Que je n'entends pas ce que tu dis.
Les mots sont de Ralph Waldo Emerson. Voici mon dernier billet concernant le parcours d’Anna. Une ex-étudiante victime d’agression sexuelle avec qui j’ai une relation privilégiée. La partie 1 est ici : sauver-anna.html la partie 2 est ici : laisser-mourir-pour-devenir-humain.html Sur la campagne « J’aime le consentement » On me demande parfois pourquoi je n'affiche pas fièrement le t-shirt "J'aime le consentement" des établissements scolaires publics. Évidemment je suis en faveur d'une culture du consentement (qui pourrait être contre?). Mais je ne porte pas le logo sur moi parce que j’enseignais le consentement le respect de chacun et prônait la dénonciation par les canaux officiels avant l’heure. Parce que j’accompagne des victimes depuis le premier jour comme professeur. Parce que la campagne va vieillir et que je ne me sens pas capable de répondre à mes enfants qui me demanderont « pourquoi toi tu avais besoin de dire que tu étais pour le consentement? » Parce que les actions parlent plus fort que les mots. Quiconque doit expliquer qu’il est vertueux, respectable ou fort ne l’est pas vraiment. Je vais laisser le soin aux autres d’expliquer pourquoi c’est important. Je vais aller plus loin. Les prédateurs les plus habiles ont besoin de signaler leur vertu. Ils te demandent leur confiance et c’est comme ça qu’ils te leurrent. Les gens naïfs ont certainement bon cœur, mais ce sont les premiers à se faire frauder et tromper. L’agresseur d’Anna aurait porté un t-shirt avec le logo « J’aime le consentement ». Tu peux repenser à tout ça et laisser cette information te dévorer de l’intérieur. Avant son arrestation c’était une personne fière qui proposait de l’aide aux autres en plus de jouir d’une belle réputation. Tout ça me dégoûte. Anna était naïve, pleine de problèmes et à la recherche d’aide. Devinez qui lui en a proposé ? Mourir comme un romantique Le romantique en moi croit que les étudiants sont sous la protection des enseignants pendant le passage dans les classes. Que c’est le rôle de chacun des membres de l’établissement de veiller les uns sur les autres. Je crois que mon établissement n’a pas pleinement joué le rôle de protéger cette étudiante quand c’était le temps. Elle est tombée dans une poétique « faille du système ». Je sais que l'on fait aujourd'hui de notre mieux pour n'échapper personne. Entre l’étudiante en surpoids, confuse, fragile avec un discours qui dérange et le beau prédateur étincelant, je constate qu’Anna était bien seule. Elle n’avait personne pour la croire directement. Au mieux des oreilles pour écouter, mais personne pour agir. C’était le « death loop » du système, « la spirale de la mort suivante » : « tant que tu ne déposes pas de plainte à la police on ne peut rien faire » et pour déposer une plainte il faut te sentir solide, crédible et organisée dans ta tête. Tant que la plainte n’est pas déposée et que le prédateur rôde, tu ne seras pas solide et crédible. Anna vivait donc avec son secret partagé avec moi et une intervenante. Une horrible histoire. Pas même sa famille est au courant. Pas à pas, question après question, elle s’est dirigée vers la plainte et la voie juridique. J’ai tellement poussé que j’ai cru qu’elle allait casser en deux. Pendant des semaines, chaque fois que j’ai ouvert ma boîte de messagerie je croyais qu’on allait m’apprendre son suicide. Qu’une famille en colère allait me tomber dessus et que des questions de mon employeur allaient suivre. Qu’on allait me dire que j’ai largement outrepassé la salle de classe et que maintenant je suis responsable d’une histoire d’horreur. J’ai fait le choix de toujours la croire et je crois encore en elle. Mais quand elle ne le fait pas. Même quand elle est toute croche (et oui girl, tu es encore un peu tout croche! Je sais que tu vas rire en lisant ceci). Au bout de la route, elle a fait tellement de chemin que c’est difficile à réaliser. Un peu comme quelqu’un qui se tient au sommet d’une montagne après l’ascension et qui la perd de vu une fois au sommet. Sauf que ta montagne est invisible, silencieuse et qu’il fait froid en haut. Shit. Je te vois Anna. J’aime mieux mourir comme un romantique au pied de cette montagne que de ne pas croire en toi. Le dénouement Après une tonne de tergiversations, elle dépose finalement une plainte à la police. Une autre journée, c’est l’arrestation. Il a tout l’air du prédateur sournois déguisé en personne aidante. Comme c’est souvent le cas, d’autres victimes font surface et on découvre le pire. Le procès va suivre. Après le choc, tout le monde se protège et soudainement on est tous dans le camp d’Anna. « J’aime le consentement » pas vrai? « Qu’est-ce qu’une victime espère au fond » était ma question de départ. Aucun mal au prédateur ne lui rendra sa vie, sa dignité ou le reste. Au final, je crois qu’Anna ne sait pas très bien quoi attendre de toute cette démarche. Je crois qu’une victime espère s’en sortir. Anna est revenue au monde. Elle est autre chose entièrement. Elle est là, plus forte de corps et d’esprit, plus grande et plus capable. Elle a perdu une tonne de poids, elle fait de l’activité physique, elle se bat en justice et travaille fort pour laisser la fille naïve derrière. Ceci n’est pas l’histoire d’un succès parce qu’on ne connaît pas la fin. C’est juste l’histoire d’une lutte pour se transformer et cracher au visage des injustices. J’ai eu le privilège d’être le témoin de cette transformation et d’être un père symbolique pour son retour au monde. C’est mon souhait pour toutes les victimes : de revenir au monde. Tôt ou tard on doit voir chacune des personnes qui souffrent et permettre le retour. Évidemment, il faudra aussi quitter les rôles de bourreau et de victime. Ne pas rester au sol et laisser le système écraser, ne pas attendre la prochaine campagne « i can’t breathe », ne pas laisser mourir une femme autochtone sur une civière en se demandant si le racisme existe. Parce que tu sais « Tes actes parlent si fort que je n’entends pas ce que tu dis ».
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Ce texte est la suite de « Sauver Anna » www.lacatabase.com/blogue/sauver-anna
Moi et Anna partageons beaucoup de réserves sur le statut de victime. Pour sa part, elle rejette complètement cette identité et la méprise à plusieurs égards. De mon côté, j’aime vraiment l’aide temporaire d’une autre personne, mais je suis incapable de comprendre l’identité permanente de victime. Le problème dans les services offerts (aide aux victimes, écoute, aide psychologique) est que la mode est vraiment au renforcement de l’identité de victime. À chaque détour, on lui propose des larmes, de se faire couvrir et de creuser dans sa blessure pour la porter avec une forme de fierté comme pour dire au monde « Regarder ce que la société m’a fait ». Alors que pour Anna la question n’est pas là. Je me permets de citer encore Cyrulnik en lettres de feu : « La question est : « Qu’allez-vous faire de vos blessures ? Vous y soumettre et faire carrière de victime qui donnera bonne conscience à ceux qui volent à votre secours? Vous venger en exposant vos souffrances pour culpabiliser les agresseurs et ceux qui ont refusé de vous aider? Mettre votre tragédie au service d’une idéologie qui en fera un enjeu de pouvoir? Souffrir en cachette et faire de votre sourire un masque? Ou renforcer la partie saine de votre personne afin de lutter contre la meurtrissure et devenir humain malgré tout? »[1] Il faut bien voir que les pistes proposées ne sont pas exclusives et qu’il est possible de répondre à la fois aux besoins de vengeance (ou d’équilibre dans le rapport agresseur- victime par une recherche de justice) et à ceux qui sont impliqués dans le renforcement des parties saines d’une personnalité. Anna voulait inconsciemment faire ce choix sans savoir le moins du monde comment ouvrir les portes nécessaires. Le poids du récit Un des premiers obstacles est le fait de raconter son histoire. Une histoire est toujours une réorganisation des faits, une réinterprétation du réel. Et le récit de quelqu’un donne trame narrative à toute sa vie qui vient souvent avec un rôle à jouer. La personne devient « la pauvre victime abîmée », « la folle instable qui en plus s’est fait violer », « la survivante qui souffre en silence », « l’éternelle frustrée des relations humaines » et ainsi de suite. Comment faire pour ne pas réduire la personne aux souffrances ou au récit ? Souvent lorsqu’elle me demandait si ce récit faisait d’elle x, y ou z je lui répondais stoïquement « si tu veux » ou « si tu le permets ». Le défi était de taille dans le cas d’Anna. À chaque détour elle cherchait du sens : « qu’est-ce que ceci veut dire ? », « est-ce normal de vouloir mourir, de me sentir laide, d’être confuse » et parfois les « tu dois penser que : » je suis folle, endommagée pour la vie ou autre. À part une excellente intervenante rencontrée sur sa route, toutes les personnes qui écoutent Anna semblent procéder à une forme de réduction pour lui prescrire un rôle. Le bénéfice de la confiner au rôle de victime est que ce dernier nous permet de devenir des sauveurs vertueux. Cette réduction lui prescrit également des comportements, une démarche thérapeutique et une prise de parole dans un espace public confus. Mais la beauté de Anna est qu’elle est très forte même au fond de son trou. Derrière les couches de blessures, à travers la confusion, la naïveté, les maladresses, les écarts et tout le reste j’ai toujours vu une jeune femme agressive qui a besoin de se battre. Parfois les pulsions de mort reviennent parce que l’idée d’une fin est apaisante et concrète tandis que la guérison ressemble à une promesse lointaine. Une fois l’idée du suicide écartée, le travail d’Anna s’est tourné sur un sujet plus central. L’important dans ce que nous avons fait ensemble était de faire de cette horrible blessure un tremplin pour le reste de sa vie. L’importance de laisser mourir C’est alors qu’il s’est passé quelque chose de magique dans nos échanges. Au fil des discussions, des messages et des quelques rencontres. Nous avons découvert un mépris commun pour la faiblesse, l’idée de rester petit et l’aura sanctifié des victimes. Anna ne veut pas rester figée dans le temps et elle ne veut pas utiliser son agressivité pour s’autodétruire, ni pour faire un spectacle sur la place publique et encore moins pour détruire son agresseur. Voici les deux chemins empruntés L’acceptation radicale Elle accepta graduellement sa naïveté dans ses rapports aux hommes, le fait qu’elle avait le profil d’une victime, ses blessures et sa confusion générale sur la situation. En s’éloignant de la haine de soi, elle a appris à se regarder de manière bienveillante en acceptant ses limites, ses fautes, ses réactions parfois trop fortes, sa dépendance aux figures paternelles (incluant la mienne). Elle osa même parler d’un ultime tabou culturel : sa part de responsabilité dans tous les malheurs de sa vie. Laisser mourir une part de soi L’autre voie vient du fait qu’elle interprète que notre relation lui donna la permission de laisser tomber son enveloppe meurtrie (la victime misérable et confuse). L’idée était de laisser mourir la victime, la faible, la petite, possiblement une partie de l’enfance et la colère contre elle-même. L’idée est de devenir une nouvelle femme avec des forces, des combats, un passé difficile qui donne une clef pour la résilience. Donc on confronte ce qui est haïssable en soi, sans chercher de responsable et on améliore tout ce qui est bon et fort. J’attendais finalement le jour où elle serait comme le papillon qui sort de la chrysalide ou encore mieux le phœnix qui renaît des cendres. Sans garantie de succès et sans promesse. Jusqu’au jour ou dans un message, elle écrit simplement la phrase suivante : « Tu m’as permis de mourir et maintenant je reviens au monde ». Mais les naissances sont souffrantes et les apprentissages sont chers payés. La route n’est pas terminée et les pulsions de mort vont l’accompagner encore. Le chemin peu commun d’Anna m’a fait découvrir quelque chose de très paradoxal : l’appréciation de la part d’humanité chez l’agresseur et la mesure de la noirceur qui accompagne chaque victime. Il faudra se demander pourquoi notre société produit autant d’agresseurs sexuels (surtout chez les hommes) et pourquoi les femmes restent dans l’obligation de hurler de détresse de manière cyclique. Je termine ainsi le deuxième billet sur cette histoire. Je risque d’en écrire un dernier qui expliquera mes réserves à m’afficher avec le slogan « J’aime le consentement », comment Anna est tombée dans une poétique « faille du système » et sur l’importance de passer par la voie légale pour obtenir un sentiment de justice. [1] CYRULNIK, Boris, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 2002 [1999], Paris, 218 pages. Sauver Anna[1]
« Tu m’as sauvé la vie » qu’elle me dit. Elle m’attribue des superpouvoirs, comme si ma présence lui avait apporté une lumière ou des réponses à sa souffrance. J’en suis à cinq. Cinq personnes qui croient que sans notre rencontre elles se seraient enlevées la vie. Tous et toutes dans la jeunesse, un peu plus de jeunes femmes que de garçons. Chaque témoignage m’ébranle profondément parce que chaque vie est importante. Mais est-ce qu’on peut vraiment sauver la vie de quelqu’un par sa présence ? Je crois que non. Chaque personne se sauve elle-même et peut attribuer du sens après son « retour à la vie ». Une personne est sauvée quand elle croit qu’elle peut l’être. On a tous besoin de sens, possiblement maintenant plus que jamais. Voici donc une série de petits billets de ma part pour tenter d’éclairer ce passage de la noirceur vers la lumière, le thème principal de ce blogue. J’écris avec la permission de mon ancienne étudiante, parce que son cas a été le plus difficile et je crois que c’est le plus éclairant. Anna était une de mes étudiantes, une fille plutôt discrète. Au départ elle se démarque peu des autres. Des vêtements amples pour cacher un corps que l’on devine en surpoids (ce qui suggère une honte du corps), une difficulté à soutenir le regard (ce qui suggère des défis de santé mentale) et des comportements un peu imprévisibles. Elle était difficile en classe parce que les thèmes du viol et du féminisme l’ont fait réagir au point où elle est sortie de la classe à quelques reprises. « So be it ma grande », mais j’ai assuré un suivi. Je suis allé vers elle, j’ai clarifié des propos plusieurs fois. Ensuite elle s’est mise à m’écrire de manière anonyme sur l’adresse de mon blogue. Tout d’abord avec une grande colère accusatrice. Ensuite avec une dose de désespoir. Toujours avec une sorte de confusion et des pulsions d’autodestruction. Je l’ai lu, j’ai répondu avec patience et constance et un jour elle s’est dévoilée et m’a raconté son histoire. Encore aujourd’hui, elle me place encore « au-dessus » d’elle, comme si j’étais supérieur. Cette tendance nourrit sa honte et lui permet de se rabaisser. C’est une manière de rester dans le rôle de victime. Sans surprise, elle avait besoin d’une figure paternelle : « le père symbolique » qui lui, dans mon cas, est souvent incarné par le professeur. Le bout qui dépasse mon engagement professionnel est celui du suivi potentiellement thérapeutique et surtout le risque que l’étudiante fusionne avec le père de remplacement. Elle avait donc un bon suivi ailleurs et j’ai tout simplement joué le rôle de phare dans sa nuit. J’ai bien souffert et porte quelques blessures, mais rien comme les siennes. Les étudiants croient parfois que je porte des bribes de sagesse (si c’est le cas, elles sont toutes empruntées à des géants du passé). Je retourne donc Anna 100 fois plutôt qu’une à sa blessure, à sa responsabilité de s’occuper d’elle-même en soulignant que chaque histoire est unique, mais que les mécanismes psychologiques et la nature humaine sont des constantes. Est-ce que j'ai outrepassé mon rôle de professeur ? "You can bet your ass" et ceci vient avec des risques : celui de laisser tomber quelqu'un, de guider la personne vers le pire, celui d'endommager sa propre famille et certainement celui de gâcher sa carrière. L'étudiante peut tomber amoureuse ou faire une fixation. Mais Anna était changeante, avec des émotions inégales, mais son histoire restait la même. Elle m'inspirait confiance par chaque répétition. Au bout de la route j'ai fait le choix d'écouter son histoire jusqu'à son aboutissement. Une histoire de blessures, de viols, de naïveté, de culpabilité, d’abus de confiance et de troubles de santé mentale. Comme bien des victimes, elle se croyait entièrement responsable des agressions qu’elle a vécues. Elle était au bout de la route, au fond de son trou et elle envisageait retourner toute la violence du monde extérieur contre elle-même. Autrement dit le suicide ou des comportements suicidaires. Qu’est-ce qui s’est passé entre nous ? Qu’est-ce qui détourna Anna du suicide ? J’ai quelques pistes et pas de réponses définitives. Les deux « S » : soutien et sens. C’est à la lecture des écrits de Cyrulnik, le psychologue qui popularisa le concept de résilience, que j’ai trouvé une explication de ma relation à Anna. Notre relation offre « soutien et sens, les deux mots clefs de la résilience sont en marche »[2]. Inconsciemment, l’écoute active, la patience et la répétition des récits autour des blessures ont donné la permission à Anna d’exister dans les imperfections. Le point de départ a donc été l’acceptation des blessures et de la faiblesse. Le soutien est venu après, dans le contact, dans nos différences et dans notre mépris commun du rôle de victime. Des années plus tard, Anna a perdu un poids important, elle a été capable de prendre en charge sa vie et de confronter son passé. Sans aucune garantie de succès, elle réapprend à vivre un peu plus chaque jour. Récemment elle écrivait qu’être forte n’a rien avoir avec le fait de gagner sur le monde extérieur, mais plutôt de mener tout d’abord une bataille à l’intérieur de soi. Et elle m’a fait la révélation la plus troublante : elle estime que sa guérison est passée par le fait de la laisser mourir. Je vais revenir sur cette question sous peu. [1] Ceci est un nom fictif pour protéger ma connaissance, son vrai nom est Frédérique. Ok, ceci est une blague douteuse. [2] CYRULNIK, Boris, Mourir de dire; la honte, Odile Jacob, 2012 [2010], 261 pages. Source de l'image: "Quitter Facebook rendrait plus heureux" par Branchez-vous, 7 février 2019 en ligne : https://branchez-vous.com/2019/02/07/quitter-facebook-rendrait-plus-heureux/ J’avais dépassé 350 amis, j’étais en feu, j’ai décidé d’accepter les demandes d’amitié des étudiantes et des étudiants en contexte de pandémie. Peu à peu les dérapages se sont multipliés.
J’ai soudainement quitté Facebook. À cause du manque de compréhension scientifique (comme une simple corrélation non linéaire). À cause des trop grandes mises en scène et de la perte de temps. Sans compter l’incivilité : les gens menacent, jugent, insultent et partagent des stupidités. À cause de la facilité avec laquelle on partage des affiches de l’extrême droite. Les nombreuses théories du complot (Bill Gates, les tours 5G et l’instrumentalisation de l’OMS). Je me suis retrouvé dans une situation où je suis incapable d’éduquer et incapable d’endurer. En plus les géants du web et les algorithmes accumulent beaucoup trop d’informations sur les utilisateurs. Le coup de grâce est que certaines de mes étudiantes (trop longtemps sans thérapie à cause du confinement) passaient de l’amour à la haine avec des messages privés… Les propos qui manquent de nuances. L'individu moyen semble se croire dans l'espace public (alors que Facebook est une plateforme) et commente comme s'il était dans sa voiture. J’y trouve des commentaires d’automobilistes enragés peu empathiques à travers le reste. Même quand on aime quelqu’un, les propos manquent les nuances nécessaires. C’est clair que le Québec a été gouverné par une horrible équipe de politiciens pendant de longues années. Actuellement les attentes sont abyssales au point que la moindre personne qui fait son travail mérite instantanément une médaille et est au-dessus de toutes les critiques. Il est interdit de critiquer la CAQ sans s’attirer l’ire des internautes partisans. Le gouvernement peut maintenant proposer n’importe quelle loi et n’importe quelle réforme sans respecter les droits ou les recommandations de la commission Charbonneau. C’est d’une tristesse de voir Gaétan Barette (un ancien de la CAQ qui trucida le système de santé dans le PLQ) s’en prendre à Marguerite Blais (ancienne du PLQ qui défendait l’embauche de clowns en CHSLD) et ensuite de voir des partisans dans des débats stériles. Non merci. Sur les nuances et l’importance d’une saine opposition Tout ceci me rappelle certains épisodes de jeunesse. J’ai 13 ou 14 ans, je ne peux pratiquement me rendre au cinéma. Je suis toujours en retard par rapport aux autres sur les sorties de film. Nous sommes avant l`ère d’internet et la ville la plus proche avec une salle de cinéma se trouve à 30 kilomètres de chez moi. Mes parents sont généreux, mais mon père ne peut plus m’accompagner. Nous sommes allés voir un film ensemble, une seule et unique fois. Pendant notre sortie ma mère reçoit un appel d’un homme enragé « Je sais que tu es seule à la maison ma crisse, j’ai une carabine et je vais venir te tirer ». Ma mère était la première mairesse en Abitibi. Les propos sexistes, les menaces de mort, les doutes et la pression ont été le quotidien de ma famille pendant de longues années. Une fois c’était des ordures déversées sur notre terrain. Je me souviens des victoires, des luttes, des erreurs et aussi des défaites. Je crois comprendre un peu comment la vie politique peut être difficile. Ma mère invitait toujours aux débats dans l’arène politique et faisait de son mieux pour préserver notre vie en dehors. Je n’ai jamais partagé complètement l’opinion politique de ma mère et notre famille côtoyait des gens de presque tous les partis politiques. Notre valeur familiale centrale était la liberté d’avoir chacun des opinions différentes sur la plupart des sujets. Je garde la capacité de voir le mérite des opinions contraires à la mienne. Je n’adhère présentement à aucun parti. La droite me semble vulgaire et la gauche est confuse. Mon gouvernement idéal serait un mélange du type : Véronique Hivon pour s’occuper des ainés ou de la santé, Christine Labrie pour l’éducation, François Legault pour piloter les périodes de crise et ainsi de suite. J’imagine qu’avec un peu de temps je trouverais même quelques qualités dans les rangs du parti libéral (avec le temps). Mais évidemment le système actuel ne permet pas de rassembler des idéologies contraires en dehors des partis. Et tout ça est beaucoup trop nuancé pour la planète Facebook. Je recommande les lectures suivantes : HARARI, Yuval Noha, Homo deus, Albin Michel, 2016, 463 pages. HARARI, Yuval Noah, 21 leçons pour le XXIe siècle, Albin Michel, 218, 375 pages. Quel est le plus grand risque d’un métier sécuritaire comme celui de professeur au niveau collégial ?
Probablement que le plus grand danger réside dans les fameuses « paper cuts » lorsque le bout d’un doigt se coupe sur une feuille de papier. C’est ce que je croyais comme jeune professeur. Des années plus tard, je réalise que c’est le fait de devoir s’attacher à des étudiants et des étudiantes qu’il faut absolument laisser partir. La plupart du temps c’est formidable, on apprend, on rit, on redécouvre le monde, on se remercie et on se souhaite le meilleur. Quand tout va bien c’est de loin le meilleur rôle que je peux jouer dans ma société. J’ouvre des esprits sur un monde complexe et sur des vérités anciennes. Je m’efface peu à peu de la vie des étudiantes et des étudiants pour devenir un heureux souvenir, comme un fantôme. À mes débuts mes cas étaient surtout des « coming out » de jeunes gais qui me faisaient des révélations dans les travaux. Mais qu’en est-il des grandes souffrances ? Lorsqu’un étudiant ou une étudiante côtoie la mort ? Lorsque quelqu’un te révèle une dépendance, un vice de personnalité ou une agression sordide ? Quand une jeune personne de 18 ans est suicidaire? La relation prof-étudiant devient vraiment plus complexe. Au fils des années j’ai exposé des cas de racisme (ça existe au Québec), de transphobie, de misogynie, j’ai accompagné quelques étudiants dans des démarches thérapeutiques et offert une écoute à ceux et celles qui souffraient. Il fallait s’y attendre, en partageant la vie des gens. La présente fin de session me déchire le cœur. C’est grande souffrance, mais invisible, un peu comme si les « paper cuts » se retrouvaient sous mon armure de professeur. J’ai laissé partir mes groupes sans aucune forme de cérémonie en personne et je réalise que je m’inquiète pour certains d’entre eux. Je suis un romantique, dans ma perception mes étudiants sont « sous ma protection » pendant les quelques semaines du cours. Le problème est que je suis parfois une des seules personnes bienveillantes dans leur petit monde. J’ai beau référer aux ressources compétentes, il y a des liens qu’on ne peut pas défaire comme on veut. Alors je referme mes stupides boites de travaux dans mon sous-sol en repensant aux fois… Ma première fois lourde était d’inciter une étudiante à porter plainte pour un cas d’inceste dans sa famille. La session s’est terminée sur un fond de procès. Je me souviens de parler longuement de suicide avec un jeune homme qui se sortait des griffes d’un père possessif (et un peu fou). Il y a bien cette fois où le meilleur ami d’un étudiant a été assassiné et que l’étudiant a tout fait pour me le cacher le plus longtemps possible. À un pas de l’abandon, sa session a été sauvée. Il y a bien ce cher étudiant atteint du cancer que j’ai visité à l’hôpital parce qu’il est juste trop vivant. Il y a les fois où c’est tellement gros que ça semble surréaliste. Comme le jour où un étudiant agresse sexuellement une étudiante de ma classe. Le reste de la session était pénible. Il y a bien la fois où une mère en retour aux études m’apprend que sa fille s’est suicidée il y a quelques mois. Cette annonce m’arrive à quelques minutes d’une présentation que je dois faire sur la question du suicide devant elle. Et la fois qui me scie en deux. J’attribue au hasard des « problèmes de santé » qui sont des sujets pour le travail de session en soins infirmiers. L’étudiante pige une forme spécifique de cancer. Elle est souriante et résolue en m’annonçant « Ça va être facile parce que j’ai cette maladie ». Je ne comprends rien. Elle est atteinte du cancer, c’est sévère et elle doit faire de la chimiothérapie pendant la session. Je lui propose de changer de sujet. Elle refuse, rieuse, « c’est la vie ». Amor fati. C’était Rosalie, une fille intelligente, belle et rieuse. On s’est dit que nous irions danser ensemble pour célébrer son entrée dans la profession si elle survivait au cancer. Son visage est apparu une dernière fois aux côtés de celui de Claude Legault pendant un « Bye-Bye ». Quelques jours avant sa mort, elle souhaitait une bonne année à tout le Québec. Amor fati mother****** Je ferme mes boites en me disant que c’est un privilège d’enseigner et que parfois c’est moi le fantôme et que d’autres fois c’est eux qui me regardent en silence. À travers mes documents, ma lettre de motivation pour cet emploi me tombe entre les mains. La dernière phrase est la suivante : « Mon ambition professionnelle consiste en deux choses : d’abord de faire la différence dans la vie d’un seul étudiant ou d’une étudiante et ensuite de le faire au sein de votre département. » Je crois sincèrement que la première partie est plus importante que la deuxième. Je repose cette feuille en prenant garde de ne pas me couper le bout du doigt. Une autre année qui prend fin, mais sans les dernières paroles sur un bureau, sans les accolades, la bière ou les moments émouvants en groupe ou le fameux "finalement tu as réussi"... Un moment de solitude dans mon sous-sol sans pouvoir avoir le sentiment d’avoir tout fait pour eux cette année. Amor fati i guess. J’aime vraiment mes étudiantes et étudiants même s'il arrive que je le cache parfois en classe. Avec le contexte actuel, je souhaite une belle fin de session dans un environnement fou. Force est de constater que d’enseigner en ligne comporte des surprises, des moments de malaise et plusieurs défis. Je suis vraiment loin d’être le meilleur avec les nouveaux outils et c’est parfois la galère de mon côté. À ceci s'ajoute maintenant les obstacles du côté des étudiants. Pour mes cours, j’ai diffusé des capsules vidéo que mes groupes écoutent en ligne. En plus, je fais des séances pendant lesquelles on peut venir me poser des questions « live ». Sauf qu’avec les plateformes, les outils technologiques, nos personnalités et l’ambiance actuelle, c’est vraiment tout un défi que de se comprendre. Pour votre amusement voici donc en rafale mes moments préférés des cours en ligne. Pour rire de moi : la transcription automatisée. Les vidéos que je publie sur l’intranet du cégep s’accompagnent d’une transcription automatisée. Un logiciel interprète donc les sons qui sortent ma bouche, qui passent par un micro et transcrit le tout dans une bande de texte. Voici quelques exemples (encore une fois je tiens à spécifier que les transcriptions sont des erreurs de la part du logiciel… ): Quand j’ouvre mon cours sur l’expression « Aux BICHES! (très proche de bitches...) » La fois où j’ouvre sur « Hé bébé » ( voir l'ouverture de ce billet). Dans les deux le logiciel ne comprend pas que j’utilise l’expression « What’s up Granby » (sic). Mais je m'amuse encore avec les étudiants et les étudiantes. Voici quelques exemples des comportements hilarants devant la webcam. L’étudiante qui ne veut pas quitter la rencontre. Je ne sais pas, elle me prend en pitié et elle croit que je vis de l’isolement. Dans tous les cas, elle reste plantée devant sa caméra dans un long moment de malaise quand tous les autres sont partis. Je répète deux fois, souriant (comme je peux) « C’est terminé, merci » puis « la rencontre devant prendre fin à 14h00 »... et elle reste! C’est un long moment de malaise « viva l’awkwardness ». Je soupire, elle me sourit, on ne sait plus quoi faire, on ricane comme des cons. Observation d’un collègue dont j’ai fait l’expérience
L’étudiant qui ne comprend rien. Rien de rien. Il arrive à la moitié de la rencontre. Quand il ne m’entend pas (problème avec ses « speakers ») il crie ses questions dans nos oreilles ce qui ne fait aucun sens... Il coupe parfois sa caméra sans avertissement et quand elle s’allume on le retrouve dans les positions les plus étranges. Misère. L’étudiante avec le PC qui « lague » (Que je surnomme « Jane je lague »). En classe, cette personne était accusée de retarder le groupe. Ironie du sort, en ligne cette personne fait « laguer » toute la conversation par sa simple connexion. Le plus étrange est sans doute qu’elle croit que tout est toujours aussi lent autour d’elle. Son cousin « Joe off beat » Joe off beat fait clairement autre chose pendant la rencontre. Je suspecte qu’il a 10 fenêtres d’ouvertes simultanément. De temps à autre, il entend quelque chose qui le préoccupe et il nous fait tout répéter. « Joe off beat » reste toute la rencontre (pourquoi?) et fait toujours tout répéter, sauf que quand sa cousine est en ligne c’est trois fois plus long. Le couple qui fait deux cours côte à côte On entend un autre prof sur un autre ordinateur à côté. « c’est un autre cours d’un autre prof, on a juste une paire d’écouteur ». Holy crap. Retrouver les étudiants en mode « Bad hair day ». À chaque étudiant qui se connecte, je contrôle une envie de rire. Que dire, j’ai traversé les années 80 donc on peut croire que des coupes de cheveux douteuses j’en ai vu. Mais avec le confinement, c’est vraiment louche. Un étudiant avec une tête afro, un autre qui ressemble à ma photo dans mon album de finissant on dirait une reprise du vieux « Degrassi high school » mais avec des web cam. Le dude qui fait juste « venir voir » Il débarque, interrompt toute la rencontre avec un micro beaucoup trop fort et semble éberlué comme quelqu’un qui sort directement d’un jeu vidéo (personnellement je pense que sa « game est sur pause »). « Je suis juste v’nu woir pis c’est cool, cho bye » puis il se déconnecte. Dude. La fille candide Qui m'explique : « Chui vraiment contente de pouvoir terminer ma session parce que je n’avais pas envie de t’avoir une deuxième fois ». J’attends dans silence malaisant qui comble le cyberespace. « Tu sais, moi je n’avais pas vraiment envie de t’enseigner la première fois anyway » On se regarde, on ricane, elle reprend: « Non mais tu sais ce que je voulais dire » « Oui, tu sais ce que je veux dire aussi » Comme quoi s’apprécier est difficile par webcam, mais ne pas s’apprécier l’est tout autant. Le gars qui se filme avec son toaster C’mon génération technologie! Sa caméra bouge, l’image est jaune et brun, tout branle de tous les côtés. Il apparaît, il disparaît, puis soudainement on voit une image mystère qui pourrait être une patte de table, un animal, un plancher dégueulasse avec une brassée de linge sale ou de l’épiderme vu au microscope. Il fait des apparitions mystères et l’image est parfois à l’envers avec la qualité d’un film porno des années 1970. La fille qui cherche un chien C’est arrivé, son micro est ouvert on est live. Elle cherche un chien, elle déambule, je ne trouve pas le mute. «LOOOOOOOOUIS, LOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOUIS » Shit. Les enfants qui sont en feu Les enfants qui circulent, ceux qui posent des questions, ceux qui estiment (avec raison) que je n’ai pas d’affaire dans leur vie. Ceux qui déambulent en arrière-plan en costume d’halloween ou de superhéros. Mon préféré : le petit désagréable qui hurle dans les oreilles de sa maman. Elle explique exaspérée « Je suis à L’ÉCOLE » il rétorque, plein d’assurance « Hi,hi, même pas tu es DANS LA CUISINE ». Smartass. Le chum fâché qui réexplique mes notions L’étudiante anxieuse qui pose beaucoup de questions. Fine. Son chum « off-screen » qui lui répond sur un ton exaspéré. Priceless. Il n’ajoute pas de qualificatif au bout de ses réponses mais c’est tout comme. Souvent j’entends ce « narrateur off screen » ridiculiser les notions et son amoureuse « Ben là, c’est même pas compliqué stie » Je ne sais pas pourquoi, je l’imagine en camisole blanche et en boxer. #Mansplaining Le combo de la mort La rencontre débute maladroitement, micros trop forts, caméras croches, on renifle une dernière fois et on se crie bonjour un par-dessus l’autre. On se dit qu’on est heureux de se voir, mais on ne trouve pas ça sincère parce que c’est froid en ligne. On commence. On est interrompu par des retardataires, on se refait des salutations. J’explique des notions importantes, mais je dois répéter : des caméras tremblotantes s’allument et chaque réponse que je donne. Un dude « vient juste voir » et crash la rencontre avant de disparaître. « Joe off beat » me fait tout répéter et je dois le faire en slow-motion parce que « Jane qui lague » nous retarde. Ma réponse est semi-compréhensible à cause du couple qui fait deux cours côte à côte. Je tente de me reprendre, mais devant les « bad hair day » des étudiants je glousse dans mon micro. Je répète sous le regard amusé des enfants en feu. Une anxieuse n’est pas certaine de ma réponse, son chum désobligeant répète de manière exaspérée les notions en soupirant. Le reste du groupe ne m’entend pas bien parce qu’une fille cherche son chien. Bonus : deux étudiants tentent de se répondre en se donnant des informations douteuses. Je capte une dernière fois l’attention de mon étudiante la plus en difficulté sans jamais être capable de la regarder dans les yeux. On termine après une heure, je me dis "God i really need a drink" mais il est 10h00 du matin. Je reste avec deux membres du groupe : la fille qui ne veut pas partir parce que j’ai l’air d’une œuvre de charité et un gars qui clairement ne sait pas qu’il est toujours dans la rencontre. Viva la fin de session 2020. La compétition classique
La scène se déroule sur le terrain d’une école primaire, l’excitation est palpable parce que c’est un jour de compétition sportive. Une course est organisée par l’école et les enfants prennent l’activité à cœur. C’est une compétition classique : un gagnant et des perdants, du meilleur et du pire. Les enfants sont naturellement enthousiastes devant ce genre d’activité. Pour les adultes responsables il faut vivre avec le fait que dans ce cadre l’échec est public parce que la compétition l’est tout autant. Le mot fait peur dans notre système scolaire parce qu’il est rapidement associé à l’élimination du plus faible. On imagine facilement le tableau final avec un gagnant qui traverse la ligne d’arrivée suivi d’un deuxième (qui serait le premier perdant dans la logique du « winner takes all »). Après suivra le long défilé des humiliés. Le dernier, probablement un enfant au physique désavantageux, subira la double humiliation de la sous-performance et des regards sur son décalage à l’idéal athlétique. Le compétiteur gagnant se tient fièrement de l’autre côté de l’épreuve, victorieux, et il est probable que les trois premières places obtiennent une récompense sous la forme d’une médaille ou d’un trophée. L’alternative c’est quoi ? Le monde beige de la coopération Pas de compétition, on donne des médailles de participation à chaque enfant, on célèbre avec une grande modération la personne gagnante et on sourit avec gentillesse au dernier. Pas vraiment de gagnant quand tout le monde gagne. Par l’élimination des perdants nous évitons l’humiliation individuelle parce le groupe est ensemble et solidaire. Les critiques diront que l’on entretient la médiocrité. Un cynique dirait que l’humiliation est maintenant diffusée dans le groupe. Les parents sensibles sont heureux que tous soient valorisés, les chroniqueurs écriront que c’est la théorie de la haie de cèdres (qui est coupée également sans aucune branche qui dépasse). On limite l’excès de la victoire et on célèbre autant le dernier que le premier. Sauf que l’activité manque d’excitation. Les premiers sont perplexes de la récompense et les derniers acceptent parfois à contrecœur la fameuse médaille. C’est l’impasse de notre vision archaïque : gagnant/perdant; réussite/échec; positif/négatif. Je crois sincèrement que l’on peut faire mieux. Voici une alternative Entretenir à la fois l’idéal de la réussite et la beauté de la coopération. C’est un modèle qui se nomme la « coopétition ». Autrement dit : chacun tente d’être le meilleur selon les standards de compétition, mais en tentant d’élever les autres (de tirer la barre vers le haut). On célèbre la meilleure performance et le groupe supporte chaque participant. C’est possible de mettre ce modèle en place. Je partage ici les résultats d’une vraie journée de course dans une école de ma région. Comme dans le premier scénario, l’élève gagnant traverse la ligne d’arrivée et il est brièvement célébré. L’air résolu, notre compétiteur se met à courir en sens inverse pour aller chercher le deuxième. Une fois à ses côtés, les deux enfants courent ensemble vers la ligne d’arrivée. Le deuxième, qui avait des jambes de plomb, est maintenant poussé par la présence du premier. On est à la fois humble et victorieux en traversant la ligne d’arrivée. Ensemble. La magie opère et les enfants sont maintenant dans un effet de groupe. Pas besoin d’une consigne ou d’une pression du personnel enseignant. Après l’arrivée de la vague de tête et de brefs encouragements, les 10 premiers courent en groupe pour rejoindre les derniers. Les enfants se motivent, s’appuient et se transfèrent une quantité d’énergie. Quel grand privilège de partager sa force et son succès. Ici on fait partie d’un groupe où les meilleurs sont derrière soi pour nous pousser à réussir. Notre groupe franchit une dernière fois la ligne d’arrivée. On célèbre à la fois le premier et le dernier. On salue la performance et l’effort. La grandeur et l’humilité. Le bruit de la victoire et le silence de l’effort acharné. Parce que nous sommes tous liés les uns aux autres, qu’on le veuille ou non. Le premier fera plusieurs pas de course de plus : c’est le prix à payer pour être un exemple et pour protéger le dernier. Le dernier apprend à se pousser, n’est jamais exclu ou injustement célébré et il fait toujours partie des compétiteurs. Parce qu’on apprend en faisant, en gagnant, en perdant et en enseignant aux autres. Parce que cultiver le désir de gagner ne veut pas dire que l’on souhaite défaire les autres. Entre la violence de la compétition débridée et la mollesse de la coopération forcée il y a autre chose de possible : la coopétition. C'est présentement mon sujet de recherche et c'est une alternative que je propose au monde de l'éducation. Mon petit i had a dream personnel. Je résume ma dernière publication : je me suis embarqué dans un défi de 90 jours pendant lesquels je me propose de vivre « idéalement » (c’est-à-dire avec une grande gentillesse, un équilibre fort, beaucoup de lectures, des exercices quotidiens, du calme et une présence bienveillante pour mon entourage). J’étais prêt depuis un bout de temps pour une « séclusion monastique » et une vie plus ordonnée. Mon objectif est de devenir un bon compromis entre le Dalaï-Lama (pour la gentillesse et l’écoute), Deadpool (pour être drôle), Léonidas (pour la motivation), le Terminator (si je veux repousser quelqu’un physiquement) et Stephen Hawking (pour l’érudition). Je vais faire ici un bref retour sur les 10 premiers jours en plus de répondre à quelques questions qui me sont adressées. Avant d’aller plus loin Je suis quelqu’un de privilégié. J’ai un emploi avec un horaire relativement flexible, je n’ai pas de handicap, j’ai une conjointe extraordinaire, une famille aimante et suis relativement éduqué. On peut donc croire que pour relever ce genre de défi j’ai une longueur d’avance. Je l’admets. J’ai une pensée chaque jour pour les mères monoparentales qui luttent pour joindre les deux bouts et passent d’une contrainte à l’autre. À la limite, mes privilèges sont une source de motivation. Les 10 premiers jours Je dois admettre que mes 10 premiers jours sont magiques. Mon fils me supporte à 100% et remarque immédiatement que je suis beaucoup plus patient. Avec sa grandeur naturelle, quand je lui explique que je tente d’être plus gentil, il me sourit et me dit simplement « bonne idée! » avant de me faire un câlin. J’ai l’impression que je dégage plus de calme et que je capte les signaux différemment dans mon environnement. Sans savoir si c’est un cas de « poule ou d’œuf », voici les exemples les plus spectaculaires de cette première période :
Les questions des lecteurs Quel est le principal bénéfice de ton expérience ? Ce qui est immédiat c’est une grande clarté dans ma vision et mon écoute. Je crois que je comprends mieux mon entourage. Le paradoxe est que j’ai maintenant l’impression que tout le monde est inutilement agité et nerveux. L’autre bénéfice est ce que j’appelle le « calme dans la tempête ». Comme j’ai l’impression de voir clair et de faire toujours ce que j’ai à faire, je suis très calme, je vais sans regret et j’arrive à me recentrer facilement. Qu’est-ce que tu fais avec les échecs et tes objectifs ? Je ne crois pas aux échecs. C’est une déformation judéo-chrétienne du système scolaire et des valeurs de notre société. Je passe à l’action et j’obtiens des résultats sans les juger. J’ajuste mes efforts et mes actions par rapport à ce qui est visé. Un exemple ? Je veux faire 10,000 burpees… Sauf que j’éprouve une vive douleur après 500. Est-ce un échec ? L’idée était d’être actif. Je remplace le 10,000 burpees par d’autres exercices, je m’ajuste et je continue d’aller de l’avant. L’idée n’est pas de « gagner » ou de « perdre », mais bien plutôt d’évoluer et de m’améliorer. L’objectif est uniquement de parcourir la route. Pourquoi les douches froides ? Ça réveille! Je me lave plus rapidement et il y a des effets sur la santé. La douche froide change également mon « point de référence » c’est-à-dire qu’il me faut plus qu’une douche froide dans la journée pour me faire souffrir. Dernier intérêt : je participe à un voyage à La Havane en janvier prochain. Notre hôtel n’offre que des douches froides… Je vais être préparé! C’est quoi « l’effort sans effort? » C’est très facile à comprendre et plutôt difficile à mettre en place. L’idée est simplement de faire tout ce que l’on peut faire avec cœur dans l’action pour immédiatement se détacher des résultats. Pour m’aider, je mets en place des « systèmes » plutôt que des « objectifs »[1] pour favoriser les apprentissages. Autrement dit : plutôt que me dire que je vais « publier 6 fois sur mon blogue » et me flageller dès que je n’y arrive pas, je me donne un moment quotidien pendant lequel j’écris quelques lignes sur mes lectures et mes expériences et je publie possiblement plus tard. Si « j’échoue » j’ai écrit presque tous les jours, j’ai fait des lectures et de l’écriture. L’objectif est une limite, le système non. Comment te suivre plus directement ? Comme je lis quelque 300 pages par semaine, je propose un compte Instagram qui comporte uniquement les références de mes lectures. Normalement je prends une photo du livre et j’inscris un commentaire rapide sur l’ouvrage. L’adresse du compte est ici : www.instagram.com/lacatabase/ [1] Cette idée me vient de Scott Adams, le créateur de Dilbert. Je vais sans doute écrire plus longtemps sur ce sujet dans les prochaines semaines. L’idée est simple : vivre 90 jours en faisant uniquement ce que je devrais faire et en entretenant uniquement de la bienveillance pour mon entourage. On parle ici d’être présent pour ma famille, productif au travail, créatif dans mes explorations, discipliné physiquement tout en améliorant ma concentration générale. Autrement dit : toujours viser son idéal est-ce possible ? À l’aube de mes 40 ans, j’ai décidé de ma proposer ce défi. C’est mieux comme crise de la quarantaine que de me lancer dans la débauche et remettre en question l’ensemble de mes choix de vie (la suite nous dira si c’est ce qui va se produire dans les prochaines semaines). Le problème est que la seule manière réaliste d’atteindre l’objectif revient à passer 90 jours dans un mode « monastique ». Est-ce que l’expérience vaut le coût ? Suis-je capable de traverser une aussi longue période ? Quels sont les bénéfices et les impacts sur le reste de ma vie ? Depuis quelques années, je tente toujours de devenir la meilleure version de moi-même. Force est de constater que j’ai d’importants défauts qui se mettent dans le chemin. La liste est trop longue, mais voici ce qui me semble le plus évident.
Comme plusieurs, je suis vraiment capable de faire des progrès ciblés sur une courte période avec des efforts continus, mais toujours au prix du sacrifice parfois injuste d’un autre aspect de ma vie. Comme je suis très influencé par l’auteur-blogueur Tim Ferriss (qui se met souvent au cœur d’expériences inusitées) et avec comme base mes connaissances et mes lectures, je me propose de me lancer dans un cycle de 90 jours et de rapporter les résultats ici. Ce qui m’inspire est tout simplement le principe suivant : « La nécessité est la mère de l’invention » une maxime qui est reprise par plusieurs à travers l’histoire. L’idée est simplement de m’imposer des habitudes radicales pendant 90 jours et de noter les résultats. Voici les différents objectifs visés pour les trois prochains mois. 90 jours de détention -Réveil au plus tard à 6h00 chaque matin -Plus aucune participation aux échanges ou aux « commentaires » par l’entremise des médias sociaux -Au-moins 10 minutes de méditation quotidienne -Une alimentation la plus naturelle possible -Faire plus de cadeaux aux autres -Éliminer toutes les sources de distraction (en excluant les enfants!) -Garder mon environnement de travail très ordonné, voire minimaliste -Faire 10,000 burpees d’ici 3 mois (c’est l’exercice de base sur lequel je me replis quand un entraînement complet me manque) -Augmenter la fréquence et la durée de l’exposition à l’eau froide (donc des douches froides) -Me débarrasser de toute forme de dépendance -Ne jamais me plaindre ou faire du commérage et ce peu importe le contexte (même sur la route, un exercice difficile pour moi) -Faire tout ça dans une approche très zen qui me permet de me dévouer entièrement sans faire d’effort Pour chaque élément mentionné ici, j’utilise un truc ou je reproduis des techniques que je connais déjà. En fait, j'ai à la fois un objectif et un système pour y arriver. Je promets de revenir ici dans les prochaines semaines pour rapporter les résultats et les effets de cette expérience. Tu veux m’accompagner ? Tu peux! Voici un mini-défi : Ne pas te plaindre pendant une journée. Je propose parfois l’expérience suivante aux étudiants et étudiantes. C’est une étape pour arriver à ne jamais se plaindre, faire du commérage. Étape 1 : Prendre un élastique (comme un élastique à cheveux ou un élastique de bureau) Étape 2 : Glisser l’élastique à son poignet. Étape 3 : Changer l’élastique de poignet à chaque fois que l’on se plaint (que tu chiales). Étape 4 : Prendre note de ce qui te provoque. Étape 5 : Essayer de prolonger la distance entre les moments. Cet exercice s’inspire du Will Bowen complaint free challenge. Tu gagnes ton défi quand tu arrives à ne pas te plaindre pendant 1 journée au complet. Sources
Will Bowen Challenge : En ligne : https://www.willbowen.com/complaintfree/, page consultée le 18 octobre 2019. Meilleur blogue sur l’expérimentation humaine : Tim Ferriss blog, En ligne : https://tim.blog/, page consultée le 18 octobre 2019. Sur l’exposition au froid : HOF,Wim et Joen de Jong, The Way of the iceman, 2016, 141 pages. Une simple recherche sur Wim Hof devrait donner une tonne de résultats. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Mars 2024
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