Je ne traverse rien de très difficile et je suis privilégié. Il y a des gens qui vivent des moments réellement difficiles. Comme un proche qui combat dignement le cancer ou cette étudiante qui reprenait les études l’année après le suicide de son enfant. Je suis donc chanceux et confortable. Je rencontre des personnes qui donneraient tout pour avoir une infime partie de mes conditions de vie. Des gens qui se dépassent. Dans la vie il faut tester nos limites : par l’art, ce que l’on donne aux autres, par notre présence morale et également par le fait d’exister dans son corps. J’ai un travail intellectuel et il me semble approprié de me mesurer dans ma zone la plus lointaine : par le mouvement. Il faut dire que 2019 est une année intense. À l’approche de mes 40 ans, au lieu de la fuite ou du laisser-aller vers un « dad body », j’ai décidé de relever quelques défis. Faire des actes de folies comme ceci : -Autopublier un livre puis le soumettre à un éditeur (je suis en attente de réponse). -Être meilleur dans ma présence pour mes étudiants et étudiantes. -Me marier (pour l’instant elle dit « oui »). -Courir la plus longue distance de ma vie à travers une montagne et 30 obstacles. Il est possible que le ciel me tombe sur la tête, que je ne sois pas un grand sociologue, que ce soit ma dernière course, que les étudiants se foutent de ma gueule et que ma promise me brise le cœur. Le risque n’est d’aucune importance. Il faut vivre au moins une fois avant la fin. Comment trouver la motivation J’aime garder en tête quelques moments difficiles. La mort de mon père et des lourdes pertes financières, une enfance pendant laquelle j’ai traversé le cycle de l’intimidation dans un milieu anti-intellectuel, le souvenir d’une relation amoureuse toxique et autodestructrice et le fait que j’ai refusé pendant longtemps de me diriger vers l’enseignement par sabotage personnel. C’est grâce à cette noirceur et aux mauvais souvenirs que je vais de l’avant. À partir d’un point tu es capable d’avancer juste parce que tu as traversé bien pire. Un épisode J’ai brisé mon dos autour de 2011. Un jour un médecin m’a dit qu’il était improbable que je « marche normalement de nouveau un jour » il a ajouté « je recommande l’abandon de toutes activités physiques intenses ». En gros, tout choc, même la course, pouvait endommager mon dos pour de bon. À mon pire : je perds le contrôle de mes jambes, du bas de mon corps et on me recommande une canne pour marcher. J’ai refusé. Fuck him. J’ai cogné à toutes les portes. Après des semaines j’ai trouvé un autre spécialiste de la santé avec d’autres conseils. Après des déboires amoureux et sans argent, j’ai été forcé de retourner vivre chez ma mère pour ma sécurité (avec l’abandon d’une part de ma dignité). Je garde alors l’impression sérieuse que les dieux tentent de me tuer. J’ai réappris à marcher dans le sous-sol de chez ma mère en pleurant comme un enfant. J’ai réappris à courir. Puis à soulever doucement des poids, puis intensément. Ensuite j’ai découvert la callisthénie (une forme douce de gymnastique) et je suis tombé en amour avec ce type de mouvement. Je suis allé trop loin dans ma discipline quitte à négocier plusieurs échecs. Puis j’ai rencontré la femme de ma vie, je suis devenu professeur, j’ai fait la paix avec la plupart de mes démons. Je me suis inscrit à une course à obstacles réputée difficile, j’ai dominé. Fuck them all. La différence entre le bonheur et la souffrance est relativement mince. Sur la route Je relève des défis comme des courses à obstacles juste parce que je suis en vie et que c’est un privilège. Aujourd’hui, j’ai deux enfants qui me regardent pour savoir ce qu’est un adulte et un certain type d'homme. Dans les premières leçons pour mes enfants, il y a la culture de l’effort et le respect des blessures. Tu peux tout avoir, mais pas tout en même temps. Et il faut bien comprendre le prix à payer. Ce que cette course de 21 km en montagne me demande ? Le prix à payer était lourd parce que j’ai plusieurs obligations. Je ne cours pas bien, je n’aime pas courir et l’hiver est glacial. Je suis un peu lourd (210 lb) et je n’ai pas le « format du coureur ». Dans un film d’horreur, je suis le personnage qui marche derrière ceux qui courent. Pour l’entraînement, je me suis acheté des crampons (12$) et il était commun que le visage me gèle et que je revienne de la course avec de la glace dans la barbe et plusieurs chutes. -J’ai brisé une corde à danser en passant à travers le cuir à force de l’user. -Je me suis fait voler un sac de poids que je trainais avec moi au coin d’une rue.
-Je me suis blessé plusieurs fois pendant l’entrainement et me suis fait de multiples ampoules douloureuses (malgré de la prévention). En janvier dernier, je suis capable de courir 15 minutes et après je suis un peu à bout. Mon cardio est mauvais et je suis lent. Je cours chaque semaine, après un entraînement musculaire (souvent avant que les enfants se lèvent donc entre 5h00 et 7h00 le matin). J’ajoute 2 à 5 minutes de course par séance. En février, je cours 30 minutes, en mars 45 minutes puis en avril je cours 10 km en moins d’une heure. En mai, je m’entraîne le matin et le soir (comme un détenu) et je fais quelques 10 à 15 km de course. En juin, les responsabilités familiales me rattrapent un peu. Je me retrouve un peu déstabilisé le jour de la course sur le flanc du mont Owl’s head. Des crampes, des douleurs, plus de 30 obstacles avec beaucoup de réussite et des gens plus forts et plus faibles que moi. Tu cours avec tes démons sur ton dos et la montagne est petite comparativement à tout le reste. Je me demande toujours si c’est cet obstacle qui va me battre et je suis curieux d’y retourner. La plupart du temps les difficultés ne m’impressionnent pas. Plus c’est difficile et plus je suis souriant… 8 heures plus tard, j’ai ma médaille pour la course et le cœur qui sait que la vie au complet est une analogie. Je sais que les dieux vont me tester encore. On ne choisit pas les difficultés, mais notre réponse aux obstacles. Je vais échouer ou je vais réussir et ce n’est pas important.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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