« Avec mon look de barre de savon, aussi blanc qu'Ed Sheeran sur un cycle de stéroïdes lors d'une exploration polaire » J’ai passé une soirée unique dans le quartier gai à Montréal. Guidé par un ami, un ancien étudiant, qui est non seulement intéressant, mais très compétent en termes de « culture gai ». Mon exploration terrain avait d’abord pour but de trouver une activité potentielle pour remplacer la « visite-expérience » à la vieille prison de Trois-Rivières, mais également de tout simplement observer in situ les interactions au sein de la sous-culture. Notre plan de soirée allait comme suit : se nourrir, prendre quelques verres dans des établissements et clore avec un spectacle de drags ou auprès de travailleurs du sexe. Le plus loin où je suis à l’aise à accompagner un groupe d’étudiants, ce serait un spectacle de drag-queens. Pour ma part, tant que je suis en sécurité et lucide, je suis prêt à m’aventurer relativement loin au pays des merveilles. Sur cette base, voici mon compte-rendu de mes quelques heures de ce que j’ai surnommé avec affection la « gaiventure ». Avertissements 1 – Bien que je surnomme cette incursion la « gaiventure », ceci est strictement humoristique. Mon travail est notamment d’enseigner l’ouverture aux autres et la tolérance, mais je me contre-fiche sincèrement de ce que les autres personnes font de leur intimité. À moins que l’on me courtise éhontément ou m’agresse, les pratiques, croyances ou orientations des autres ne sont jamais une barrière pour l’identité et les interactions. Les déviances sexuelles, les travailleuses et travailleurs du sexe, la marginalité constituent un "petit mardi" dans un cours de sociologie. 2- Je présume qu’il y a autant de manières de vivre son homosexualité que d’homosexuels. Le but n’est pas ici de « réduire l’homosexualité », mais bien de tenter d’identifier des faits marquants propres à la culture de ce quartier (en quelques heures). 2- Sur la question des identités et des biais d’observation, je suis un cisgenre très blanc et très classique. Malgré mes meilleurs efforts, ma présence tend à agiter l’environnement et mon orientation sexuelle est rarement un mystère. Je vais faire de mon mieux pour ne pas ressortir comme un gars qui porte un « turtle neck à manches longues » dans un camp de nudistes. 3- Mon but était de noter des observations sociologiques sur les différences entre la culture ambiante (la norme) et la sous-culture du village gai. Comme j’ai grandi dans un milieu traditionnel cisgenre, j’ai confiance que les différences vont ressortir à plein. Étape 1 : Le souper Rien de spécial, nous soupons dans un restaurant. Deux hommes ensemble et tout est adéquat. Nous sommes un peu nerveux, car dans notre hiver de printemps, nous tombons sur une journée « normale », c’est-à-dire froide et la foule ne semble pas être abondante. Étape 2 : Le premier établissement « Le choc de la typologie » Un charmant petit bar avec du monde sans que l’on étouffe. Je tente d’y aller de discrétion, mais je suis remarqué un peu malgré mes efforts. Le personnel est professionnel et je note une abondance d’hommes barbus. La pilosité est forte ici et mon look de « bar de savon » détonne un peu. Des types ordinaires et charmants et certains décochent des regards plus insistants, mais sans plus. Mon ego intervient alors : « Pourquoi j’ai l’impression de perdre un concours dont je ne comprends pas les règles? » Mon complice m’explique alors le premier des faits qui m’étaient inconnus (je suis ce que mon fils appelle un « noob en culture gai »). Moi, tout ce que je sais, c’est la différence entre « top » et « bottom » (sans même traîner mon dictionnaire anglais-français!). Mon complice m’explique la typologie des hommes gais. Mon ami serait un « bear » (un homme en chair et velu). Il serait plus du type « buff-bear » parce qu’il passe visiblement du temps au gym. L’établissement est donc un lieu de rencontre pour les « ours » qui composent la majorité de la clientèle. L’idée me semble sympathique et efficace, on sait ce que l’on cherche et ce que l’on veut, « to each is own », comme disent les Américains. Il existe une variété de physiques et de préférences, je vais laisser un lien dans les notes pour les gens intéressés à la typologie. Plus tard dans la soirée, je croise des hommes torses nus au bar, ce qui me trouble. Je me concentre sur mon verre et me réfugie dans un souvenir heureux. Jamais en février, dans un établissement « straight » me prendrait l’idée de me dévêtir ou d’imaginer quelqu’un torse nu. Ici c’est possible et des clients témoignent de l’affection en torse. Dans l’ensemble les gens sont décontractés, accueillants, rieurs, la soirée est agréable. Pourquoi je me sens aussi bien ? Étape -2 : Nous enchaînons avec un bar plus commercial et branché. Enfin j’ai ma vengeance. Ne dit-on pas qu’il faut être prudent avec nos souhaits? Je ne comprends pas grand-chose de la typologie du milieu, mais ici j’attire beaucoup plus les regards. Après le « bear », c’est le tour d’exploiter mon look de « foxy boy » blanc comme Ed Sheeran sur un cycle de stéroïdes lors d’une expédition polaire. Sauf qu’ici c’est plus chaud qu’en montagne. Plus de clients, du personnel avec le torse exposé (ma fixation du jour) et des constats qui vont saisir mon imaginaire.
La frontière finale (le bar de danseurs) Dernier arrêt, l’établissement pour adultes avertis. Je suis toujours perplexe à mettre les pieds dans ce genre de lieu. Est-ce que je participe à l’exploitation des travailleurs du sexe en m’y présentant ? Me répétant « À Rome, on fait comme les Romains » (en excluant les saunas) je décide de terminer la soirée devant ce spectacle. Plusieurs faits vont me surprendre ici : les travailleurs du sexe viennent discuter avec nous et sont ouvertement intéressés quand nous expliquons que je fais des observations sociologiques. On nous offre certainement des danses (après tout, les travailleurs sont au travail), mais la cordialité dépasse de loin mes attentes. Certains feront même des révélations percutantes : notamment que beaucoup de femmes sortent dans le Village parce qu’elles s’y sentent plus facilement en sécurité… Paradoxe parce que je trouve le même genre de confort, même si la violence ne m’impressionne pas le moins du monde. Je dois admettre qu’il serait très difficile « d’achaler une femme » dans ce genre de lieu, alors on aborde différemment et les gens sont généralement plus polis. Comme espace qui abrite une sous-culture, le village offre donc des espaces alternatifs même aux hétérosexuels. Ceci est donc une belle découverte! Fait intéressant: c’est un des buts explicites du quartier que d’offrir un espace inclusif, respectueux dans lequel l’équité est importante. Pour ma part, c’est un succès. Une seule fausse note dans ces moments d’échanges très ouverts et dans ces lieux où les règles ne sont pas les mêmes: l'abondance de flirt, l’ouverture sur les corps, les genres et les manières de séduire se paient à un certain prix. L’impression demeure: trouver du plaisir est relativement facile, mais que de trouver et garder l’amour l’est beaucoup moins. On nage ici dans l’abondance, l’acceptation et les tentations. « On peut toujours trouver mieux » résume bien le sentiment. Sources
Le site officiel du Village https://www.villagemontreal.ca/ Sur la typologie des hommes gais https://www.maylwear.com/blogs/news/gay-men-which-type-are-you
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Des mois de silence et cette grande distance qui sépare des autres. Traverser des périodes d’isolement permet parfois de retrouver ce qui est fondamental. Cet état est une tension permanente entre deux pôles qui semblent souvent irréconciliables. D’une part il y a l’amour des autres, la gentillesse, la bienveillance, les contacts avec l’humanité sous toutes ses formes par l’aspect unique et précieux de chaque personne. Être un humain, insignifiant et fragile, « un singe presque glabre qui flotte à la dérive sur un caillou dans l’espace ». Par l’humilité et la contemplation de nos défauts et nos fautes, l’exploration des limites fragiles sont des choses importantes qui facilitent l’amour des autres. L’autre côté est que l'amour est difficile quand on constate la presqu'indifférence aux souffrances éloignées, l’intérêt pour les choses vaines, viles, superficielles et les conversations vides qui constituent un ensemble repoussant. Un reportage de plus sur le golf et le beau temps, la longue file de voitures en février pour le lave-auto, l’impatience de beaucoup devant des employés très jeunes et la préoccupation de bien peu pour les populations de la bande de Gaza. Comment ne pas trouver tout cela détestable ? L’équilibre souhaité entre l’amour bienveillant et la colère sourde qui gronde s'échappe en quelques instants. Une réponse se trouve en deux endroits : tout d’abord dans une amitié et chez le philosophe-empereur Marc Aurèle. Devant ce grand niveau de souffrance à l’égard des autres, un ami m’a simplement dit « Il y a des choses que tu peux accepter dans la vie et pas dans ta vie ». Ce raisonnement est la première moitié d’une grande réalisation. Ceci permet de garder l’amour et la volonté de comprendre avec profondeur et des nuances variées les autres. De trouver l’humanité et le beau, même derrière les épisodes les plus noirs, sans jamais oublier l’autre moitié du raisonnement. « Pas dans ta vie » signifie le respect de nos propres limites, un peu comme la frontière entre l’empathie et la sympathie. Comprendre profondément sans basculer est un équilibre difficile. L’intimité est un espace sacré qu’il faut préserver. La sagesse de ce raisonnement saute aux yeux. La limite qui se trouve ici est que la réponse garde partiellement dans un état de souffrance. Il est difficile de se pardonner l’éloignement et surtout le fait que, fort souvent, les actions et croyances des gens dans l'intimité affectent beaucoup plus que ce que l'on voudrait. Pour dépasser ce mal-être considérable, une autre étincelle divine se trouve dans cette formidable phrase : « C’est le drame de la vie de Marc Aurèle. Il aime les hommes et veut les aimer, mais il déteste ce qu’ils aiment. » (p.310,l.25). C’est donc cette tension permanente entre le devoir de l’amour des hommes et celui de ne pas se laisser entraîner dans de fausses valeurs, les illusions, la médisance, dans les envies vides. Ceci est donc comme une épiphanie :
-Toujours viser la compréhension sincère et profonde. -Dresser des limites très claires entre la compréhension du monde et « ma vie » ce qui signifie l’intimité. -Accepter que « mes murs » sont dressés devant les plaisirs vides, ce qui est vain, ce qui éloigne des vertus sans jamais pour autant cultiver des pulsions de mort. En résumé : garder une forteresse, mais apprendre à ouvrir des portes sans laisser entrer trop d'éléments négatifs. Cet équilibre est probablement la quête d’une vie. On ne peut que saluer les chances de rencontré des amis qui s'accompagnent d'une sagesse et que nos yeux se soient posés sur les écrits de l’empereur-philosophe. Source: HALDOT, Pierre, La citadelle intérieure, Fayard, 1997 [1992], 386 pages |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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