Des leçons à prendre du milieu communautaire J’enseigne parfois en T.E.S. (comme cette année) et nous recevons dans mon cours des représentantes des organismes d’action communautaire autonome. Cette semaine, je veux partager sur ce que j’ai tiré de mon passage comme employé au sein d’un organisme. À la fin de mes études en sociologie, j’ai postulé sur un emploi dans un regroupement dans le but de m’impliquer. Tout ce que je peux dire c’est que l’aventure a été absolument incroyable. Je recommande à chaque étudiant et étudiante de passer par un organisme communautaire : comme membre, bénévole ou employé. Pourquoi? Voici quelques éléments tirés de mon passage : #1. Hommes et femmes-orchestres (« toutes autres tâches connexes ») Je n’ai jamais fait autant d’apprentissages que lors de mon passage dans un organisme communautaire. Plus que dans tous mes autres emplois, plus que dans mes lectures, plus que pendant mes études et dans mon travail de professeur. Pourquoi? Parce que chaque personne touche absolument à chacune des parties du travail. Prenons un cas dans le regroupement : j’utilise mes connaissances en sociologie et mon passage dans les associations étudiantes pour proposer une action politique auprès d’un député local. Qu’est-ce que tu apprends alors à faire? Tu dois d’abord convaincre les autres de ton idée, trouver un terrain d’entente et un compromis. L’idée originale sera modifiée, mais ton rôle est de la porter quand même (tu pratiques le lâcher-prise). Tu conçois le plan d’action, tu le rédiges, tu le mets en page, tu prends contact avec le député, tu montes la salle, tu reçois, tu parles devant un grand nombre de personnes, tu ranges la salle, tu fais le bilan et ainsi de suite… C’est ainsi dans tous les dossiers! Si tu veux, tu apprends et tu te développes chaque jour. #2. Fier et humble Chaque groupe a une mission importante : aider les pauvres, des victimes qui passent d’un statut passif à actif, des gens délaissés et dans le besoin. C’est très motivant de faire la différence dans la vie des autres et d’être une source de lumière. Plus encore, les milieux communautaires sont un terreau pour l'innovation dans les pratiques sur le terrain. Les nouvelles pratiques d’intervention sont souvent des produits directs de l’intervention communautaire. Le contact avec les organismes fait découvrir des trésors, des approches originales, des gens de cœur et d’action. Malgré ces réalités, la très forte majorité des intervenantes et intervenants des milieux communautaires sont d’une grande humilité. À mes yeux, il n’y a pas de plus belle fierté que celle des personnes qui traversent des difficultés. Les groupes sont souvent très fiers des missions tout en étant d’une grande humilité. Tu veux limiter ton ego? Je recommande également le passage par un organisme communautaire. Se faire apprendre des tâches (voir mon numéro #1) par des gens qui ont une grande expérience terrain et qui réussissent mieux que toi est un remède presque instantané. Mon ego était spécialement surdimensionné à la fin de mes études. Se faire rappeler à l’ordre par une ex-toxicomane, une dame devenue présidente d’un organisme ou un bénévole qui voit plus clair que moi sur un dossier sont des leçons que je porte toujours. #3. “Small is beautiful” Une des forces des organisations communautaires provient de la taille relativement petite des organisations. Avec une petite équipe, chaque personne est importante et consciente du travail des autres. Les conflits sont souvent abordés rapidement et chaque membre assiste les autres dans les tâches importantes. L’innovation est locale, l’impact est direct et clair, les contacts sont chaleureux. Dans les pires moments la taille réduite peut permettre des comportements tyranniques, mais la beauté c’est que la portée d’un organisme est limitée. Plusieurs petits villages avec des élus corrompus sont moins dommageables que lorsque Montréal a les deux pieds dans la corruption. On peut donc traverser les pires moments et remettre un organisme sur pied. Autre bénéfice : la fluidité et la rapidité des changements proposés. Tu peux clairement changer un plan d’action, transformer ton travail et ta communauté après quelques rencontres. Ça donne moins l’impression de tenter de faire tourner un paquebot sans aide sur une rivière. #4. Des gens incroyables Je sais que l'on trouve également des hommes de valeur dans les milieux communautaires. Mais à majorité ce sont des femmes qui font le don d’elles-mêmes avec le pari incertain d’améliorer le monde qui les entoure. Souvent avec une famille à la maison, des années d’études et beaucoup de responsabilités, les travailleuses des milieux communautaires pourraient donner des leçons de résilience morale. Une force tranquille, mais constante, presque implacable fait que les organismes continuent de se relever après mille et une épreuves. J’ai adoré rencontrer des gens qui portent des cicatrices de la vie et qui peuvent te transmettre directement de la sagesse. Évidemment, les leçons sont parfois liées à des récits de vie ou des problématiques spécifiques, mais la beauté des gens qui portent une mission contre vents et marées est très grande. #5. L’éternel débutant Principe zen découlant des leçons de sagesse de l’Asie, être un éternel débutant implique à la fois un esprit ouvert et humble (comme la première leçon). C’est cet esprit qui permet de constamment apprendre, spécialement dans les terrains inconnus sur lesquels plusieurs organismes s’engagent. Quelqu’un d’ouvert qui veut explorer des nouvelles avenues trouve pratiquement toujours son compte dans le milieu communautaire. Tu es un orateur : les besoins y sont, créateur web : il y a de la place, tu aimes écrire : demande et bulletins pour les membres abondent ; tu veux faire un plan d’affaires ? C’est justement ce dont nous avons besoin. Les opportunités sont souvent limitées par les capacités de chacun. Pour apprendre, c’est un terrain de rêve. Tu apprends en passant à l’action et les espaces pour faire des expériences sont nombreux. #6. Ce qui te rend unique… Voici ici une leçon importante, mais plus nuancée. De par leur spécificité, les organismes sont confrontés à des causes bien particulières : la pauvreté, les dépendances, la santé mentale, la violence, etc. Au fil du temps, chacun développe des outils et une perspective particulière. Dans certains cas on mise sur des recettes et des capacités uniques. Cet aspect est une richesse des milieux communautaires. Il arrive que la spécificité nous éloigne des autres, qu’elle donne un sentiment d’isolement et que notre distinction mène à un éloignement des autres. Dans le meilleur des cas, le contact avec le groupe (par l’entremise des regroupements et des tables) peut permettre de mettre nos couleurs en commun ou de tout simplement reconnaître la beauté des autres organismes dans ce qui est unique chez chacun. Comme jeune sociologue de formation, mon défi a toujours été de rassembler les organismes et les missions. Au-delà du caractère spécifique de chacun, il faut s’unir devant la question sociale que pose chaque mission. Voilà quelques leçons tirées de mon passage dans le milieu communautaire. Je crois qu’une personne en intervention spécialisée et que des jeunes diplômés en sciences humaines peuvent en tirer autant que moi sinon plus. Je recommande donc chaudement votre implication dans un organisme. Après tout, la meilleure manière de se remonter le moral est d’aider quelqu’un d’autre. "Engagez-vous qu'ils disaient!"
0 Commentaires
|
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
|