Mon employeur me permet l’opportunité de visiter, avec un groupe d’étudiants et d’étudiantes, la Vielle prison de Trois-Rivières. L’activité obtient le soutien de mon département et de la fondation du Cégep. Je suis donc privilégié en ce sens.
Je veux tenter de témoigner ici de l’intérêt derrière cette visite. Je peux énumérer les raisons historiques et sociologiques (c’est certain, elles entrent directement dans les visées de mes cours). Pour partager des moments avec une collègue (je suis accompagné par une collègue très cultivée qui tente de rattraper mon éducation pendant le trajet en autobus). Je peux blaguer et plaider la fuite de mes responsabilités familiales (sérieusement, je suis encore brûlé de cette mauvaise nuit). Je peux dire que c’est cool, parce que ce l’est. Sérieusement, tu peux enfin dire « je suis allé en prison, j’ai visité une prison ». C’est un contact avec les conditions de détentions des années 1970, ça date, mais la visite provoque de nombreuses prises de conscience pour qui a de l’empathie. Je recommande la visite bien sûr, pour l’aspect historique, mais je recommande plus expressément la visite-expérience pour l’expérience de groupe. Je me dirige doucement vers ma principale raison. En gros, c’est un groupe de maximum 25 personnes qui se prête à un jeu : on simule les conditions de détention de l’époque en étant accueilli par des gardiens (des comédiens). Entre chaque période de « théâtre » dans laquelle les gardiens mettent de la pression, brusquent le groupe, crient ou insultent se trouve un moment dans lequel un guide du musée (un ex-détenu ou un agent correctionnel) témoigne des réalités de détention de l’époque. Essentiellement, c’est ça la visite-expérience. Qu’est-ce que ça donne ? On peut comprendre théoriquement et faire acte d’imagination face aux descriptions historiques, mais rien n’est mieux pour s’imprégner de l’ambiance que d’être traité comme un prisonnier. Les gardiens sont froids, souvent indifférents ou témoignent de tout le mépris d’un système punitif fondé sur le redressement des esprits par la punition des corps. Ça fait 3 ans que j’organise cette activité et je ne regrette jamais. Il m’est impossible de choisir quelle année était la meilleure. La première année j’avais la surprise et le contact avec Réjean, un ex-détenu extrêmement humain et touchant. Il peut te parler de son temps, de ses erreurs, de ses douleurs, de la peur, des agressions, mais il le fait avec une humanité digne de Soljenitsyne. Réjean est revenu au monde à travers l’emprisonnement. Il est encore brisé, mais il rayonne d’amour et d’humanité pour chaque visiteur, pour sa petite fille (parce qu’il est « papi ») et surtout pour la jeunesse. Il met en garde contre les médias sociaux, il nous parle d’un de ses amis : le père de la petite Cédrika Provencher et de la tragédie. Il parle de comment il s’est reconstruit. Cette année j’ai eu le privilège de rencontrer Serge, un ancien agent correctionnel qui en sait long sur les échecs du système. Les cas lourds, les cas dangereux et surtout tous les obstacles pour une véritable réinsertion. Serge expose brutalement certains paradoxes : le public tolère les prisons, tout comme l’électorat, mais personne ne veut voir ouvrir des maisons de transitions. Comment réhabiliter? Il déplore autant les policiers trop acharnés sur certains détenus presque réhabilités que les individus perdus qui commettent le pire. La magie : l’effet sur le groupe Ce qui est le plus touchant pour moi c’est l’effet sur les petits. Oui, j’ose appeler des étudiantes et des étudiants de niveau collégial « des petits ». Parce que nous le devenons tous de l’autre côté des murs. Sous les regards de mépris, sous les cris, la pression, les portes qui claquent, dans une ambiance qui témoigne d’une histoire lourde de sens pour notre collectivité. Certains pleurent, il faut les isoler un peu, donner une pause et d’autres peuvent se mettre en colère. On est réduit en prison, même pendant moins de 24 heures. On est petit et on s’imagine facilement pouvoir se briser parce que l’humain est fragile et vulnérable. La prison et les gardiens peuvent posséder ton corps, mais que reste-t-il alors de ta personne ? Qui es-tu? Qu’est-ce qui est irréductible en toi? Qu’est-ce qu’on ne peut pas t’enlever? Qu’est-ce qu’on ne peut pas atteindre dans une personne ? Parce que si tu apprends à puiser dans cet espace, je crois que rien ne saura t’arrêter. Mais dans l’introspection il est probable de découvrir que l’on n’est pas une aussi bonne personne que ce que l’on croyait. Tu étais brave derrière ton clavier, toutes les fois que tu souhaitais la prison aux autres… Tu pensais que tu étais le prochain Nelson Mandela et pis finalement tu es juste un autre dude avec des daddy issues. Et que t’arrive-t-il en bien moins de 12 heures de détention ? Rêves-tu de dénoncer les autres ? De devenir un gardien ? De les punir ? De te venger ? De te mettre en position fœtale et de ramper jusqu’aux jupes maternelles? De serrer un autre contre ton cœur? De rire de la dernière du groupe qui se fait toujours traiter de « conne » par les gardiens? De hurler jusqu’à ce qu’on te punisse un peu plus fort ? Seul, dans ma cellule, je sais que les plus sensibles se posent inconsciemment ce genre de question. Chacun doit trouver sa force et oui, remonter vers la lumière ou basculer honteusement vers la noirceur. Pour une personne la lumière viendra des vers du poème Invictus, pour une autre les paroles d’une chanson, un autre se souvient de son tatouage, des paroles d’un proche ou d’un exemple historique. À travers les années, ce qui est le plus touchant pour moi sont les marques de solidarité que les « détenus » manifestent les uns envers les autres. C’est l’étudiante qui se place devant celle qui craque de plus en plus sous le regard des gardiens, c’est ce jeune homme qui prend la place d’une fille dans sa punition, c’est la main sur l’épaule d’une personne pour une autre sous les risées des gardiens. Et c’est aussi l’humanité du gardien, si maladroit, qui tente de passer parfois un message pour conscientiser les visiteurs aux responsabilités collectives de chacun. Chaque fois que je suis témoin du dépassement d’une personne pour les autres, je suis profondément touché. Quelle joie pour moi de voir que dans cette petite étudiante frêle et timide se trouve un géant d’humanité prêt à couvrir les autres. Que derrière la façade du jeune homme brutal se cache une personne tendre et touchante capable de rassurer les autres. Pendant toute la session, tu es minuscule en classe, parfois insignifiante et pendant un moment tu es plus lumineuse qu’une étoile pour les autres. Voici donc ce qu'est la principale raison de faire la visite en groupe. Pour des moments comme ceux-là. Un lien vers le site du Musée de la culture populaire museepop.ca/vieille-prison/visite-experience-en-prison
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Le premier cours est essentiel, il faut moins de 5 minutes pour faire une forte impression et gagner le respect de toute la classe (ou le perdre). Cette année je me suis présenté avec un poème que je récite par coeur. Je circule à travers les bureaux, je récite et souvent à la fin j'abats mon poing sur un bureau (est-ce conforme à la dernière réforme pédagogique?). L'idée est de tuer l'ennui. Pas question de lire tout de suite le plan de cours et de s'endormir ensemble. L'idée est de mettre le feu au coeur et dans les esprits. Les étudiantes et étudiants me demandent le poème alors le voici: Roll the dice (Charles Bukowski) Si tu essaies, va jusqu’au bout. Sinon ne commence même pas. Si tu essaies, va jusqu’au bout. Ça peut vouloir dire perdre des petites amies, des femmes, des proches, des jobs et peut-être ton esprit. Va jusqu’au bout. Ça peut vouloir dire ne pas manger pendant trois ou quatre jours. Ça peut vouloir dire geler sur un banc de parc. Ça peut signifier la prison. Ça peut vouloir dire la dérision, la moquerie, l’isolement. L’isolement est un cadeau. Tous les autres sont un test de ton endurance, jusqu’à quel point tu veux vraiment le faire. Et tu le feras. Malgré le rejet et les pires circonstances. Et ce sera mieux que tout ce que tu pourrais imaginer. Si tu essaies, va jusqu’au bout. Il n’y a aucune autre sensation comparable à celle-là. Tu seras seul avec les dieux et les nuits s’enflammeront. Fais-le, fais-le, fais-le. Jusqu’au bout, jusqu’au bout. Tu chevaucheras la vie jusqu’au rire parfait, c’est le seul bon combat qui existe. _______________________________________________________ Un hommage vidéo ici: www.youtube.com/watch?v=k6_QUhUPrF4 La version originale anglaise: ROLL THE DICE (Charles Bukowski) If you’re going to try, go all the way. Otherwise, don’t even start. If you’re going to try, go all the way. This could mean losing girlfriends, wives, relatives, jobs and maybe your mind. go all the way. It could mean not eating for 3 or 4 days. It could mean freezing on a park bench. it could mean jail, it could mean derision, mockery,isolation. Isolation is the gift, all the others are a test of your endurance, of how much you really want to do it. And you’ll do it despite rejection and the worst odds and it will be better than anything else you can imagine. If you’re going to try, go all the way. there is no other feeling like that. you will be alone with the gods and the nights will flame with fire. Do it, do it, do it. do it. all the way all the way. You will ride life straight to perfect laughter, Its the only good fight there is. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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