Partie-1 : Genèse des organisations criminelles.Oh ironie ! L’État québécois qui est poursuivi par les Hells Angels pour un total de 89 millions de dollars. Notre État n’est pas outillé pour traiter massivement toutes les preuves contre une organisation criminelle et les délais sont beaucoup trop longs. Résultats : les présumés Hells peuvent alléguer être des victimes de « détentions illégales, d’accusations mal fondées et de détentions abusives ». Quel cirque! À lire ici : www.journaldemontreal.com/2019/03/18/un-proche-des-hells-reclame-4-millions-a-letat-quebecois Pourquoi cette situation nous arrive ? Attendre trop longtemps permet à un groupe criminel de s’infiltrer partout, de gagner en puissance et d’être pratiquement impossible à déloger. Je m’intéresse aux organisations criminelles dans le cadre d’un nouveau cours au Cégep de Granby. Je tente de résoudre des mystères comme celui des organisations criminelles. Quelles sont les raisons qui font émerger une organisation criminelle ? Voici une partie de mes notes qui expliquent les raisons derrière l’émergence des organisations criminelles. 1-Le vide laissé par un État désorganisé. 2-Le renforcement d’une prédisposition dans le cadre normatif ambiant. 3-Une culture qui favorise l’indépendance et l’agressivité. 4-Un besoin fort d’une place dans la hiérarchie sociale pour les jeunes hommes. 5-Les demandes d’une population pour des produits ou services illicites (légitimes ou non). J’explique au tout début de la session qu’une société sans criminalité est impossible. En sociologie, nous affirmons que le crime a une fonction sociale, une utilité pour le groupe. Cette idée provient d’un des pères fondateurs de la discipline, Émile Durkheim (dans un formidable texte qui se trouve sous « Pour aller plus loin » en bas de ce billet). En résumé, le crime peut faire évoluer une société, particulièrement la question des droits civiques et de ce que l’on juge moral ou non. On comprend bien que c’est le cas de la liberté d’expression et également celui de Socrate (le sage philosophe condamné à mort à cause de ses prises de parole qui troublait les dirigeants). Mais quelles fonctions peut bien avoir une organisation criminelle ? Voici la définition tirée a même le site de la Gendarmerie royale du Canada. C’est une définition de base, mais elle aide à mieux comprendre de quoi nous parlons. Un autre père fondateur de la sociologie, Max Weber, écrivait qu’un État est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la violence sur un territoire donné »[1] (p.22,l.9) C’est beaucoup plus intéressant pour débuter les réflexions sur le crime organisé. En fait, les cyniques peuvent postuler que la seule différence entre le crime organisé et un État est l’aspect légitime du contrôle de la violence sur un territoire. Un État bien organisé ne permet pas aux organisations criminelles d’émerger puisqu’il y a peu d’espace pour des pouvoirs illégitimes sur le territoire. Le problème que je constate, c’est qu’historiquement il y a pratiquement toujours des contextes qui font en sorte que les organisations criminelles s’enracinent sur les territoires. Autrement dit, une organisation criminelle remplace l’État quand ce dernier ne joue pas son rôle. Pire, il peut arriver que des États renforcent des organisations criminelles en ayant besoin de leurs services. C’est le cas de l’Italie avec la Mafia, du Japon avec le Yakuza, de la Chine avec les Triades, de la Russie avec les Vory y Zakone (les Vors) et de plusieurs autres. Dans tous les cas mentionnés ici, les entités politiques ont formulé des demandes auprès des organisations criminelles. Cet échange de services ou cette entente tacite est le terreau de toutes les organisations criminalisées. Donc un État désorganisé est un facteur essentiel pour voir naître une organisation criminelle. Mais il faut plus, il faut un contexte culturel qui permet à l’organisation criminelle de devenir légitime aux yeux de la population. Le fameux cas de la mafia italienne La mafia sicilienne, pratiquement la matrice (le modèle) pour toutes les autres organisations criminelles, provient d’un contexte culturel spécifique. La Sicile, au sud de l’Italie, est divisée en régions montagneuses avec des difficultés de communication entre les régions. En 1600, les terres sont divisées entre des barons qui entrent parfois en conflit les uns avec les autres. Il était commun de mobiliser des criminels violents pour arbitrer et maîtriser des conflits. Les plus influents étaient surnommés « des parrains » car ils se positionnaient au-dessus de certains conflits pour pouvoir arbitrer. On les utilise pour leur contact, leur ressource, leur débrouillardise et l’aisance avec laquelle ils emploient la force. Avec une forte influence régionale, être un mafieux c’est avant tout être « régionaliste » avant tout. C’est quelqu’un qui porte une tradition locale et qui apporte ordre et de nombreux services. Le terme désigne également quelqu’un de prompt, de querelleur et parfois de violent (c’est un peu comme si la Sicile de l’époque regorgeait de personnage comme Séraphin Poudrier, un mafieux calme, mais un mafieux quand même). Un parrain est donc une sorte de Séraphin, mais sur les stéroïdes. Quand les Espagnols tentèrent de prendre le contrôle du territoire, ils ont eu grand besoin des services des criminels organisés pour maintenir l’ordre et comprendre l’organisation du territoire. On assiste donc à l’organisation d’une société sans État clair qui mélange les pouvoirs des aristocrates, de la police, de l’Église et des criminels. La Sicile était le terrain parfait par le mélange des facteurs géographiques, de la culture traditionnelle, de l’esprit régionaliste et des nécessités politiques d’alors. Méfiants des empires, les Siciliens préfèrent s’en remettre aux organisations locales, aux « parrains ». On constitue donc une forme d’anti-État en parallèle des organisations locales. Ce sont donc, à l’origine, des services de règlement des conflits, de logement, des conseils, de l’accès à l’emploi, de la protection. On se protège des autres régions, des autorités espagnoles, des étrangers et des aristocrates qui abusent de leur pouvoir. Le parrain a des hommes à sa solde qui s’assurent que tout se passe bien. On paie pour la protection parce que ce sont des gens de notre région qui protègent et assurent un ordre (le fameux « monopole de la violence »). Au début… Puis avec le temps, on dénonce ceux qui agissent sans payer la taxe puis on paie sinon quelqu’un vient saccager notre commerce. Qui vient saccager ? Les hommes du parrain. Et où aller pour dénoncer ? Il est trop tard, l’organisation est partout. Mieux vaut la joindre que la combattre. Même les États-Unis, pour la gestion des immigrants en Nouvelle-Orléans demandaient aux membres de la mafia d’organiser les chantiers de travail, de trouver des logements, de les ordonner (les garder dociles) et surtout de voter pour le bon parti lors des élections. On est alors à la fin 1800 et c’est le lieu de naissance de la Cosa Nostra en sol américain. C’était « donnant-donnant » pendant un temps… Et ensuite, quand l’État veut reprendre le contrôle de son territoire, les tentacules des organisations criminelles sont partout et il est très difficile de purger les systèmes économiques, politiques et l’organisation sociale. L’État découvre qu’il est incapable de poursuivre adéquatement les organisations criminelles sans des changements majeurs dans ses appareils politiques, judiciaires, étatiques et policiers. Un peu comme notre gouvernement cette semaine avec la poursuite à 89 millions de dollars de nos anges de l’enfer. La suite bientôt! [1] P.22,l.9, WEBER, Max, Le savant et le politique, 1919, Paris: Union Générale d’Éditions, 1963, 186 pages. Collection: Le Monde en 10-18. POUR ALLER PLUS LOIN
DURKHEIM, ÉMILE, Le crime, phénomène normal, en ligne : classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/crime_phenomene_normal/crime_phenomene_normal.html LUPO, SALVATORE, Histoire de la mafia des origines à nos jours, Flammarion, 1999, 395 pages SHANTY, FRANK, Mafia. Les plus grandes organisations criminelles du monde, H.F. Hullman, 2011, 351 pages. WEBER, MAX, Le savant et le politique, 1919, Paris: Union Générale d’Éditions, 1963, 186 pages. Collection: Le Monde en 10-18. En ligne : classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.html
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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