Voici la suite sur les écrits de Nassim Nicholas Taleb. Je m’inspire toujours ici de son dernier ouvrage Skin in the game. Lindy est un traiteur de New York avec un espace où les acteurs se rencontrent pour discuter des pièces de Broadway. Une heuristique a été découverte : si une pièce dure depuis 100 jours, elle risque très fortement de durer 100 jours de plus. C’est également le cas pour un succès qui dure depuis 6 mois ( on peut prévoir 6 autres mois) et ainsi de suite. L’effet est minime quand c’est le cas de la couverture médiatique des gagnants des spectacles de télé-réalités (elle retombe souvent aussi rapidement qu’elle est montée). L’effet est majeur quand on pense à la pièce Broue. C’est « l’effet Lindy ». Est Lindy ce qui vieillit à l’envers : plus la chose existe depuis longtemps, plus elle a de chances d’exister encore pour longtemps. On comprend que l’effet s’applique à ce qui est non-périssable (désolé grand-maman, je vais me reprendre plus loin dans ce texte) : les idées, les systèmes politiques, les croyances religieuses, les modes d’organisation, les procédures, etc. Il est vrai de croire que l’évolution demande la variation, mais une variation qui n’est pas trop fréquente. Pour récolter le gain qu’apporte une mutation, il faut que cette dernière dure un certain temps. La modernité et la postmodernité introduisent le changement pour le changement. C’est ce que l’on appelle la néomanie. La néomanie c’est la dernière position sur l’allaitement, la dernière diète miracle qui sort d’Hollywood, une réforme du système de santé, la dernière édition du DSM, le guide Mieux vivre, les médias et ce sont les tableaux blancs de Jean Charest. Les tableaux blancs: des merveilles technologiques qui allaient changer le monde de l’éducation, et qui sont délaissés en moins de 10 ans![1] Pour le même prix, il était possible d’entretenir les bâtiments, de soutenir l’enseignement, d’engager des techniciens et techniciennes spécialisés. Mais alors qu’est-ce qui est Lindy dans le vaste monde? La forte majorité des conseils de grand-maman passe le test de Lindy. Même chose avec les croyances religieuses pour lesquelles plusieurs personnes manquent de respect et de compréhension. Si les croyances religieuses ne sont pas attrayantes, il faut reconnaître l’importance d'une vie spirituelle. Il est fort malheureux de sous-estimer l’utilité d’une pratique et d’un code qui permettent la survie de plusieurs civilisations pendant des milliers d’années. Une fois que l’on fait passer le « test de Lindy » à un phénomène, que reste-t-il ? Pour l’éducation : Un exposé magistral par une personne passionnée qui est maître de son sujet ne se démodera jamais. Comme professeur passionné, on me donne une classe à moitié décente, 10 minutes, un groupe de 30 personnes et un sujet accessible et le succès est garanti. Pas besoin de gadgets, d'effets visuels, de films, de pédagogie inversée et ainsi de suite. Pour l’alimentation : Des aliments naturels, manger à sa faim en apprenant à écouter son corps. Un individu va prendre du poids si il mange trop et va perdre du poids si il dépense plus d’énergie que ce qu'il consomme. Grand-maman peut te dire qu’il y a une variation d’un corps à l’autre (un poids génétique) et certaines personnes sont nées avec une tendance vers un certain type de physique. Les bébés mangent à leur faim sans atelier sur la question, c’est le conditionnement social qui nous fait perdre quelque chose d’inné. Pour la condition physique : Des mouvements naturels, se donner un temps de récupération en lien avec sa fatigue, travailler un peu plus lors du prochain entraînement (en levant des charges plus lourd, en travaillant plus rapidement ou plus longtemps) et conditionner son corps au-delà du jugement de notre esprit. Il faut préférablement cultiver sa force dans un environnement naturel (à l'extérieur) et non dans une salle climatisée. Pas besoin de suivre un cours de 15 heures sur la respiration. Grand-papa respirait sans suivre de cours. C’est pour cette mystérieuse raison que les professeurs de littérature font lire des classiques, que Wadji Mouawad s’inspire des tragédies grecques, que Céline Dion va continuer de chanter des chansons d’amour et qu’il n’y a pas de meilleur breuvage que de l’eau après de longs efforts. C’est Lindy. Dans Skin in the game, Taleb ferme l’ouvrage sur une longue maxime que je me suis permis de traduire ici. C’est une traduction maison que je relis de temps à autre. Voici la longue maxime qui conclut le livre de Taleb : « Pas de muscles sans force, D’amitié sans confiance, D’opinion sans conséquences, De changement sans esthétique, D’âge sans valeur, De vie sans efforts, D’eau sans soif, De nourriture sans nutriments, D’amour sans sacrifices, De pouvoir sans équité, De fait sans rigueur, De statistiques sans logique, De mathématiques sans preuves, D’enseignement sans expériences, De politesse sans chaleur, De valeur sans manifestation matérielle, De diplôme sans érudition, De militarisation sans robustesse, De progrès sans civilisation, D’amitié sans investissement, De vertu sans risque, De probabilités sans ergodicité, De richesse sans son exposition publique, De complication sans profondeur, D’aisance sur un sujet sans contenu, De décision sans asymétrie, De science sans scepticisme, De religion sans tolérance, Rien sans la peau en jeu ». -Skin in the game page 236, Nassim Nicholas Taleb Taleb, Nassim Nicholas, Skin in the game, Hidden asymetries in daily life, 2017, Random House, 279 pages. [1]Scali, Dominic, « Les tableaux blancs de Charest sont déjà finis » , Le Journal de Montréal, 4 mai 2018, En ligne : http://www.journaldemontreal.com/2018/05/04/les-tableaux-blancs-de-charest-sont-deja-finis , page consultée le 31 mai 2018. Pour aller plus loin: Voici un article sur l’effet Lindy: Vincent, Rémi, « Un expert nommé Lindy », A man in the arena, amaninthearena.com/effet-lindy/ Voici le discours de Nassim Nicholas Taleb : www.youtube.com/watch?v=Fzmr3urk28I À écouter spécialement à partir de la minute 16.
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Il y a quelques années, dans un cours, j’ai manifesté à voix haute mon insatisfaction face à l’ennui général que suscitent la plupart des manuels scolaires. Pour moi c’est un péché majeur que d’ennuyer quand vient le temps d’enseigner.
Un étudiant s’est exclamé sur un ton bienveillant : « Si tu n’es pas content, tu as juste à l’écrire ton manuel ». En excluant l’audace des propos, c’est un des commentaires qui me lança dans l’écriture d’un manuel pour ma discipline. C’est un exercice qui me sort du rôle de « gérant d’estrade » pour plonger directement dans l’arène et risquer ma peau. Il est essentiel pour un vivant qui veut évoluer de prendre des risques. Une de mes dernières lectures porte justement sur ce thème. Skin in the game traduit par Jouer sa peau est le dernier livre de Nassim Nicholas Taleb. « Trop nombreux sont ceux qui dirigent le monde sans mettre leur peau en jeu ». Un seigneur (au sens noble), est seigneur parce qu’il protège les autres. Il échange une prise de risque personnelle contre un statut qui lui est conféré par les gens sous sa protection. Je n’adhère vraiment pas à tout ce que cet auteur peut écrire, mais je dois admettre que le lire force la réflexion et bouscule. Dans Skin in the game, Taleb affirme qu’on ne devrait jamais obtenir une récompense ou un bénéfice, alors que quelqu’un d’autre assume des risques pour nous. Autrement dit : on devrait toujours prendre des risques en proportion avec le gain que l’on vise. Nous vivons à une époque trouble dans laquelle les dirigeants (et les systèmes) excellents dans le transfert des risques vers la population. L’image de la compagnie d’assurance peut rapidement venir en tête. Le cas le plus aberrant est celui des banques lors des crises financières. C’est également la situation avec les gouvernements du Québec, celle de l’introduction des nouvelles technologies, de l’administration Trump, des entreprises qui transfèrent les risques vers l’environnement et de plusieurs docteurs (qui transfèrent les risques directement sur le patient ou dans le futur). Pour Taleb, nul ne devrait avoir une opinion sans risquer sa peau. Évidemment, il ne vise pas ici les petites entreprises, les chauffeurs de taxi ou même un beau-frère dans un souper de famille. Si le principe du transfert de risque n’est pas clair pour vous, je peux vous assurer que tout le deviendra le jour de la négociation d’une hypothèque pour l’achat d’une maison. Un exemple spectaculaire dans les dernières années est l'explosion du train à Lac-Mégantic : tous les risques pour une population vulnérable et des décideurs protégés qui récoltent des bénéfices. C'est un problème majeur de notre époque. L’auteur s’en prend plus explicitement aux bureaucrates, aux journalistes, aux analystes de toutes sortes, aux dirigeants, aux intellectuels et spécialement aux « interventionistas » (les interventionnistes). Il cite des cas récents comme les conflits armés causés par des interventions occidentales qui provoquent ensuite des vagues de migrations, des perturbations économiques, une montée du racisme et des crises humanitaires. L’impact des crises est global alors que les premiers responsables de la débâcle occupent toujours des postes d’influence. La situation devient absurde lorsque l’on mise sur les responsables de l’émergence d’une crise pour nous sortir de cette dernière. Pour le dire autrement : Taleb chasse ceux qui se mettent à l’abri des risques et qui font porter toutes les conséquences de leurs actions sur le reste de la société. Un des signes pour reconnaître facilement les gens qui n’ont pas leur peau en jeu est qu’ils sont incapables de reconnaître une solution simple. Plusieurs professionnels, dans tous les domaines (et spécialement en éducation), gagnent leur vie en complexifiant inutilement le travail des autres. C’est souvent le cas des experts, des consultants et d’une large proportion des conseillers. Pour savoir ce que vaut un expert : il faut regarder ses actions et ses accomplissements. Un conseiller financier? Il faut regarder les investissements, les dettes et les avoirs du conseiller. Un expert sur le bonheur ? Est-il heureux dans sa vie personnelle? Un entraîneur ? Son physique et des succès passés (avec des athlètes) sont de bons indicateurs. Simple et efficace. Je vais revenir sur Taleb sous peu, un libertarien qui me fascine dans son retour vers des simplicités désarmantes et essentielles. En attendant, je vais poursuivre mes corrections de fin de session et mon fameux livre de sociologie question de mettre ma peau en jeu. Pour voir l'auteur lui-même présenter son livre: www.youtube.com/watch?v=pzBdTV8Qwo8 Taleb, Nassim Nicholas, Skin in the game, Hidden asymetries in daily life, 2017, Random House, 279 pages. C’est épuisant, c’est prenant et c’est un lot de responsabilités. Pour un homme, c’est une participation (minimale) à la conception et ensuite c’est une vie transformée. L’implication peut être variable et les journées difficiles s’évitent difficilement.
Aujourd’hui, c’est une sale journée pour moi, au lieu de me rendre à Québec visiter un ami, je suis cloué à la maison avec un enfant malade. D’où l’idée de prendre le tout en riant et de relater 10 moments hilarants avec fiston. Voici, dans le désordre: 1. Au sujet de ce qu’il aime à propos de ses parents. « Ma maman, c’est la plus belle. » « Mon papa, il est toujours chaud. » (Je jure qu’il commente ici ma chaleur corporelle) 2.Dans mes premiers changements de couche à l’hôpital. Mon fils m’a aspergé le visage (spécialement la barbe) d’urine. Je garde le souvenir d’un moment de joie, de dégoût, de surprise et l’hilarité générale devant mes tentatives pour terminer le changement sans que mon visage ne dégoutte trop sur mon enfant. 3.Quand Mathys constate qu’une voiture navigue difficilement devant nous et qu’un chien est visible. « C’est peut-être le chien qui conduit papa.» 4.Parce qu’une éducation ne protège pas contre les bêtises quotidiennes (au contraire). La fois où je « répare » avec succès et fierté un thermomètre pour prendre sa température avec plusieurs tests dans ma propre bouche. Ma blonde m’apprend finalement qu’il s’agit d’un thermomètre rectal. 5.La fois du pepperoni La fois où j’arrive en retard au travail et je me demande si mon employeur peut me fournir un formulaire sur lequel je peux cocher la raison suivante: « Mon fils refuse de s’habiller, il court tout nu en s’enfuyant dans la maison en criant PEPPERONI sans arrêt » Finalement, j’ai opté pour la case « Raison familiale » 6. Développer des nouveaux talents : - Brosser les dents à quelqu’un qui pleure ( avec les variations : habiller quelqu'un qui pleure, déshabiller quelqu'un qui pleure, etc.) - Avant d’avoir un enfant, tu croyais que tu savais ce que c’est que d’être fatigué. - Écouter sans cesse des histoires incohérentes (il arrive que mon fils commence des histoires par « quand j’étais grand »). - Monter le son de la radio pour enterrer son enfant qui pleure. - Apprendre à moucher son enfant sans aucun mouchoir (Merci de ne pas poser trop de questions). Tout y passe: les feuilles du parc, mes vêtements, mes mains, etc. Un voisin reste surpris que j’évite de lui serrer la main au parc… - Ignorer tellement souvent ton enfant qu’il a la conviction que tu as un trouble auditif. - Dans la première année : travailler avec une épaule sale de régurgitation et parfois dégager une odeur de lait. - Écouter 100 reprises du même épisode d’une émission pour enfant. Apprendre chaque réplique par cœur, être désappointé parce que personne ne te demande de réciter des extraits, le faire quand même dans ta grande fatigue (en prenant les voix des personnages), se faire surprendre par un collègue, passer pour une personne qui a un grand besoin d’aide psychologique. -Répondre à 10,000 questions par jour. Découvrir que tu ne sais pas grand-chose sur le monde qui t’entoure. Tu réalises que ton attention n’était pas à 100% quand tu allais à l’école. Au quatorzième « pourquoi » tu réponds « parce que c’est d’même » en sonnant comme ton père. 7. Au sujet de son amour pour les membres de sa famille « J’aime tout le monde dans ma famille beaucoup, beaucoup, mais moins papa parce que des fois il pue » 8. Un constat sur la physionomie des personnes dans l’entourage . « Les gros papas, ils ont des petites jambes » (Je suis toujours sans réponses sur cette affirmation) 9. Ce type de conversation, au quotidien (après une tonne d’activités): -Qu’est-ce que tu as le plus aimé de ta journée ? -Les patates. 10.Se faire traiter comme un enfant. Mes oreilles sont décollées, c’est un fait. Mon enfant trouve que c’est troublant et rappelle sans cesse l’importance de mes oreilles à toutes les occasions. Quand je suis de dos au soleil et que je le regarde « Papa pourquoi tes oreilles sont rouges? » Quand il me donne un nom de superhéros je deviens « Capitaine oreilles » Quand il délire avec des propos aléatoires « Papa les oreilles » Encore heureux que mon fils ne remarque pas mes taches de rousseur. Pendant les jeux, j’obtiens toujours un rôle secondaire : je suis Robin, je suis un membre dummy de la PatPatrouille, je suis Elvis dans Sam le pompier… Parce que me remémorer les bons souvenirs me fait facilement apprécier une journée grise comme aujourd'hui. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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