À lire : Mythes et réalités sur le peuples autochtones de Pierre Lepage! Un ouvrage pour démonter les préjugés et en apprendre plus. Le 2 novembre, j’ai eu le grand privilège de présenter un extrait de conférence sur les traumas subis et transmis dans les pensionnats autochtones.
Je tiens d’emblée à remercier ma collègue Joannie Daigneault pour l’opportunité, son exposé était clair et plein de faits troublants sur le traitement des membres des Premières Nations (Premiers peuples ou Autochtones). Comme il est difficile d’être compris sur un sujet aussi difficile en seulement quelques minutes, je résume ici ma pensée en fournissant des liens additionnels. Mes idées n’engagent que moi : pas mes collègues, pas mon employeur, pas mes ancêtres ni mes enfants. J'ai parfois un regard légèrement excentrique sur les problèmes sociaux. Mon regard personnel:
J’ai ouvert sur des expériences de neurobiologie de Henri Laborit dans Éloge de la fuite (référence ici[1]). En gros, dans un laboratoire on expose des rats à des signaux visuels et sonores qui annoncent des chocs électriques (de la souffrance) en offrant des environnements différents. 1. Environnement 1 Le rat peut fuir sa cage dans un espace capitonné. Cet animal se remettra du trauma relativement facilement en apprenant à fuir la douleur. 2. Environnement 2 Deux rats sont mis ensemble sans possibilité de fuir. Au signal sonore les rats vont se battre pour dissiper la tension. Fait qui semble étrange : les animaux garderons peut ou pas de séquelles du trauma selon Laborit. Comme si le passage à l’action agressive permet de diffuser la tension. 3. Environnement 3 Le rat est seul et ne peut rien faire d’autre que de subir le choc. Non seulement le trauma sera plus fort (après tout, les chocs sont répétés), mais il gardera des séquelles un mois plus tard et possiblement plus longtemps. Autrement dit, il somatise la douleur de l’environnement pour la retourner contre lui. Henri Laborit expose ensuite les trois tendances humaines (agression, fuite, somatisation) devant des chocs de l’environnement, la douleur et ainsi de suite. On peut immédiatement associer une des trois grandes tendances à des cultures ou des comportements plus genrés[2]. Chez le mammifère humain, on s’entend que la communication (le passage par l’univers symbolique) favorise une dissipation des tensions. Sur ce point je recommande le très populaire Guillaume Dulude avec « Je suis un chercheur d’or » (référence ici[3]). Voici les citations utilisées dans la conférence : « Si un humain souffre devant une personne, qui, elle, ne souffre pas, il aura tendance à la faire souffrir pour éviter d’être seul, afin d’équilibrer sa vulnérabilité. Il nous arrive même de faire mal à ceux que nous aimons. […] Ce n’est pas parce que nous aimons le faire. Cela fait ressortir un aspect fondamental de l’humain: il souffre davantage de la solitude ou de l’absence de connexion que de n’importe quelle autre douleur » (p.503 et p.547) En cherchant sur les traumatismes liés au passage dans les pensionnats, on se heurte aux difficultés des sciences sociales à obtenir des données claires sur l’impact du passage dans les pensionnats, sur notre méconnaissance des mécanismes de transmission intergénérationnelle des traumas et sur le fait qu’ici et maintenant il n’y a pas de lien causal entre le passage par les pensionnats et les traumatismes (voir la note 1). Quels sont les liens que l’on peut établir avec mes babillages et le passage dans les pensionnats? Une fois que l’on écarte la causalité scientifique, il ne reste que des témoignages, des prises de conscience, des extrapolations théoriques et pour un sociologue en action : une recommandation aux décideurs politiques. D’après moi, les enfants qui sont passés par ces institutions totalitaires que sont les pensionnats sont les sujets de chocs considérables. Un environnement violent, des agressions quotidiennes dans toutes les catégories et un processus d’intériorisation de la haine de soi. Ceci ressemble étrangement à une cage électrifiée sans possibilité de fuite. Les chances de somatisation sont donc maximales pour les ex-pensionnaires. Si on ajoute à cela l’absence de reconnaissance dans le pays et la province, l’écart de la langue pour reconnaître, partager et vivre la douleur, les tensions seront pratiquement impossibles à dissiper. Et une réserve ressemble à quoi pour la suite ? Parfois à une plus grande cage avec plus de possibilités certes. Les communautés sont variées et certaines s’en sortent mieux que d’autres. Mais « rassembler puis mettre à l’écart » les personnes traumatisées ressemble à une suite violente sans une véritable possibilité de guérison. Et les cultures autochtones ? Elles sont souvent rieuses plutôt qu’agressives, contemplatives plutôt que productives, tournées vers la spiritualité et les cycles. Autant d’ingrédients qui prédisposent à une mélancolie. Les risques de somatisation sont donc immenses et c’est une réaction biologique et sociale qui me semble complètement prévisible. Il y aura certainement des minorités agressives, tout d’abord envers la communauté et ensuite vers l’environnement. Possiblement des branches plus guerrières qui décideront d'extérioriser les tensions. Cette réaction me semble également une suite logique. Et on constate, de l’extérieur, uniquement les soubresauts de cette douleur ou alors les dérangements qui entourent les communautés pour une majorité inconsciente avec des réflexes de déni. Des solutions ? La froide logique comptable des décideurs politiques, ceux qui attendent les définitions parfaites et les preuves irréfutables, fait en sorte que les problèmes sociaux perdurent. Mon sentiment est que la première piste de solution part d’une écoute de chacune des communautés selon ses besoins et sa culture (sous-culture). Il faut évidemment limiter les expressions de violence dans un premier temps (parfois avec de la répression), mais il me semble évident qu’il faut se permettre plus… Il faut faire au moins autant de prévention, d’éducation et de soutien que de répression (et pourquoi pas davantage?). Une intervention holistique (sur les agresseurs, les victimes, les enfants, les aînés, la culture, la langue, la politique, l’histoire et l’environnement socioéconomique) me semble incontournable. On responsabilise donc pleinement les individus sans jamais nier l’importance d’une action collective et d’un environnement sain. Évidemment que l’on peut attendre des années pour prouver hors de tout doute l’impact précis et clair du passage dans les pensionnats et la transmission intergénérationnelle. Mais les gouvernements présentent déjà des excuses pour les pensionnats. Une fois que les excuses sont présentées, mieux vaut errer un peu du côté de la générosité en tentant de réparer et soutenir que d’attendre en espérant que les souffrances disparaissent par magie. Les questions sont légitimes : pourquoi attendre ? Pourquoi prendre le risque de ne pas soutenir les communautés et d’être encore absent dans l’écoute et l’entraide ? Mon impression est que les communautés n’attendent que l’opportunité de faire face aux défis. Note 1 Les données sont difficiles à obtenir pour plusieurs raisons : le poids de la honte des victimes, le peu d’études réalisées rapidement sur ce genre de question, la destruction des données médicales des résidents des pensionnats et la cécité collective sur cette douleur (une forme de fuite par le déni). Voir ici sur les archives médicales: https://www.ledevoir.com/documents/special/2021-06-pensionnats/index.html Voir cette étude sur les traumas à l’âge adulte https://www.erudit.org/en/journals/efg/2016-n25-efg03027/1039497ar/ Voir cet essai doctoral entre autres sur l’impossibilité d’établir un lien causal https://constellation.uqac.ca/2648/ [1] LABORIT, H. Éloge de la fuite, folio essais, 1977, 186 pages. [2] Pour les amateurs de science-fiction : c’est exactement le test que passe Paul Atréides dans Dune avec le « Gom Jabbar ». Essentiellement c’est la question suivante : Est-ce que le personnage de Paul transcende les réflexes de fuite, d’agression et de somatisation ? Peut-il retrouver le calme dans la douleur et se poser en maître de ses instincts et de son destin ? Voir : HERBERT, F. Dune, Robert Laffont , 1970 [1965], 349 pages [3] DULUDE, Guillaume, Je suis un chercheur d’or, Les éditions de l’homme, 2020, 567 pages
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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