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Tes actes parlent si fort

10/4/2020

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Que je n'entends pas ce que tu dis.
Les mots sont de Ralph Waldo Emerson.

Voici mon dernier billet concernant le parcours d’Anna. Une ex-étudiante victime d’agression sexuelle avec qui j’ai une relation privilégiée.

La partie 1 est ici :  sauver-anna.html
la partie 2 est ici : laisser-mourir-pour-devenir-humain.html

Sur la campagne « J’aime le consentement »

On me demande parfois pourquoi je n'affiche pas fièrement le t-shirt "J'aime le consentement" des établissements scolaires publics. Évidemment je suis en faveur d'une culture du consentement (qui pourrait être contre?). Mais je ne porte pas le logo sur moi parce que j’enseignais le consentement le respect de chacun et prônait la dénonciation par les canaux officiels avant l’heure. Parce que j’accompagne des victimes depuis le premier jour comme professeur.  Parce que la campagne va vieillir et que je ne me sens pas capable de répondre à mes enfants qui me demanderont « pourquoi toi tu avais besoin de dire que tu étais pour le consentement? »

Parce que les actions parlent plus fort que les mots.

Quiconque doit expliquer qu’il est vertueux, respectable ou fort ne l’est pas vraiment. Je vais laisser le soin aux autres d’expliquer pourquoi c’est important.

Je vais aller plus loin. Les prédateurs les plus habiles ont besoin de signaler leur vertu. Ils te demandent leur confiance et c’est comme ça qu’ils te leurrent. Les gens naïfs ont certainement bon cœur, mais ce sont les premiers à se faire frauder et tromper. 

L’agresseur d’Anna aurait porté un t-shirt avec le logo « J’aime le consentement ».

Tu peux repenser à tout ça et laisser cette information te dévorer de l’intérieur. Avant son arrestation c’était une personne fière qui proposait de l’aide aux autres en plus de jouir d’une belle réputation. Tout ça me dégoûte.

Anna était naïve, pleine de problèmes et à la recherche d’aide.

Devinez qui lui en a proposé ?


Mourir comme un romantique
Le romantique en moi croit que les étudiants sont sous la protection des enseignants pendant le passage dans les classes. Que c’est le rôle de chacun des membres de l’établissement de veiller les uns sur les autres. Je crois que mon établissement n’a pas pleinement joué le rôle de protéger cette étudiante quand c’était le temps. Elle est tombée dans une poétique « faille du système ». Je sais que l'on fait aujourd'hui de notre mieux pour n'échapper personne.

Entre l’étudiante en surpoids, confuse, fragile avec un discours qui dérange et le beau prédateur étincelant, je constate qu’Anna était bien seule. Elle n’avait personne pour la croire directement. Au mieux des oreilles pour écouter, mais personne pour agir.

C’était le « death loop » du système, « la spirale de la mort suivante » : « tant que tu ne déposes pas de plainte à la police on ne peut rien faire » et pour déposer une plainte il faut te sentir solide, crédible et organisée dans ta tête. Tant que la plainte n’est pas déposée et que le prédateur rôde, tu ne seras pas solide et crédible.

Anna vivait donc avec son secret partagé avec moi et une intervenante. Une horrible histoire. Pas même sa famille est au courant. Pas à pas, question après question, elle s’est dirigée vers la plainte et la voie juridique. J’ai tellement poussé que j’ai cru qu’elle allait casser en deux. 

Pendant des semaines, chaque fois que j’ai ouvert ma boîte de messagerie je croyais qu’on allait m’apprendre son suicide. Qu’une famille en colère allait me tomber dessus et que des questions de mon employeur allaient suivre. Qu’on allait me dire que j’ai largement outrepassé la salle de classe et que maintenant je suis responsable d’une histoire d’horreur.

J’ai fait le choix de toujours la croire et je crois encore en elle. Mais quand elle ne le fait pas.

Même quand elle est toute croche (et oui girl, tu es encore un peu tout croche! Je sais que tu vas rire en lisant ceci).  

Au bout de la route, elle a fait tellement de chemin que c’est difficile à réaliser. Un peu comme quelqu’un qui se tient au sommet d’une montagne après l’ascension et qui la perd de vu une fois au sommet. Sauf que ta montagne est invisible, silencieuse et qu’il fait froid en haut.

Shit. Je te vois Anna. J’aime mieux mourir comme un romantique au pied de cette montagne que de ne pas croire en toi.

 
Le dénouement

Après une tonne de tergiversations, elle dépose finalement une plainte à la police. Une autre journée, c’est l’arrestation. Il a tout l’air du prédateur sournois déguisé en personne aidante. Comme c’est souvent le cas, d’autres victimes font surface et on découvre le pire. Le procès va suivre. Après le choc, tout le monde se protège et soudainement on est tous dans le camp d’Anna. « J’aime le consentement » pas vrai?

« Qu’est-ce qu’une victime espère au fond » était ma question de départ.  

Aucun mal au prédateur ne lui rendra sa vie, sa dignité ou le reste. Au final, je crois qu’Anna ne sait pas très bien quoi attendre de toute cette démarche.

Je crois qu’une victime espère s’en sortir.

Anna est revenue au monde. Elle est autre chose entièrement. Elle est là, plus forte de corps et d’esprit, plus grande et plus capable. Elle a perdu une tonne de poids, elle fait de l’activité physique, elle se bat en justice et travaille fort pour laisser la fille naïve derrière. Ceci n’est pas l’histoire d’un succès parce qu’on ne connaît pas la fin. C’est juste l’histoire d’une lutte pour se transformer et cracher au visage des injustices. J’ai eu le privilège d’être le témoin de cette transformation et d’être un père symbolique pour son retour au monde.

C’est mon souhait pour toutes les victimes : de revenir au monde. Tôt ou tard on doit voir chacune des personnes qui souffrent et permettre le retour. Évidemment, il faudra aussi quitter les rôles de bourreau et de victime. 

Ne pas rester au sol et laisser le système écraser, ne pas attendre la prochaine campagne « i can’t breathe », ne pas laisser mourir une femme autochtone sur une civière en se demandant si le racisme existe.

Parce que tu sais « Tes actes parlent si fort que je n’entends pas ce que tu dis ».

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    Auteur

    J'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences.

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