type de mouvement. Je suis allé trop loin dans ma discipline quitte à négocier plusieurs échecs. Puis j’ai rencontré la femme de ma vie, je suis devenu professeur, j’ai fait la paix avec la plupart de mes démons. Je me suis inscrit à une course à obstacles réputée difficile, j’ai dominé. Fuck them all. La différence entre le bonheur et la souffrance est relativement mince. Sur la route Je relève des défis comme des courses à obstacles juste parce que je suis en vie et que c’est un privilège. Aujourd’hui, j’ai deux enfants qui me regardent pour savoir ce qu’est un adulte et un certain type d'homme. Dans les premières leçons pour mes enfants, il y a la culture de l’effort et le respect des blessures. Tu peux tout avoir, mais pas tout en même temps. Et il faut bien comprendre le prix à payer. Ce que cette course de 21 km en montagne me demande ? Le prix à payer était lourd parce que j’ai plusieurs obligations. Je ne cours pas bien, je n’aime pas courir et l’hiver est glacial. Je suis un peu lourd (210 lb) et je n’ai pas le « format du coureur ». Dans un film d’horreur, je suis le personnage qui marche derrière ceux qui courent. Pour l’entraînement, je me suis acheté des crampons (12$) et il était commun que le visage me gèle et que je revienne de la course avec de la glace dans la barbe et plusieurs chutes. -J’ai brisé une corde à danser en passant à travers le cuir à force de l’user. -Je me suis fait voler un sac de poids que je trainais avec moi au coin d’une rue.
-Je me suis blessé plusieurs fois pendant l’entrainement et me suis fait de multiples ampoules douloureuses (malgré de la prévention). En janvier dernier, je suis capable de courir 15 minutes et après je suis un peu à bout. Mon cardio est mauvais et je suis lent. Je cours chaque semaine, après un entraînement musculaire (souvent avant que les enfants se lèvent donc entre 5h00 et 7h00 le matin). J’ajoute 2 à 5 minutes de course par séance. En février, je cours 30 minutes, en mars 45 minutes puis en avril je cours 10 km en moins d’une heure. En mai, je m’entraîne le matin et le soir (comme un détenu) et je fais quelques 10 à 15 km de course. En juin, les responsabilités familiales me rattrapent un peu. Je me retrouve un peu déstabilisé le jour de la course sur le flanc du mont Owl’s head. Des crampes, des douleurs, plus de 30 obstacles avec beaucoup de réussite et des gens plus forts et plus faibles que moi. Tu cours avec tes démons sur ton dos et la montagne est petite comparativement à tout le reste. Je me demande toujours si c’est cet obstacle qui va me battre et je suis curieux d’y retourner. La plupart du temps les difficultés ne m’impressionnent pas. Plus c’est difficile et plus je suis souriant… 8 heures plus tard, j’ai ma médaille pour la course et le cœur qui sait que la vie au complet est une analogie. Je sais que les dieux vont me tester encore. On ne choisit pas les difficultés, mais notre réponse aux obstacles. Je vais échouer ou je vais réussir et ce n’est pas important. « Find what you love and let it kill you» Vers dans le style de Bukowski. « Some people never go crazy, what horrible lives they must live. » -Some people never go crazy, Charles Bukowski J’adore la poésie pour trouver de la motivation. Il existe de bons jeunes poètes d’ici (je recommande la lecture de Véronique Grenier). Cet été, je m’efforce de lire des classiques comme les textes de Laferrière, un immigrant qui porte notre culture à travers le monde. Quand vient le temps de me motiver cependant, rien n’égale jamais le poète Charles Bukowski. J’ai bien tenté de trouver et de lire quelques traductions, mais c’est généralement vraiment moins bon que l’original. Dans cette période d’intolérance sur les médias sociaux, je me permets de partager quelques extraits de l’œuvre du poète Charles Bukowski. Juste du beau. People are not good to each other People are not good to each other People are not good to each other Perhaps if they were Our deaths would not be so sad Extrait tiré du poème The crunch. J’en récite en classe, certains poèmes sont collés sur les murs de mon bureau pour ne pas me perdre. C’est une source de motivation intarissable pour moi. Peut-être que certains parmi vous y trouveront quelque chose? En voici un qui est directement lié à des thèmes du cours : Those who preach GOD. NEED GOD. Those who preach PEACE. NEED PEACE. […] Beware those quick to praise For they need praise in return Beware those quick to censure They are afraid of what they do not know […] They will attempt to destroy Anything That differs From their own Not being able To create art They will not Understand art -The genius of the crowd On pourrait en dire autant en 2019 sur « Ceux qui ne sont pas racistes… ». Un classique pour les cours de sociologie et la vie en en groupe. Ce poème livre un vibrant commentaire sur les paradoxes, les effets de groupe, ceux de la foule et sur la bêtise collective. Sur une note plus personnelle, le poème reste un classique pour moi : enseigner est un art et un acte de passion. Comme plusieurs dans ma profession, je garde souvent un sentiment d’incompréhension à travers les prestations et la création. What matters most is How well you Walk through the fire. -How is your heart? Pour cette étudiante, Miss D., je recommande « No leaders» (parfois appelé « No leaders please »). C’est une jeune femme parfois perdue et blessée qui se cherche, se reconstruit et découvre sa force. Il est presque impossible de ne pas tirer quelque chose des vers du poème. «Invent yourself and reinvent yourself Invent life. It is you. » En voici la lecture: Pour mon collègue, dont la mère est décédée récemment, je lis The laughing heart en pensant à toi. En hommage à ton courage pendant cette période, voici le poème en entier : The Laughing Heart Your life is your life don’t let it be clubbed into dank submission. be on the watch. there are ways out. there is light somewhere. it may not be much light but it beats the darkness. be on the watch. the gods will offer you chances. know them. take them. you can’t beat death but you can beat death in life, sometimes. and the more often you learn to do it, the more light there will be. your life is your life. know it while you have it. you are marvelous the gods wait to delight in you. Pour celles et ceux avec la fibre environnementale, «Dinausauria, We» n’a jamais été d’une si grande actualité. Je mets quiconque au défi de lire ce poème sans faire des liens avec le contexte actuel, le manque de vision et le peu de conscience aux questions environnementales. À quelques jours d’une course à obstacles difficile, il est parfois utile de me relire les vers suivants : Unless the sun inside of you is Burning your guts out, Don’t do it. -Do you want to enter the arena? Je termine sur la finale de mon préféré «Roll the dice » dans une version que j’aime encore mieux que celle que j’avais sous la main. Do it,
All the way, All the way, You will ride death straight to hell, Your perfect laughter, The only good fight now. -Roll the dice Source : ESSENTIAL BUKOWSKI, Selected and edited by Abel Debritto, HarperCollins publisher, 2016, 225 pages Pour la diversité corporelle ! Cette semaine je présente des capsules qui sont des histoires racontées sur les ondes de CIAX 98,3 la radio communautaire de Windsor. Le tout est en collaboration avec l'organisme Arrimage Estrie. Je fais la lecture de deux capsules et je présente également la copie des textes plus bas. La première histoire est très intime et s'intitule "Vulnérable". Elle explique un combat personnel que j'ai mené pendant plusieurs années. La deuxième "15 semaines" explique certains défis liés à l'image corporelle des étudiantes dans le cadre de mon travail. Pour celles et ceux qui s'intéressent à l'ensemble du projet, voici un lien soundcloud vers toutes les capsules. soundcloud.com/user-267622571/sets/chroniques-arrimage-estrie?fbclid=IwAR2r567H2bYYIvZU8vaVJF4vafmhbAC_eWw6iy5ibIxaXiz09764H996xJY Vulnérable 15 semaines Vulnérable Un jour j’ai pris une décision : ne plus jamais me sentir vulnérable. J’avais le coeur brisé parce que mon père est mort tout près de moi. Il était diminué et l’ombre de tout ce qu’il avait été. Papa méprisait la faiblesse, surtout la mienne. C’était un homme grand, conforme à l’idée de la virilité, solide et très fort. Il était comme une tempête qui gronde et qui va sans peur. Souvent stoïque, fier et mélancolique, on pouvait toujours reposer sur lui. Un jour l’impossible est arrivé, je l’ai vu se faire dévorer par le cancer. J’aurais voulu le sauver, être assez fort pour repousser la mort, j’aurais pris sa place. Mais il est mort. Son corps froid s’est dispersé et j’ai marqué ce jour d’une décision : celle de dépasser toutes mes limites et de ne jamais me plaindre. Pour me sentir en contrôle, fort et invincible. Si je deviens la mort, elle ne pourra pas m’atteindre. J’ai creusé en moi pour trouver la force sans réaliser que je creusais un trou. Je m’entraine tous les jours. Je cours, je saute, je tire, je pousse, je rage, je programme ma vie, je prends le contrôle, je souffre volontairement et mon corps en porte de plus en plus les marques. Et ça marche. Ma graisse fond et mes muscles sont saillants. Mon père serait en admiration silencieuse, je ressemble à tout ce qu’il aimait. Mon entourage est fier de moi, je ne me laisse pas abattre dans le deuil, je me « prends en main ». Je descends de plus en plus en moi pour trouver la force, le trou est plus profond. Où il faudrait ralentir, j’accélère. Je me crois le reflet de la faiblesse des autres, de leur manque de contrôle. Plus de dessert pour moi, juste des légumes verts, je contrôle mes portions, mes calories et mes efforts. Rigueur, régime, protéines, miroir et démesure lors des entraînements. Je laisse ma peine derrière et je veux traverser de l’autre côté du miroir pour revenir au monde. Je sprint, je fonce, je soulève des charges impossibles pendant de longues heures. Rien ne pourra me faire plus mal que moi-même. Papa aurait peur de mes excès. Cette idée me fait sourire. Je ne suis pas vulnérable, je suis capable d’en prendre. Ma peine est maintenant un souvenir flou. Je me lève avant le soleil et me couche après lui. La lumière ne me touche plus, mon armure est complète. Ma vie est un tunnel entre deux points : le moi d’avant et le nouveau. Tout le monde me demande c’est quoi mon truc. Personne ne sait que la faim me réveille la nuit. On me complimente, on me respecte. Je pèse 50 livres de moins qu’à ses funérailles. J’ai l’impression d’être taillé dans le roc. On me dit que j’ai la force de mon père. Personne ne sait que je porte un mort sur mon dos. Je voulais prendre sa place et je le fais. Est-ce que mon tunnel va vers la lumière ou les profondeurs ? Papa serait stoïque de peine. La mort c’est moi. Plus on m’admire, plus je me déteste. C’est au moment où l’on me complimente le plus que je suis le plus mal de toute ma vie. Je sus l’image de la réussite de l’odeur de la mort. J’ai dévoré ce qui me dévorait. J’ai cannibalisé mon deuil. J’avais besoin d’aide et pas d’encouragements. J’avais besoin d’écoute et pas de regards. Aujourd’hui cette histoire est derrière moi. Bien plus tard, j’ai réalisé que pour être fort, il faut être vulnérable. Il faut s’accepter d’abord et se battre ensuite. Je fais le choix de me respecter et d’être fort pour les miens. Être est plus important que d’avoir l’air. Tu peux être vulnérable et invincible, c’est ça être humain. J’ai découvert tout ça et aussi l’organisme Arrimage Estrie. Chez Arrimage Estrie tu peux parler de toi et découvrir ce que sont la bigorexie, l’entraînement excessif, l’anorexie, l’orthorexie pour développer un rapport sain à ton corps. Tu es le bienvenu. Tu peux être toi-même. Tu peux te rétablir. Fort ou faible, on t’accepte dans toutes tes formes. Arrimage Estrie est un organisme d’action communautaire autonome qui favorise le développement d’une image corporelle positive dans la collectivité en plus d’accompagner les personnes touchées par un trouble du comportement alimentaire ou une préoccupation envers leur corps, leur poids ou leur apparence. 15 semaines 15 semaines, ça passe vite. C’est le temps qu’il faut pour que se termine une session au cégep. Je suis professeur. Je fais la rencontre de Julie, une étudiante gentille, intéressée et surtout pleine de potentiel. Je vois immédiatement son grand potentiel. Il me reste déjà peu de temps pour lui donner une idée de ses forces et de la pousser un peu. Je suis plein d’espoirs : en sciences, en politique, en athlétisme, peu importe ce qu’elle va choisir, je sais qu’elle va réussir. Mon but est de l’attirer vers sa propre lumière, de la tirer vers le haut, de finalement disparaître et de la laisser prendre son envol. Mais il y a un obstacle entre moi et Julie. Un mur. Julie se trouve ronde, elle est honteuse de son corps. Plutôt que son potentiel, elle voit ses bourrelets, son trop-plein et elle se compare à d’autres. Qui sont les autres? Des modèles fabriqués par des empires publicitaires ou bien des jeunes femmes de son âge avec des corps bien différents du sien. Pis après? Elle intervient moins en classe. Comme pour cacher le trop-plein de son corps, elle me cache son esprit. Elle ne veut pas que je la remarque, ne veut pas déranger. Elle est concentrée sur une diète, préoccupée par sa taille et elle obsède à l’idée de nos regards posés sur elle. Julie ne se préoccupe pas de tout ce qu’elle apprend et de toutes les portes que mes cours lui ouvrent. Je tente de la rejoindre, mais je la perds. Calorie par calorie, lecture par lecture, discussion par discussion, pesée après pesée, elle devient moins que ce qu’elle était. C’est paradoxal, moins elle participe et moins elle performe. Je crois qu’elle fait les mauvais choix. Les semaines passent et je la confronte. Elle a un regard blessé. Elle m’explique qu’elle attend. Elle ne le dit pas comme ça, mais je comprends que la Julie de maintenant se voit comme une transition. Elle attend de se sentir belle, elle sera bien quand son corps sera transformé, plus tard, dans quelques semaines, dans quelques kilos, quand elle sera quelqu’un d’autre. Plus tard, elle sera confiante. Plus tard, elle donnera son opinion. Quand elle sera assez. Elle pourra alors faire les bons choix : se concentrer sur ses études et même trouver quelqu’un qui la traite bien dans sa vie amoureuse. LIENS COMPLÉMENTAIRES
Arrimage Estrie arrimageestrie.com/ ANEB Québec (Anorexie et Boulimie) anebquebec.com/ Le silence de la fin d'année
Après un silence de plusieurs semaines, je propose un programme double aux gens qui suivent le blogue. Voici donc un bref article sur ma fin de session, des commentaires sur le livre et un épisode de podcast avec « Mes conseils pour la route » qui revient sur mon mot de la fin en classe (le podcast suivra dans les prochains jours). Le lien vers le podcast se trouve tout en bas de cet article et sera disponible d’ici quelques jours. Pour ce petit billet, les gens qui aiment rigoler vont sans doute apprécier le dernier segment en bas de cette page (les commentaires épiques sur le manuel). Une autre session de terminée. Je viens de ramasser mon dernier examen final, je tombe maintenant en mode « monastique » et je me lance à l’attaque de mes piles de corrections. Un travail isolé et solitaire, une relation très particulière avec les étudiants et les étudiantes. Chaque année je laisse des groupes et je laisse partir des jeunes. Chaque année je pleure un peu. J’ai choisi ce travail justement parce que je reste un oiseau de passage et que je laisse partir les étudiantes et étudiants en fin de session. Ce type de relation est parfait selon moi : on se rencontre dans un cadre clair, les raisons des rencontres sont déterminées et on doit viser une finalité et une conclusion. Enseigner, c’est vivre et mourir chaque année. Il y a des bonnes séances, des difficiles et des moments de maladresse, mais dans l’ensemble c’est le travail qui me convient le mieux. J’essaie d’être, pour mes groupes, la personne que j’avais besoin de rencontrer quand j’avais 18 ans (une version plus sobre). C’est un défi, mais dans l’ensemble je crois que c’est une réussite. Cette années, deux ou trois étudiantes étaient plus clairement en situation de détresse et de désespoir. Elles me disent que j'ai fait une différence dans leur vie par de l'écoute, des échanges et des commentaires. Faire face au désespoir des jeunes est quelque chose d'important pour moi et j'en suis présentement à tenter de tirer des leçons des questions qui me sont le plus souvent posées. Il n'y a rien de plus touchant qu'une étudiante qui écrit "Tu me sauves la vie". C'est le genre de commentaire qui me coupe le souffle pendant quelques jours. Mon silence des dernières semaines s’explique également par des débats difficiles dans l'espace public. Plutôt que de participer à des jugements, je préfère me concentrer sur des éléments positifs autour de moi. Je vais revenir sur cette question dans le podcast. En attendant, voici quelques commentaires de la part des étudiantes et étudiants sur mes écrits. Pour en finir avec la B.S. En fin de session, j’ai proposé aux étudiantes et aux étudiants d’écrire à propos du manuel et de courir la chance de voir les commentaires sur une prochaine édition. Avant de me tourner vers une démarche d’édition officielle, il était important pour moi que mes lecteurs (qui sont une clientèle captive) puissent livrer toutes les critiques et les commentaires sur l’ouvrage. De manière anonyme, j’ai ramassé une centaine de fiches sur le livre. Dans l’ensemble, c’est très positif et pour tout ça je dis merci! Avec la capsule vidéo, j’ai reçu beaucoup d’amour et de témoignages, c’est très touchant. J’ai demandé aux lecteurs d’identifier des lacunes ou des erreurs fondamentales dans l’ouvrage. Il est possible que quelque chose d’important m’échappe. Comme je m’amuse souvent de l’anxiété en classe, certains élèves en profitent pour retourner mon rapport à l'anxiété contre moi. Voici le commentaire que j’ai jugé le plus amusant à cet égard : « Le livre comporte une énorme erreur, cette dernière est majeure et fondamentale… Cette erreur c’est » (L’espace sur la copie est laissé vide !) La très forte majorité veut cependant laisser un commentaire un peu à l’image des apprentissages et du côté ludique qui vient avec le cours. Je vais tenter d’en faire figurer certains au dos du livre lors de la prochaine édition. Alors en rafale, voici les commentaires épiques sur le livre. « Un livre qui donne le goût de lire! (presque) » « J’aurai vraiment dû le lire, ça l’air très cool » « Un livre pour les gens qui détestent lire » « À lire si t’es game » « Un livre avec une couverture souple, mais un auteur rigide » « Mon commentaire est au dos du manuel (pis pas le tien). » « Un manuel mince qui peut rejoindre le plus épais des étudiants » « LIS-LE ET TAIS-TOI. La raison est simple : si tu parles en lisant tu ne comprendras rien » « Aussi délicieux que de manger du chocolat » « Le guide du kung-fu de la sociologie » « Mary Poppins serait choquée par ce livre (fuck yes!) » « J’ai tellement aimé ce livre que j’ai presque tout lu » « Ce livre est à la littérature ce que l’application Tinder est à l’Internet » Je vais maintenant mesurer ce que je peux inscrire ou non au dos du livre. Dans tous les cas la cohorte 2019 de techniques d’éducation spécialisée était vraiment stimulante. Lien vers le dernier podcast : Épisode 6 "Des conseils pour la route" www.lacatabase.com/podcast.html Préparer un nouveau cours : de la folie Voici une parenthèse pour répondre à une question commune (le texte sur le crime se trouve plus bas). Une étudiante me demandait « comment il faut de temps pour préparer un cours? » Peu de gens le savent, mais préparer un nouveau cours c’est un peu de la folie. Je viens de terminer mes préparations pour deux séances d’un cours qui s’intitule « Crime et société » (un hommage à Crime et châtiment). Pour préparer un cours de trois heures, il me faut 9 heures de préparations actives (donc de rédaction, de note, de PowerPoint, pour valider des faits, etc.) Et pour 9 heures de préparation, il me faut environ trois fois plus de lecture (soit environ 27 heures de lecture). Donc 3 heures en classe + 9 heures de préparation + 27 heures de lecture donnent un total de 39 heures pour un cours. Oui, je peux sauver du temps quand c’est un cours que j’ai donné dans le passé ou encore un cours directement en lien avec mes études (mes lectures se font plus rapidement). Par contre je suis incapable de présenter quelque chose que je trouve ennuyant… Alors mes recherches durent parfois longtemps. Le plus ironique ? Il est possible que j’ennuie les étudiantes et les étudiants ! J’adore ce travail, mais c’est le genre de travail qui donne souvent l’impression de prêcher dans le désert. Cette semaine je vais répondre à une question liée à un thème du cours. Pourquoi les organisations criminelles émergent, quels sont les mythes qu’elles font circuler à leur sujet et qu’est-ce qui attire les personnalités vers un groupe criminel ? Quel est l’attrait pour les organisations criminelles à part l’appât du gain ? 1. Le besoin d'appartenance ( la famille de procuration) Idéal pour les jeunes hommes rejetés ou provenant d’un milieu difficile, les organisations criminelles jouent le rôle de famille de procuration. La mafia et les Vor proposent des rituels élaborés qui font en sorte que les nouveaux membres fusionnent avec l’organisation et ont l’impression de renaître dans les rangs de l’organisation criminelle. 2. Le besoin d’une progression claire dans une hiérarchie Le groupe criminalisé répond souvent à un besoin fort des jeunes hommes de trouver une place claire et définie. En gros, c’est le contraire d’une partie du système scolaire qui tente d’aplanir la compétition ouverte, donne peu de rétroaction honnête en offrant un but souvent fragile aux étudiants et étudiantes. Dans l’organisation criminelle, la rétroaction est immédiate, les échelons sont clairs et l’objectif nourrit immédiatement le besoin de reconnaissance. 3. L'acceptation de l’agressivité et de la violence Que dire sinon que ce point est une extension explicite du dernier argument ? Les comportements et attitudes qui sont rejetés par la société (ou canaliser dans l’armée et les services de police) sont acceptés et valorisés dans les rangs des organisations criminelles. Le jeune homme violent peut donc trouver preneur pour sa capacité à manifester des comportements violents. 4. Le besoin d’exprimer le non-conformisme Les organisations criminelles sont une forme d’État dans l’État. C’est un sous-groupe qui est un monde pour l’expression d’un non-conformisme extrême. Notre culture apprécie le succès sous toutes ses formes ce qui inclut la célébrité et la gloire. Le criminel notoire Mom Boucher a été chaudement applaudi dans un gala de boxe au Québec, les séries télévisées présentent une tonne de criminels « à la mode » et ainsi de suite. S’afficher « en dehors » et « au-dessus » de la loi par le succès et la force est un attrait majeur des organisations criminelles. Les mythes que le crime organisé entretient L’organisation criminelle : 1. N’agresse que d’autres membres en règle. La population québécoise aime faire circuler cette croyance, surtout à propos des motards criminalisés. La guerre des motards est le meilleur exemple, elle devait durer trois semaines et se dérouler seulement entre membres en règle. Elle dura 8 ans, fit 165 morts, 181 blessés et 20 victimes innocentes. Parmi les victimes innocentes se trouve un enfant. 2. Comporte des membres qui sont tous loyaux. Toutes les organisations criminelles comptent un nombre de délateurs et un historique avec des épisodes de trahisons. 3. Ne commet pas des crimes « immoraux ou illégitimes ». Si c’est parfois vrai lors de la fondation, avec le temps l’organisation criminelle touche à pratiquement tous les marchés disponibles : drogues, prostitutions et une variété de trafics. 5- Font preuve d’un esprit chevaleresque. Belle publicité qui laisse croire que l’organisation a des origines et des pratiques romantiques. Pourtant il faut dire ce qui est : disparition de cadavres, démembrement et les Hells sont allés jusqu’à un attentat sur le journaliste Michel Auger qui s’est fait tirer 6 balles dans le dos en 2006. 6- Ne « te dérange pas si tu ne les déranges pas» Seulement vrai si c’est dans leur intérêt immédiat. Plus réalistement, ils ne feront rien de stupide pour nuire à l’organisation (contrairement aux criminels désorganisés). Ce mythe ne tient pas la route avec les épisodes d’expansion, de conflit et surtout devant les nouvelles formes des organisations criminelles (spécialement l’alliance entre les gangs de rue et les grands groupes criminels). En complément : un bref regard sur deux autres organisations criminelles. Le Yakusa et les Vor Rappel de l’article précédent : les organisations criminelles émergent à cause d’une combinaison de facteurs qui relèvent du contexte social, géographique, politique, culturel et surtout lorsqu’un État nécessite les services d’un groupe criminel. Voyons en rafale le cas du Yakuza et des Vor y Zacone : Le Yakusa Organisation criminelle japonaise, le Yekusa est en fait trois mots (« Ya » ,« ku » et « za ») qui représentent la combinaison 8-9-3 dans un jeu de cartes traditionnel. Cette combinaison était qualifiée « d’inutile », un peu comme quelque chose que l’on jette. Comme dans n’importe quel jeu, cette combinaison colle, revient et on ne s’en débarrasse pas si facilement. Qui pourrait porter avec fierté ce qualificatif? Inutile comme les 500,000 samouraïs désœuvrés après la fin d’une guerre civile. Beaucoup de bandits profitèrent des changements de régime et du désordre. Graduellement, l’ouverture et la modernisation du Japon a mis de côté des guerriers avec une vie de violence. Le Yakusa aime prétendre qu’il est un produit direct des bons samouraïs qui mettaient de l’ordre sur le territoire. L’idée romantique de descendre du guerrier errant. Plus vraisemblablement, ils sont le produit du banditisme et des ex-samouraïs recyclés en chefs de gang. Ici comme ailleurs, le gouvernement sollicita l’aide du Yakuza pour : maintenir l’ordre dans certaines régions, pour l’organisation générale de grands chantiers dans certaines régions, pour assurer des prêts à la population, pour le recouvrement de dettes et plusieurs autres services. De manière illégitime ce sera également, avec le temps, un réseau de prostitution et du trafic humain. L’organisation a été directement impliquée dans des efforts de guerre pendant la Deuxième Guerre mondiale. La coopération entre les autorités du Japon et l’organisation criminelle va si loin que jusqu’à récemment, le Yakuza pouvait ouvrir des commerces en affichant ouvertement son logo. Le recouvrement de dettes est une chose très longue dans le droit japonais et les services du Yakuza sont encore utilisés pour un recouvrement plus rapide et efficace. Les Vor y zakone « Les voleurs dans la loi » Dès 1917 l’organisation prolifère à travers la Russie. Les Vor prolifèrent dans les camps de travail (les goulags russes) et vivent uniquement des activités criminelles. Ce qui est le plus étonnant de l’organisation est qu’elle est très souple. Ce groupe criminel existe sans pyramide hiérarchique ferme comme la mafia ou les Hells Angels. Il existe des tas de petites « familles » indépendantes les unes des autres qui coopèrent selon les besoins. Les Vor sont devenus de plus en plus puissants à travers la longue débâcle du régime stalinien. Le « régime parallèle » est devenu si important pour fournir la population et certains membres du gouvernement qu’il s’est répandu à travers l’Europe et est pratiquement indélogeable. Il est clair que les autorités reposaient sur l’organisation criminelle à travers les camps et les pénuries dans la population. En résumé Comme mentionné en classe, les organisations criminelles répondent avec force au fameux principe qui dit que « la nature a horreur du vide ». Ici ce serait plutôt que l’organisation criminelle raffole des vides de l’État, des pénuries, des jeunes en manquent de reconnaissance et de certains contextes culturels. L’idéal du succès prôné dans notre culture prend parfois la route de l’illégalité. Pour aller plus loin
Je recommande chaudement la liste sous la première partie de l’article ici : www.lacatabase.com/blogue/sur-le-crime-organise Voir aussi : Collectif, Le livre noir des Hells Angels, Les éditions du journal, 2017, Montréal, 341 pages. Partie-1 : Genèse des organisations criminelles.Oh ironie ! L’État québécois qui est poursuivi par les Hells Angels pour un total de 89 millions de dollars. Notre État n’est pas outillé pour traiter massivement toutes les preuves contre une organisation criminelle et les délais sont beaucoup trop longs. Résultats : les présumés Hells peuvent alléguer être des victimes de « détentions illégales, d’accusations mal fondées et de détentions abusives ». Quel cirque! À lire ici : www.journaldemontreal.com/2019/03/18/un-proche-des-hells-reclame-4-millions-a-letat-quebecois Pourquoi cette situation nous arrive ? Attendre trop longtemps permet à un groupe criminel de s’infiltrer partout, de gagner en puissance et d’être pratiquement impossible à déloger. Je m’intéresse aux organisations criminelles dans le cadre d’un nouveau cours au Cégep de Granby. Je tente de résoudre des mystères comme celui des organisations criminelles. Quelles sont les raisons qui font émerger une organisation criminelle ? Voici une partie de mes notes qui expliquent les raisons derrière l’émergence des organisations criminelles. 1-Le vide laissé par un État désorganisé. 2-Le renforcement d’une prédisposition dans le cadre normatif ambiant. 3-Une culture qui favorise l’indépendance et l’agressivité. 4-Un besoin fort d’une place dans la hiérarchie sociale pour les jeunes hommes. 5-Les demandes d’une population pour des produits ou services illicites (légitimes ou non). J’explique au tout début de la session qu’une société sans criminalité est impossible. En sociologie, nous affirmons que le crime a une fonction sociale, une utilité pour le groupe. Cette idée provient d’un des pères fondateurs de la discipline, Émile Durkheim (dans un formidable texte qui se trouve sous « Pour aller plus loin » en bas de ce billet). En résumé, le crime peut faire évoluer une société, particulièrement la question des droits civiques et de ce que l’on juge moral ou non. On comprend bien que c’est le cas de la liberté d’expression et également celui de Socrate (le sage philosophe condamné à mort à cause de ses prises de parole qui troublait les dirigeants). Mais quelles fonctions peut bien avoir une organisation criminelle ? Voici la définition tirée a même le site de la Gendarmerie royale du Canada. C’est une définition de base, mais elle aide à mieux comprendre de quoi nous parlons. Un autre père fondateur de la sociologie, Max Weber, écrivait qu’un État est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la violence sur un territoire donné »[1] (p.22,l.9) C’est beaucoup plus intéressant pour débuter les réflexions sur le crime organisé. En fait, les cyniques peuvent postuler que la seule différence entre le crime organisé et un État est l’aspect légitime du contrôle de la violence sur un territoire. Un État bien organisé ne permet pas aux organisations criminelles d’émerger puisqu’il y a peu d’espace pour des pouvoirs illégitimes sur le territoire. Le problème que je constate, c’est qu’historiquement il y a pratiquement toujours des contextes qui font en sorte que les organisations criminelles s’enracinent sur les territoires. Autrement dit, une organisation criminelle remplace l’État quand ce dernier ne joue pas son rôle. Pire, il peut arriver que des États renforcent des organisations criminelles en ayant besoin de leurs services. C’est le cas de l’Italie avec la Mafia, du Japon avec le Yakuza, de la Chine avec les Triades, de la Russie avec les Vory y Zakone (les Vors) et de plusieurs autres. Dans tous les cas mentionnés ici, les entités politiques ont formulé des demandes auprès des organisations criminelles. Cet échange de services ou cette entente tacite est le terreau de toutes les organisations criminalisées. Donc un État désorganisé est un facteur essentiel pour voir naître une organisation criminelle. Mais il faut plus, il faut un contexte culturel qui permet à l’organisation criminelle de devenir légitime aux yeux de la population. Le fameux cas de la mafia italienne La mafia sicilienne, pratiquement la matrice (le modèle) pour toutes les autres organisations criminelles, provient d’un contexte culturel spécifique. La Sicile, au sud de l’Italie, est divisée en régions montagneuses avec des difficultés de communication entre les régions. En 1600, les terres sont divisées entre des barons qui entrent parfois en conflit les uns avec les autres. Il était commun de mobiliser des criminels violents pour arbitrer et maîtriser des conflits. Les plus influents étaient surnommés « des parrains » car ils se positionnaient au-dessus de certains conflits pour pouvoir arbitrer. On les utilise pour leur contact, leur ressource, leur débrouillardise et l’aisance avec laquelle ils emploient la force. Avec une forte influence régionale, être un mafieux c’est avant tout être « régionaliste » avant tout. C’est quelqu’un qui porte une tradition locale et qui apporte ordre et de nombreux services. Le terme désigne également quelqu’un de prompt, de querelleur et parfois de violent (c’est un peu comme si la Sicile de l’époque regorgeait de personnage comme Séraphin Poudrier, un mafieux calme, mais un mafieux quand même). Un parrain est donc une sorte de Séraphin, mais sur les stéroïdes. Quand les Espagnols tentèrent de prendre le contrôle du territoire, ils ont eu grand besoin des services des criminels organisés pour maintenir l’ordre et comprendre l’organisation du territoire. On assiste donc à l’organisation d’une société sans État clair qui mélange les pouvoirs des aristocrates, de la police, de l’Église et des criminels. La Sicile était le terrain parfait par le mélange des facteurs géographiques, de la culture traditionnelle, de l’esprit régionaliste et des nécessités politiques d’alors. Méfiants des empires, les Siciliens préfèrent s’en remettre aux organisations locales, aux « parrains ». On constitue donc une forme d’anti-État en parallèle des organisations locales. Ce sont donc, à l’origine, des services de règlement des conflits, de logement, des conseils, de l’accès à l’emploi, de la protection. On se protège des autres régions, des autorités espagnoles, des étrangers et des aristocrates qui abusent de leur pouvoir. Le parrain a des hommes à sa solde qui s’assurent que tout se passe bien. On paie pour la protection parce que ce sont des gens de notre région qui protègent et assurent un ordre (le fameux « monopole de la violence »). Au début… Puis avec le temps, on dénonce ceux qui agissent sans payer la taxe puis on paie sinon quelqu’un vient saccager notre commerce. Qui vient saccager ? Les hommes du parrain. Et où aller pour dénoncer ? Il est trop tard, l’organisation est partout. Mieux vaut la joindre que la combattre. Même les États-Unis, pour la gestion des immigrants en Nouvelle-Orléans demandaient aux membres de la mafia d’organiser les chantiers de travail, de trouver des logements, de les ordonner (les garder dociles) et surtout de voter pour le bon parti lors des élections. On est alors à la fin 1800 et c’est le lieu de naissance de la Cosa Nostra en sol américain. C’était « donnant-donnant » pendant un temps… Et ensuite, quand l’État veut reprendre le contrôle de son territoire, les tentacules des organisations criminelles sont partout et il est très difficile de purger les systèmes économiques, politiques et l’organisation sociale. L’État découvre qu’il est incapable de poursuivre adéquatement les organisations criminelles sans des changements majeurs dans ses appareils politiques, judiciaires, étatiques et policiers. Un peu comme notre gouvernement cette semaine avec la poursuite à 89 millions de dollars de nos anges de l’enfer. La suite bientôt! [1] P.22,l.9, WEBER, Max, Le savant et le politique, 1919, Paris: Union Générale d’Éditions, 1963, 186 pages. Collection: Le Monde en 10-18. POUR ALLER PLUS LOIN
DURKHEIM, ÉMILE, Le crime, phénomène normal, en ligne : classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/crime_phenomene_normal/crime_phenomene_normal.html LUPO, SALVATORE, Histoire de la mafia des origines à nos jours, Flammarion, 1999, 395 pages SHANTY, FRANK, Mafia. Les plus grandes organisations criminelles du monde, H.F. Hullman, 2011, 351 pages. WEBER, MAX, Le savant et le politique, 1919, Paris: Union Générale d’Éditions, 1963, 186 pages. Collection: Le Monde en 10-18. En ligne : classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.html Mon employeur me permet l’opportunité de visiter, avec un groupe d’étudiants et d’étudiantes, la Vielle prison de Trois-Rivières. L’activité obtient le soutien de mon département et de la fondation du Cégep. Je suis donc privilégié en ce sens.
Je veux tenter de témoigner ici de l’intérêt derrière cette visite. Je peux énumérer les raisons historiques et sociologiques (c’est certain, elles entrent directement dans les visées de mes cours). Pour partager des moments avec une collègue (je suis accompagné par une collègue très cultivée qui tente de rattraper mon éducation pendant le trajet en autobus). Je peux blaguer et plaider la fuite de mes responsabilités familiales (sérieusement, je suis encore brûlé de cette mauvaise nuit). Je peux dire que c’est cool, parce que ce l’est. Sérieusement, tu peux enfin dire « je suis allé en prison, j’ai visité une prison ». C’est un contact avec les conditions de détentions des années 1970, ça date, mais la visite provoque de nombreuses prises de conscience pour qui a de l’empathie. Je recommande la visite bien sûr, pour l’aspect historique, mais je recommande plus expressément la visite-expérience pour l’expérience de groupe. Je me dirige doucement vers ma principale raison. En gros, c’est un groupe de maximum 25 personnes qui se prête à un jeu : on simule les conditions de détention de l’époque en étant accueilli par des gardiens (des comédiens). Entre chaque période de « théâtre » dans laquelle les gardiens mettent de la pression, brusquent le groupe, crient ou insultent se trouve un moment dans lequel un guide du musée (un ex-détenu ou un agent correctionnel) témoigne des réalités de détention de l’époque. Essentiellement, c’est ça la visite-expérience. Qu’est-ce que ça donne ? On peut comprendre théoriquement et faire acte d’imagination face aux descriptions historiques, mais rien n’est mieux pour s’imprégner de l’ambiance que d’être traité comme un prisonnier. Les gardiens sont froids, souvent indifférents ou témoignent de tout le mépris d’un système punitif fondé sur le redressement des esprits par la punition des corps. Ça fait 3 ans que j’organise cette activité et je ne regrette jamais. Il m’est impossible de choisir quelle année était la meilleure. La première année j’avais la surprise et le contact avec Réjean, un ex-détenu extrêmement humain et touchant. Il peut te parler de son temps, de ses erreurs, de ses douleurs, de la peur, des agressions, mais il le fait avec une humanité digne de Soljenitsyne. Réjean est revenu au monde à travers l’emprisonnement. Il est encore brisé, mais il rayonne d’amour et d’humanité pour chaque visiteur, pour sa petite fille (parce qu’il est « papi ») et surtout pour la jeunesse. Il met en garde contre les médias sociaux, il nous parle d’un de ses amis : le père de la petite Cédrika Provencher et de la tragédie. Il parle de comment il s’est reconstruit. Cette année j’ai eu le privilège de rencontrer Serge, un ancien agent correctionnel qui en sait long sur les échecs du système. Les cas lourds, les cas dangereux et surtout tous les obstacles pour une véritable réinsertion. Serge expose brutalement certains paradoxes : le public tolère les prisons, tout comme l’électorat, mais personne ne veut voir ouvrir des maisons de transitions. Comment réhabiliter? Il déplore autant les policiers trop acharnés sur certains détenus presque réhabilités que les individus perdus qui commettent le pire. La magie : l’effet sur le groupe Ce qui est le plus touchant pour moi c’est l’effet sur les petits. Oui, j’ose appeler des étudiantes et des étudiants de niveau collégial « des petits ». Parce que nous le devenons tous de l’autre côté des murs. Sous les regards de mépris, sous les cris, la pression, les portes qui claquent, dans une ambiance qui témoigne d’une histoire lourde de sens pour notre collectivité. Certains pleurent, il faut les isoler un peu, donner une pause et d’autres peuvent se mettre en colère. On est réduit en prison, même pendant moins de 24 heures. On est petit et on s’imagine facilement pouvoir se briser parce que l’humain est fragile et vulnérable. La prison et les gardiens peuvent posséder ton corps, mais que reste-t-il alors de ta personne ? Qui es-tu? Qu’est-ce qui est irréductible en toi? Qu’est-ce qu’on ne peut pas t’enlever? Qu’est-ce qu’on ne peut pas atteindre dans une personne ? Parce que si tu apprends à puiser dans cet espace, je crois que rien ne saura t’arrêter. Mais dans l’introspection il est probable de découvrir que l’on n’est pas une aussi bonne personne que ce que l’on croyait. Tu étais brave derrière ton clavier, toutes les fois que tu souhaitais la prison aux autres… Tu pensais que tu étais le prochain Nelson Mandela et pis finalement tu es juste un autre dude avec des daddy issues. Et que t’arrive-t-il en bien moins de 12 heures de détention ? Rêves-tu de dénoncer les autres ? De devenir un gardien ? De les punir ? De te venger ? De te mettre en position fœtale et de ramper jusqu’aux jupes maternelles? De serrer un autre contre ton cœur? De rire de la dernière du groupe qui se fait toujours traiter de « conne » par les gardiens? De hurler jusqu’à ce qu’on te punisse un peu plus fort ? Seul, dans ma cellule, je sais que les plus sensibles se posent inconsciemment ce genre de question. Chacun doit trouver sa force et oui, remonter vers la lumière ou basculer honteusement vers la noirceur. Pour une personne la lumière viendra des vers du poème Invictus, pour une autre les paroles d’une chanson, un autre se souvient de son tatouage, des paroles d’un proche ou d’un exemple historique. À travers les années, ce qui est le plus touchant pour moi sont les marques de solidarité que les « détenus » manifestent les uns envers les autres. C’est l’étudiante qui se place devant celle qui craque de plus en plus sous le regard des gardiens, c’est ce jeune homme qui prend la place d’une fille dans sa punition, c’est la main sur l’épaule d’une personne pour une autre sous les risées des gardiens. Et c’est aussi l’humanité du gardien, si maladroit, qui tente de passer parfois un message pour conscientiser les visiteurs aux responsabilités collectives de chacun. Chaque fois que je suis témoin du dépassement d’une personne pour les autres, je suis profondément touché. Quelle joie pour moi de voir que dans cette petite étudiante frêle et timide se trouve un géant d’humanité prêt à couvrir les autres. Que derrière la façade du jeune homme brutal se cache une personne tendre et touchante capable de rassurer les autres. Pendant toute la session, tu es minuscule en classe, parfois insignifiante et pendant un moment tu es plus lumineuse qu’une étoile pour les autres. Voici donc ce qu'est la principale raison de faire la visite en groupe. Pour des moments comme ceux-là. Un lien vers le site du Musée de la culture populaire museepop.ca/vieille-prison/visite-experience-en-prison Le premier cours est essentiel, il faut moins de 5 minutes pour faire une forte impression et gagner le respect de toute la classe (ou le perdre). Cette année je me suis présenté avec un poème que je récite par coeur. Je circule à travers les bureaux, je récite et souvent à la fin j'abats mon poing sur un bureau (est-ce conforme à la dernière réforme pédagogique?). L'idée est de tuer l'ennui. Pas question de lire tout de suite le plan de cours et de s'endormir ensemble. L'idée est de mettre le feu au coeur et dans les esprits. Les étudiantes et étudiants me demandent le poème alors le voici: Roll the dice (Charles Bukowski) Si tu essaies, va jusqu’au bout. Sinon ne commence même pas. Si tu essaies, va jusqu’au bout. Ça peut vouloir dire perdre des petites amies, des femmes, des proches, des jobs et peut-être ton esprit. Va jusqu’au bout. Ça peut vouloir dire ne pas manger pendant trois ou quatre jours. Ça peut vouloir dire geler sur un banc de parc. Ça peut signifier la prison. Ça peut vouloir dire la dérision, la moquerie, l’isolement. L’isolement est un cadeau. Tous les autres sont un test de ton endurance, jusqu’à quel point tu veux vraiment le faire. Et tu le feras. Malgré le rejet et les pires circonstances. Et ce sera mieux que tout ce que tu pourrais imaginer. Si tu essaies, va jusqu’au bout. Il n’y a aucune autre sensation comparable à celle-là. Tu seras seul avec les dieux et les nuits s’enflammeront. Fais-le, fais-le, fais-le. Jusqu’au bout, jusqu’au bout. Tu chevaucheras la vie jusqu’au rire parfait, c’est le seul bon combat qui existe. _______________________________________________________ Un hommage vidéo ici: www.youtube.com/watch?v=k6_QUhUPrF4 La version originale anglaise: ROLL THE DICE (Charles Bukowski) If you’re going to try, go all the way. Otherwise, don’t even start. If you’re going to try, go all the way. This could mean losing girlfriends, wives, relatives, jobs and maybe your mind. go all the way. It could mean not eating for 3 or 4 days. It could mean freezing on a park bench. it could mean jail, it could mean derision, mockery,isolation. Isolation is the gift, all the others are a test of your endurance, of how much you really want to do it. And you’ll do it despite rejection and the worst odds and it will be better than anything else you can imagine. If you’re going to try, go all the way. there is no other feeling like that. you will be alone with the gods and the nights will flame with fire. Do it, do it, do it. do it. all the way all the way. You will ride life straight to perfect laughter, Its the only good fight there is. SOLJÉNITSYNE, Alexandre, L’archipel du goulag, Version abrégée inédite, Fayard, [1973], [2010 pour la version abrégée], 2014 en français, 900 p. Au-delà de la résilience, je poursuis mon exploration de l’antifragilité sous toutes ses formes[1]. Après la lecture de l’ouvrage Des hommes ordinaires de Browning, il était nécessaire pour moi de plonger encore dans les paradoxes des horreurs de l’humanité[2]. J’ai la conviction qu’il faut explorer l’humanité des bourreaux et des victimes pour comprendre la noirceur en soi avant de juger celle des autres. Les récits de guerre et de prison sont donc précieux à ce titre. J’avais L’archipel du goulag dans ma liste de lecture. Je recommande immédiatement la lecture de ce chef-d’œuvre d’humanité. On peut lire cet ouvrage de plusieurs manières. Je me suis concentré sur l’élévation de l’âme humaine à travers les écrits et non les caractéristiques du régime et de l’ambiance autoritaires. Pour les lecteurs intéressés, voici quelques passages marquants et quelques-unes de mes remarques. Un goulag est un camp de travail forcé en Union soviétique. Sous la dictature de Staline, les camps étaient utilisés pour enfermés et faire travailler jusqu’à la mort des prisonniers, des criminels, des dissidents politiques, des opposants au régime, des suspects, des proches des suspects, des gens qui faisaient le mauvais commentaire au mauvais moment, les critiques du régime, des hommes, des femmes et des enfants. Il arrivait même qu’après un discours de Staline, les premières personnes qui arrêtaient d’applaudir soient sous arrêt, car on pouvait les accuser d’antipatriotisme ! Il arrivait donc que la foule prolonge les applaudissements jusqu’à ce que les douleurs aux mains provoquent des pleurs. Les aînés, à bout de souffle, perdaient parfois connaissance plutôt que de cesser d’applaudir. Le régime dictatorial a même fait enfermer des soldats de leur propre armée sous prétexte que le contact avec les ennemis les avait souillés. Des dénonciations et des procès ridicules qui se soldent par des 10, 15, 25 ans de peine en direction des camps de travail. Le nombre de prisonniers de ce régime est inconnu, mais on suspecte quelques 10 à 18 millions de prisonniers et une quantité impressionnante de morts. Les goulags existèrent environ de 1920 jusqu’à la fermeture du dernier en 1991 (les informations sont variables sur le sujet). Le régime soviétique garda beaucoup d’informations cachées et aucun grand procès comme ceux de Nuremberg après la Deuxième Guerre mondiale ne fit la lumière sur les massacres des camps. Je n’ai connaissance d’aucune punition réelle pour les responsables du régime. « Non, il n’en est pas ainsi! Pour faire le mal, l’homme doit auparavant le reconnaître comme un bien, ou comme un acte reconnu logique et compris comme tel. Telle est, par bonheur, la nature de l’homme qu’il lui faut chercher à justifier ses actes. »[3] ( p.128, l.5) Soljénitsyne explore ici l’âme des tortionnaires, comme il le fera souvent dans son ouvrage. La déshumanisation des prisonniers, leur réduction et le fait de reconnaître le mal en bien sont nécessaires pour que les tortionnaires puissent infliger des souffrances aux prisonniers. Ses réflexions sur l’âme humaine me hantent encore chaque jour. Comme ceci : « La scélératesse, semble-t-il, est elle aussi une grandeur à « seuil ». Oui, toute sa vie, l’homme hésite, se débat entre le bien et le mal, glisse, tombe, regrimpe, se repent, s’aveugle à nouveau, mais tant qu’il n’a pas franchi le seuil de la scélératesse, il a toujours la possibilité de revenir en arrière, il reste dans les limites de notre espoir. Mais quand il en franchit soudain le seuil, par la densité de ses mauvaises actions, leur degré, ou par le caractère absolu du pouvoir qu’il exerce, il s’exclut de l’humanité. Et peut-être sans retour ». (p.132,l.20) [4] La folie du régime fit en sorte qu’il était « moins dangereux […] de garder chez soi de la dynamite que d’héberger sous Staline l’orphelin d’un ennemi du peuple; pourtant, bien des enfants dans cette situation ont été recueillis et sauvés. » (p.106,l.13). L’ouvrage est donc une exploration de l’ombre et de la lumière qui se retrouve dans chaque personne. Le contexte stalinien fait ressortir les extrêmes de comportement. Pourquoi pleurer ? Parce que les écrits de Soljenitsyne nous font faire une profonde introspection. Je me suis questionné sur mon compas moral, ma capacité à faire le bien ou le mal et surtout le rôle joué par une personne comme sous pareille dictature. Suis-je un prisonnier ? Un mouchard ? Un tortionnaire ou un collaborateur ? Certains contextes peuvent nous laisser exprimer une nature profonde qui est très désagréable. En ce sens l’archipel du goulag propose une exploration de l’humain à travers les horreurs d’un régime autoritaire. La quatrième partie de l’ouvrage « L’âme et les barbelés » m’a littéralement tiré toutes les larmes de mon corps. J’ai rarement été aussi troublé par des écrits. Un chapitre s’intitule « Élévation… » et un autre « …ou bien dépravation ? ». À partir de ce point, tout ce qu’écrit Soljénitsyne est de l’or. Comme prisonnier de camp, il a fait une vaste méditation sur sa vie, une introspection profonde qu’il livre dans la quatrième partie. On découvre que les suicides sont une rareté dans les camps. « Mais calamité n’est pas ruine. Il faut la surmonter. » ( p.587,l.1) Il s’interroge, comme quelqu’un qui est allé à l’extrémité de la douleur humaine, sur l’impératif de survivre à tout prix. « Qui fait ce serment, qui ne cille pas aux flammes rouges sang, celui-là a placé son malheur au-dessus du bien commun, au-delà de l’univers entier. C’est la grande bifurcation de la vie au camp. De là partent deux routes, l’une à droite, l’autre à gauche. La première s’élève peu à peu, la seconde rampe et descend. À droite tu perds ta vie, à gauche ta conscience. » (p.585,l.1) Dans un pays sous le joug des tyrans, avec une population qui collabore à l’organisation des camps et qui est hostile aux prisonniers… L’auteur explique qu’ « on ne peut pas libérer celui qui n’a pas libéré son âme. »[5]. Dans sa vaste introspection, Soljénitsyne repasse sur l’entièreté de sa vie au crible, sur tous ses écarts et ses fautes pour trouver la rédemption. Il condamne ses excès de cruauté, de joie et perçoit avec clarté ses erreurs de jugement. Il se repentit devant sa conscience. « Ne te réjouis pas d’un gain, ne te désole pas d’une perte » (p.591,l.1) « Rien ne favorise autant l’éveil de l’esprit de compréhension que les réflexions lancinantes sur nos propres crimes, nos ratages et nos erreurs. » (p.595,l.25) La captivité peut donc transformer en bien : être moins catégorique, fonder son jugement sur la douceur et la compréhension. En mesurant sa propre faiblesse, on comprend celle d’autrui pour pardonner et ne pas déshumaniser. J’arrête sur cette phrase de l’ouvrage qui est une forme de souhait pour l’humanité : « Si on ne peut pas purger le mal du monde, on peut le réduire en chaque homme ». -Alexandre Soljénitsyne [1] Voir Nassim Taleb et mes considérations ici : respecterlesblessures.html [2] Voir mon texte sur « Des hommes ordinaires » ici : hommesordinaires.html [3] J’ai pris des notes à partir de l’édition suivante : SOLJÉNITSYNE, Alexandre, L’Archipel du goulag, Éditions du seuil, [1973], 1974, 446 pages. [4] Ibid. [5] Ibid. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Mars 2024
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