C’est une bonne année, pas exactement celle que je voulais, mais c’est fort. Je reviens sur cette première semaine d’enseignement dans les murs du Cégep de Granby. Les étudiants et étudiantes sont magnifiques : la curiosité, la surprise, les étincelles dans les yeux et plusieurs m’ont fait rire. Sauf que je ne veux pas trop en parler parce que plusieurs pourront s’identifier (je préfère demander les permissions). Dans tous les groupes sauf le jeudi matin, je suis monté sur les bureaux, j’ai récité un poème et j’ai expliqué que je tente d’être le meilleur prof que je peux être. Tu l’sais que tu es en feu quand dans le premier 10 minutes : -Tu montes sur le mobilier -Tu utilises plusieurs fois des jurons -Tu récites un poème -Tu en veux encore à ta prof de maternelle Cette année j’en profite, comme si c’était la dernière fois. Comme si c’était la première fois. C’est la cas chaque fois. De toute manière je ne connais pas d’autre emploi rémunéré ou tu peux faire tout ça. Le contact a été bon dans chaque groupe. Il y a toujours des gens pour me faire rire, des passionnés, des personnes intimidées et d’autres qui se demandent clairement ce qui se passe. Ma hantise c’est de voir des étudiantes et étudiants indifférents. Lundi Je dois cependant revenir sur mes fautes. Tout d’abord le lundi j’étais enfermé dans les toilettes avec l’envie de vomir et de pleurer 5 minutes avant le cours. J’ai écouté en boucle « Be humble » de Kendrick Lamar avant de foncer dans la classe. « Be humble » ici : www.youtube.com/watch?v=tvTRZJ-4EyI Ça été une réussite, mais inégale. Le lundi j’étais un peu « off beat », trop de temps loin d’une vraie classe m’a un peu fait perdre le rythme. Je ne sais plus quand donner la pause, ni si j’ai tout le matériel que je veux, ni comment procéder dans cet état pandémique incertain. Mardi Le mardi j’ai remplacé en soins infirmiers! Quelle séance crève-cœur, un superbe groupe : elles sont allumées, vivantes, critiques curieuses et belles. Je dois les abandonner ainsi, c’était juste pour une fois. Comme une blind date sur le pont du Titanic. Tu te donnes parce que tu as un coup de foudre et que tu ne les reverras pas. J’avais tellement de difficulté à les laisser que j’ai fait des farces plates lors du au revoir. Je crois que je vais les regretter. Mercredi et jeudi Le reste de la semaine a été super jusqu’à ma meilleure présentation (jeudi en après-midi) j’étais en feu. Le dernier groupe de la semaine. Le cours est dans un local difficile (si Satan avait un spa, il serait moins chaud que mon local du jeudi). Je compétitionne avec un ventilateur, un air climatisé portatif et un local long comme un autobus. Donc je gueule, j’ai chaud, je pue et je me donne encore plus. Si jamais tu veux échapper aux flammes, tu deviens un démon pas vrai? Mon meilleur moment Déjà le jeudi matin j’étais encore sur Kendrick Lamar (la chanson DNA en boucle, beaucoup plus agressif). DNA ici: www.youtube.com/watch?v=NLZRYQMLDW4 Ma fierté reste mon premier contact avec mon groupe du jeudi matin. Un cours sur le sport. Mon accueil le plus audacieux de la semaine. Pratiquement pas un mot. Un ballon de soccer (le foot pour toute la planète sauf nous) que je botte entre les bureaux. Les étudiants (une forte majorité de jeunes hommes) me répliquent. On joue au ballon quelque instant, je compte et on tente de me battre. C’est improvisé, mais il y a un but. Le jeu est universel. Au-delà des mots, de l’ethnie, de l’âge, des sexes, de la langue, avant la parole le mammifère humain joue. J’ai adoré ce moment. Le jeu arrête les guerres, provoque les rencontres, nous apprend et élève. À quel point introduire un moment de jeu change tout. Et j’ai poussé un peu plus. J’avais un fusil nerf chargé dans mon sac (c’est un jouet pour enfant). Quand un étudiant s’est présenté en retard, un gars éberlué de sa rentrée, je l’ai pointé et tiré dans le torse pour l’amusement général. En prenant place, il a rouspété contre le cours de littérature dans lequel il s’est assis par erreur et ça été plus fort que moi : je l’ai tiré encore. Quel plaisir, toute la journée j’ai fantasmé sur l’idée de toujours avoir un fusil à fléchette pour répondre aux questions. Mon nouvel outil pédagogique : le pistolet Nerf! Et damn, je vous laisse sur un délire de mon esprit absurde. CECI EST DE LA FICTION J’aimerais glisser des paragraphes de ce genre dans mes plans de cours : « L’étudiant-e s’expose à une méthode pédagogique extrême, en cas de mauvaise réponse il est possible que ce dernier reçoive un projectile (non contondant), soit aspergé d’un liquide (non alcoolisé), participe à un affrontement du regard avec le prof, que la mauvaise réponse soit coupée par un effet sonore ou que l’étudiant-e doive subir le doigt pointeur de la honte. En cas de propos ouvertement racistes ou misogynes, le port du casque est recommandé.» […] « Méthode de correction Il est possible que le professeur corrige par l’entremise de GIF. Un travail court peut se corriger en 2 ou 3 GIFs. Un travail long peut prendre 1 GIF par section du rapport et ne dépasse généralement pas 5 GIFs. Dans le cas d’un travail trop insatisfaisant, le professeur se réserve le droit de te ghoster plus vite qu’un gars lors du Spring Break.» […] « En cas de bonne réponse, le professeur est connu pour faire des sourires en coin et beaucoup de sarcasme. Une excellente réponse aura la double récompense : demi-sourire et sarcasme. Au terme de la session, il arrive que le professeur remette des prix en classe sous la forme de décoration absurde. À titre d’exemple, il est arrivé au professeur de remettre d’horribles décorations de Noël subtilisées à sa figure maternelle. Il va sans dire que seule une participation assidue rend éligible aux honneurs. » […] À suivre, je remonte en selle et j’attaque la semaine 2! Plus tranquille parce qu’il faut maintenant attaquer du contenu. Le doigt pointeur de la honte (un outil traditionnel)
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Après la chute : Semaine 1, jour 1
Ce blogue change un peu de vocation. Je garde le thème de la catabase, c’est-à-dire ce point le plus bas à partir duquel on tente de remonter vers une grandeur parfois inaccessible. Ce thème est d’autant plus approprié que je viens de traverser une période extrêmement pénible : arrêt de travail, rupture, prise de poids, etc. Donc on pourra suivre de plus proche mon retour au monde à travers 15 semaines de cours. Je garde l’identité des étudiantes et étudiants confidentielle, mais je suis à l’aise de partager sur mes succès et erreurs pédagogiques, sur les moments de grâce en classe et sur la qualité de nos échanges. Alors c’est parti! Semaine 1, jour 1 Dès demain, je suis de retour en classe depuis ce fameux vendredi 13 mars où l’on annonçait la pandémie. Des semaines, des mois et plus d’une année de pandémie et de mesure sanitaire. De retour en présentiel! Oui c’est arrivé quelques fois dans le passé, mais juste de manière sporadique sans jamais pouvoir établir le contact que je voulais. EN PRÉSENCE POUR DE VRAI Mon travail, enseigner, existe uniquement en personne. Je ne crois pas dans l’enseignement à distance (désolé pour les apôtres). Enseigner est un travail humain qui repose sur le contact, l’émerveillement, le corps, la voix, le contenu, la magie, le ton de la voix, l’expression des autres, les malaises, les périodes d’incertitudes et sur le fameux lien de confiance. La froideur technologique me permet rarement ce contact. Peu importe. Je suis de retour, plus nerveux que si c’était ma première fois. Plus nerveux parce que je vais avoir devant moi des jeunes personnes qui sont restées sur leur faim pendant la pandémie. Des jeunes à très forte majorité pour qui les contacts pédagogiques se sont perdus. Je traite toujours mes débuts de session comme si c’était la semaine 1 et le jour 1 de ma carrière. Comme si j’étais en entrevue dans chaque classe. Comme un lion qui sort de sa cage. Parce que chaque premier cours est une entrevue : tu dois toujours regagner ton public. Enseigner comme si quelqu’un tentait de prendre ton poste. Cette philosophie est également partagée par David Goggins dans l’ouvrage Can’t hurt me[1]. L’idée est d’arriver aussi prêt et nerveux que lors de l’entrevue. Tu as mangé, tu es rasé, tu es propre, tu portes tes beaux souliers, la lumière est dans tes yeux et tu serais prêt à te battre contre un ours enragé. Tu t’habilles comme s’il s’agissait de tes funérailles. Après tout, quand ça floppe, c’est pratiquement le cas! Parce que tout le monde est important et vaut la peine. Parce que tu ne peux pas refaire ta première impression. C’est Joe DiMaggio, le joueur de baseball légendaire, qui disait toujours jouer comme si quelqu’un ne le connaissait pas dans le public. Je risque de faire une entrée théâtrale, de réciter un poème et de tenter de provoquer quelques échanges pour bien lancer la session. Je vais tenter de résumer ma semaine dans la prochaine publication. Bonne rentrée! [1] GOGGINS, David, Can’t hurt me, Lioncrest publishing, 2018, 363 pages. ![]() Je sors avec peine de la pire période de mon âge adulte. Ma famille s’est décomposée et se recompose tranquillement. Un divorce pénible, quelque chose de commun et je croyais sincèrement que j’étais plus fort que cette mode des ruptures postcovid. Je suis maintenant une statistique de plus. Fuck me. Je pourrais écrire sur les détails, mais je ne veux pas faire plus de mal en ce bas monde. Mon intégrité est totale et ma parole est aussi solide que le titane alors le reste m'importe peu. Toutes les fins sont un peu comme une mort. Tu dois faire la paix, souhaiter le meilleur à tout le monde, te retrousser les manches et repartir. C'est ce que je fais aujourd'hui. C'est ce que je souhaite à tout le monde. J’ai parfois été laid et pitoyable dans cet épisode, mais je reste fier. Et voici la morale de cette histoire : Mieux vaut être laid et vrai que beau et faux. Hell, je suis prêt à porter ce message comme un étendard : Soyons laids et vrais avant la fin du monde. Aujourd’hui j’écris pour dire merci à tous ceux et celles qui étaient présents dans cette épreuve qui dure depuis des mois. Je dois tout d’abord m’excuser de mon absence de plusieurs mois sur le blogue, ma difficulté de répondre aux messages et ma fatigue dans la qualité de mes réponses. Pour dire merci… Merci d’abord aux étudiants qui m’appuient depuis le début de cette agonisante rupture. Non seulement dans une session à distance, mais en plus avec un prof dans un état second. Je ne compte plus les messages d’encouragement, d’empathie, de soutien, d’amour et de respect. J’ai reçu : des invitations, des poèmes, une toile (une étudiante qui fait des peintures), des blagues, des photos (appropriées), des vidéos de danse, des textos inadéquats (mais drôles) et tout ce qui était possible dans le contexte. Je rappelle que pendant la durée de vos études on ne peut pas vraiment tisser les liens que l’on veut. On peut se retrouver plus facilement un an ou deux après votre passage dans les murs. Autre chose, le "drunk-texting" à ton ancien prof c'est rarement une bonne idée! Même si c'est un peu hilarant. Merci à mes collègues. À toi qui m’écris chaque semaine, à toi qui m’invites sur le bord de ta piscine et à toi qui a pris une partie de ma correction en plus de me trouver un médecin de famille. Je sais que les collègues tissent un filet de sécurité autour de moi pendant cette période. Vous êtes incroyables. On a beau faire des blagues, mais c’est vrai que nos rapports professionnels durent plus longtemps que nos couples! (J'écris tout ça, mais je continue de croire que je suis personnellement la meilleure acquisition du cégep depuis les photocopieurs). Merci à ceux et celles qui sont venus me voir en pleurs sur les lignes de piquetage. J’étais un peu « down » et si tu me questionnes tu découvriras que je ne suis pas certain de ce qui était écrit sur nos pancartes. Goddamn Merci Steve, ton courage est une leçon. Ton écoute est un cadeau, ta vie est un miracle, ta créativité est une promesse. Tu as été le premier à m’écouter. Merci mon frère. Merci à MJ de qui mon fils est un peu amoureux. Il parle de toi tous les jours! Ta vie simple, ta sagesse et ta sensibilité ont fait la différence. Je te souhaite un homme qui découvre ce que tu es profondément et qui t’aime pour ta grande intelligence et ton âme complexe. Merci à Dom pour le cours de MMA privé, la séance valait bien plus que le prix. Il faut garder confiance en toi, tu es le futur. N’écoute pas les gens de peu d’envergure, les aigles ne sont jamais acceptés parmi les dindons. Merci à JP pour ton accueil, ton retour karmique et ta vie familiale étonnante. Quel mode de vie non conformiste! Karma is a brother (sometimes it's a b****) Merci à mes patrons qui ont offert de l’aide psychologique, un arrêt de travail nécessaire et un suivi. Une cadre qui te donne son numéro de cellulaire en tout temps, c’est quelqu’un qui se dépasse pour toi. Sérieux, je vais redonner tout ce que j’ai reçu en soutien aux étudiants et étudiantes. Merci à ceux et celles que je laisse derrière et que j’appelais « famille ». Les bons souvenirs vont revenir après la tempête, j’imagine. Ma famille qui me supporte depuis le premier jour et qui parfois est insupportable. Aux enfants, les miens et ceux de mon entourage… Parce que vous distinguez le haut du bas, la gauche de la droite, le rire des pleurs et surtout le vrai du faux. Même quand vous êtes trop jeunes pour comprendre je sais que vous savez. Mon cœur est le même que le vôtre. Merci aux amis retrouvés, ceux que je ne pouvais plus voir parce que je ne me sentais pas libre. Votre patience a été grande et j’espère la récompenser. La liste est trop longue ici : merci de tolérer mon radotage, de me tolérer en état d’ivresse ( je ne suis pas une blague), de me laisser dormir ici et là et d’être patient. Merci à toi qui a pris mon jonc de mariage qui était plus lourd que l’anneau unique et qui me faisait halluciner des spectres du Mordor. Une bouteille de rhum en échange, je ne perds rien! Merci à la personne en difficulté a qui j’ai donné la chemise dans laquelle je me suis marié. Dans l’espoir que ce bout de tissu te confère force et dignité. J’ai l’impression que ce moment pourrait figurer dans une chanson de Brassens. La vie est si étrange parfois. Merci à ma nouvelle flamme. Je ne t’attendais pas et ne t’espérais pas. Tu es belle de croire dans l’amour, d’être patiente alors que tu ne l’es pas, d’être douce, belle et forte. Prochain arrêt : le Valhalla! Merci à chaque personne qui prend le temps de voir la souffrance des autres. Mon humble personne, dans l'épreuve ne traitera plus jamais une question de divorce de manière banale. Chaque blessure est comme un puits qui permet d'accueillir des richesses. Mon retour sera plus grand que ma chute. Je tente de faire revivre l'analogie du phénix! On se retrousse les manches et on repart. Merci à vous, |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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