« Stie » Réponse de mon instructeur dans un cours privé quand je lui ai demandé pour la troisième fois s’il était bien certain que sa manière de procéder était meilleure que la mienne. Depuis peu, on m’a remis une ceinture blanche en jiu-jitsu brésilien, un art martial de combat au sol. Est-ce que je connais quelque chose en profondeur sur cette discipline? Non.
Est-ce que j’ai vraiment l’autorité pour en parler? Non. Je reste ce que je suis : je lis chaque semaine, explore lentement mon sujet et réfléchis à chaque leçon. Je suis incapable de ne pas faire des liens entre cet art martial et les autres pratiques dans ma vie (l’enseignement surtout). Je ne suis pas capable de ne pas m’accompagner du rire, c’est qui je suis. Évidemment, je pourrais parler de la grande qualité de mes instructeurs (3 personnes uniques, fascinantes et compétentes), de la camaraderie entre les élèves, des personnes que je rencontre et de l’état d’esprit de celles-ci, mais je garde le texte uniquement sur les leçons (et sous la barre des mille mots). Voici donc en rafale mes premiers apprentissages de ceinture blanche. Les principes de base du jiu-jitsu 0 - Une fois que le combat est au sol : I-Passer la garde de l’adversaire; II-Prendre une position avantageuse (ou dominante) ; III-Solidifier la position avantageuse; IV-Attaquer ET (si tout est solide et nécessaire) appliquer la force nécessaire. À venir (ceci est mon interprétation) : V - Explorer les alternatives possibles selon l’évolution de la discipline et la résistance de l’adversaire. Le parallèle avec l’enseignement est fascinant, c’est exactement ce que je fais en classe avec les sujets difficiles. I - Démonter les préjugés, fausses connaissances (prénotions), les réserves, contourner soigneusement les sensibilités et les blessures; II- Partager des notions et faits scientifiques solides en s’assurant de la compréhension de la classe. III- Renforcer les connaissances à partir du lien de confiance avec le groupe et des multiples recherches sur un sujet; IV- Valider l’application des théories en délogeant, remplaçant ou modifiant le regard sur le monde avec un travail sérieux (des rédactions, recherches, évaluations). Pour la suite : V- Explorer les alternatives possibles selon les contextes et attendre que la science supplante la présente théorie avec un meilleur modèle d’explications ou de compréhension. Les autres leçons de ceinture blanche
Dans mes victoires, même toutes croches lorsque je compense avec ma force de bœuf, j’arrête d’apprendre et il arrive même que mon ego prend de l’expansion (je peux me croire compétent alors que la victoire vient d’une mauvaise technique appliquée avec une tonne de force). Ma ceinture blanche m’apprend que la défaite est l’autoroute vers les apprentissages. La seule manière de perdre est donc l’abandon, l’irrespect de soi et des autres ou la démesure (l’expansion de l’ego). La leçon capitale : l’humilité C’est le slogan du gym que je fréquente. C’est la leçon des meilleurs élèves de la famille Gracie (des légendes dans cet art martial) et c’est la clef pour toutes les progressions dans cette discipline. C’est juste un autre niveau d’humilité. De manière classique, je suis fort : ici souvent ma force ne sert à rien ou est une nuisance. Dans les contacts physiques, j’arrivais à compenser avec ma masse/mon poids. Ici, mes adversaires expérimentés m’écrasent avec ma propre masse. Mon niveau de conditionnement et d’endurance était élevé : en combat c’est plus ou moins la clef, je suis une machine à gaspiller de l’énergie inutilement. Je compte parmi les élèves les moins expérimentés de l’école que je fréquente : je mélange encore ma gauche et ma droite, récemment j’ai mélangé mes bras et mes jambes. C’est vraiment hilarant, cette discipline fait en sorte qu’un de mes atouts devient un défaut. En combat libre « rolling », je me bagarre comme une remorqueuse en utilisant beaucoup trop de force et en écrasant lentement tout ce que je trouve pour obtenir une soumission. Le résultat est que j’apprends plus lentement que je devrais à cause de ma force. Pire encore, il m’est arrivé de croire que je devenais compétent parce que je compense mes défauts techniques en écrasant tout. Mon plan de match: « Hulk Smash! » J’ai beau me consoler en me disant que le légendaire Georges St-Pierre s’est fait soumettre 5 fois en 5 minutes à ses débuts en jiu-jitsu par un adversaire plus petit, je suis à plusieurs galaxies sous le niveau de GSP et en plus les instructeurs de mon école sont tous plus légers. C’est difficilement plus drôle. Surtout dans la complicité avec les autres. L’autre jour, un étudiant que j’aime bien m’a soufflé à l’oreille en me roulant doucement en boule sur moi-même : « Ne t’inquiète pas, j’ai roulé un cochon de 300 livres de cette manière cette semaine ». Je garde l’impression d’être un projet d’origami pour les autres. Donc, je me fais soumettre par des petits, des grands, des jeunes et des plus vénérables que moi. Forcément, cet art martial fonctionne et la principale leçon que je retiens est que si jamais j’ai juste une partie de ce talent, je vais pouvoir soumettre des adversaires beaucoup plus grands et forts. « Hulk ego smash, sniff sniff » Sources De simples recherches de base dans les outils électroniques peuvent donner une tonne d’informations… Tu veux me rouler en boule en me disant des mots doux à l’oreille? Tu veux t’initier aux arts martiaux et découvrir un autre monde? Je te recommande de suivre le lien suivant : www.neovsgym.com/?fbclid=IwAR0RzCGN_BlNUi5hZgMt0RwCrgNPHbWPTBcbeeolwgGYwmwh_B-3fWmDx8w
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Chaque jour quand je garde une habitude dont je suis fier, j'inscris un "x" sur le calendrier. Les "x" forment une chaîne et la seule règle importante est de "ne pas briser la chaîne". J’ai quelques questions sur la motivation qui méritent des réponses. La question que j’ai souvent est donc double : qu’est-ce qui te motive et comment rester motiver? La réponse est très décevante. « C’est qui je suis » Pour ma part : je lis pratiquement plus que jamais et j’en suis à plus de 230 jours consécutifs d’activité physique quotidienne. Je vise un record de lecture (même si mon travail implique de lire) et pourquoi pas 365 jours d’activité physique? Je prends le temps de me définir, me présenter et d’agir comme une personne active et un lecteur. La source la plus profonde pour des actions ou des comportements serait l’identité. Tout part très exactement de là, que ce soit conscient ou non. Quand on cherche à faire quelque chose de nouveau, c’est souvent par désir « d’être autre chose » ou de « changer ». On explore à tâtons, on « ne sait pas trop » et tout s’accompagne souvent d’un dialogue intérieur ou de commentaires : est-ce que je suis bon ou bonne, qu’est-ce que les autres vont penser de moi, que faire ensuite, est-ce que je vais être valorisé·e pour ma pratique, quels sont mes sentiments? Pour surmonter ce genre de questionnement, on se « motive » ce qui revient à dépenser de l’énergie pour poser des actions nouvelles (souvent inconfortables). Intrinsèque ou extrinsèque La littérature parle de « motivation intrinsèque » (qui vient de l’intérieur de soi) et de « motivation extrinsèque » (qui vient de l’extérieur de soi). On comprend aisément que ce qui est le plus fort est ce qui vient de l’intérieur et ce qui est fragile ou contextuel vient de l’extérieur. On mise donc sur le renforcement de la motivation dite intrinsèque. Mais sérieusement, je trouve tout ça trop compliqué pour les gens qui ne savent pas par quel bout instituer une habitude. Je dis souvent « fuck la motivation ». (je dis souvent fuck, c’est un mot que j’aime, c’est inconscient, c’est intrinsèque : je crois que c’est ma fucking identité.) La réponse simple Voici mon explication simple et ma recommandation de lecture si quelqu’un veut prendre de nouvelles habitudes (avec des exemples). 1 - Dans l’illustration suivante : d’où vient la motivation ? Source : CLEAR, James, Atomic habits, Penguin random house, New York, 2018, 306 pages. L’illustration est en page 30.
Le premier cercle est l’identité; le deuxième est le processus; et le dernier les résultats. L’erreur la plus commune est d’être trop attaché aux résultats. Partons des résultats : la personne veut un « corps plus efficace », on cherche à « obtenir une augmentation », il est question de « décrocher une entrevue », l’athlète veut « gagner une médaille », le plan est de « séduire x, y ou z », « de soumettre quelqu’un au jiu-jitsu », une quantité d’argent, etc. Ce sont des résultats, c’est très contextuel. C’est faible comme motivation, c’est extrinsèque et en dehors. Ceci est un secret zen et mystique de presque toutes les relations : les résultats sont hors contrôle. L’univers peut t’enlever les résultats et une fois que les résultats sont impossibles à atteindre pour une durée de temps, la motivation quitte. Exemple : crise économique (hors contrôle), résultats : très improbable d’être riche. Toutes les femmes que je rencontre sont superficielles ou détestent les rouquins (hors contrôle), résultat : personne n’est réceptif à la séduction. Les partenaires de jiu-jitsu sont plus expérimentés, plus calmes et se préparent à la compétition, résultat : la victoire par soumission m’échappe. Les résultats peuvent varier selon la journée, la température, le contexte économique, la forme physique, l’environnement, l’humeur des autres, l’orientation sexuelle, etc. Le cercle au milieu est le processus, c’est beaucoup plus intrinsèque. C’est le « comment la personne se rend à son objectif » et c’est beaucoup plus solide. S’attacher à s’entraîner, sentir son corps bouger, jouer au dek hockey, courir, cuisiner, obtenir des sourires de quelqu’un, avoir une bonne écoute, pratiquer le piano, répéter le théâtre, s’asseoir confortablement pour plonger dans un livre. Il y a une part extérieure (est-ce que les cours se donnent? Est-ce que j’ai accès à la pratique, quelqu’un à écouter, l’instrument de musique, etc.) Les Américains appellent ça « le grind », c’est une source forte pour les accrocs au travail. Ceci peut comporter une part inconsciente plus forte qui en dit long sur nous et notre passé. Il est fondamental d’apprendre à aimer le processus. Les champions de culturisme sont accrocs au « pump » dans les muscles, Stephen King est rigide à écrire chaque jour, une de mes proches décompresse systématiquement en « frottant les plancher ». Le résultat sera là, mais ce cercle est vraiment le processus. Le dernier cercle est celui de l’identité, c’est pratiquement uniquement intrinsèque (avec quelques composantes externes, des référents matériels). C’est une source presque inépuisable d’actions conscientes et surtout inconscientes. Les habitudes ou motivations qui logent ici sont les plus fortes. Comment on se définit dans le dialogue intérieur ? Qu’est-ce qui est dit lors des présentations à une nouvelle personne? On se dit un fumeur ou un consommateur? Probablement que d’arrêter de fumer sans aide sera difficile. Les qualificatifs sont importants : un artiste, un aidant, quelqu’un de généreux, un prédateur, une personne en forme, un parent responsable, un cultivateur, un professeur, etc. Ceci est profond, le processus vient après (certaines personnes changent de moyens pour combler un besoin identitaire) et les résultats sont variables (parfois on gagne, on perd, peu importe parce que l’identité est la même). L’interprétation des signaux extérieurs passe par l’identité. Ceci explique pourquoi la connaissance de soi est fondamentale et également pourquoi c’est une source si forte. Si on n’actualise pas ceci, on sent que l’on meurt un peu, que l’on s’éteint. Des exemples? Le 230 jours consécutifs d’activité physique modérées ou intenses n’est plus « coûteux » quand il se présente comme un enjeu identitaire :
Je vois le monde de cette manière: je soulève plus de choses, prends plus souvent les escaliers, suis stationné plus loin, mange en conséquence des dépenses énergétiques, pense à ma posture, etc. Les conséquences sont nombreuses : changements corporels, connaissance de soi, investissement de temps, blessures ou douleurs, nouvelles relations dans les arts martiaux, mais les « résultats » ne changent pas mon identité. Je suis actif blessé, par jour de pluie ou de grêle, lors des fériés et ainsi de suite. Un jour sans activité est un jour où je me perds. Plusieurs jours « je me fane » et une longue période serait un choc identitaire. Évidemment mon environnement, mon entourage et d’autres facteurs facilitent l’expression de cette identité. On peut déduire d’autre comportement pour celles et ceux qui se voient comme des artistes, militants, étudiants, victimes, mâles alpha ou autre. Le meilleur livre que j’ai lu pour instaurer de nouvelles habitudes est en référence sous le texte. La meilleure voie pour moi demeure une compréhension profonde de son identité. CLEAR, James, Atomic habits, Penguin random house, New York, 2018, 306 pages |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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