Je vous invite à réaliser l’exercice suivant. Il vous faudra tout au plus une minute.
Quelles sont les caractéristiques de la journée qui vous rend le plus fier? Je vous demande de revivre mentalement le déroulement de cette journée. Il m’arrive de faire l’exercice avec des groupes en formation avec des variantes : « votre plus belle joute sportive, vos plus beaux apprentissages, ta plus belle intervention, etc. » Jamais on ne me raconte une succession d’événements heureux. Jamais. L’histoire rassemble les éléments suivants : il y a un choc, du doute, de la peur, un obstacle et une grande fierté de l’avoir surmonté. Au final, la personne insiste sur l’incertitude. Le plus beau match sportif est une victoire à l’arraché, pour une autre c’est de réussir malgré ses peurs, de dénouer une intervention difficile pour une technicienne en éducation spécialisée, de sauver la vie d’un patient que l’on croyait perdu en soins, de voir un ennemi devenir un ami, d’accoucher, de survivre au cancer malgré les prévisions, etc. *** Mon premier postulat est le suivant : -Le potentiel humain se développe à l’aide d’une dose raisonnable de douleur, d’obstacles et d’adversité. Autrement dit, ce qui ne t’endommage pas au-delà de ta capacité à récupérer peut te rendre plus fort. Quelqu’un veut généralement simplifier en affirmant « Tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort pas vrai ? ». « Faux » Tout ce qui ne te tue pas peut te laisser au fond d’un fauteuil roulante avec des traumatismes pour la vie. Tu peux également souffrir pendant de longues années d’un choc post-traumatique. Il y a une question de dosage. La douleur, les blessures, les chocs et le désordre dans une certaine mesure transforment son objet pour qu’il devienne quelque chose de différent (souvent plus fort, plus vite, plus adapté, plus sensible). La nature en est le plus bel exemple. Ce qui favorise le développement est un juste milieu entre « Tout ce qui ne te tue pas » et le « No pain, no gain ». Ce que j’affirme c’est que nos blessures entrouvrent les portes les plus intéressantes. *** Et si je demande à un groupe de personnes quelle vie est souhaitée ? Presque 100 fois sur 100 on me parle d’une vie sans obstacle, sans blessure, sans peur et confortable dans laquelle on file vers le bonheur. C’est surtout la vie que l’on souhaite pour nos enfants (une erreur fondamentale). *** Deuxième postulat : -L’esprit conçoit difficilement que le plein potentiel s’atteint par l’entremise des obstacles. Autrement dit, c’est contre-intuitif. « Je comprends! C’est de la résilience alors comme en psycho? » « Non buddy boy » La résilience c’est la capacité de se développer positivement en dépit d’une adversité ou de la résistance. On admire d’autant plus cette dernière lorsque l’adversité est grande. Certains le comparent à la capacité d’un bas de nylon d’être torturé et de reprendre sa forme originale. Le concept est intéressant et la psychologie s’en régale. Les bas de nylon c’est bien, mais ce n’est pas ce que je préfère. Ce que j’affirme, c’est que certaines personnes ont la capacité de se développer positivement et de se transformer par l’entremise d’une adversité ou de la résistance. Autrement dit : la réponse donnée par certains individus à la résistance, la douleur et les obstacles rend plus fort et développe. C’est la capacité naturelle d’un écosystème. Le contraire de cette capacité est la fragilité : le moindre choc endommage. Le direct opposé de la fragilité n’est pas la robustesse ou la résilience. Le philosophe Nassim Taleb appelle cette faculté l’Antifragilité : la capacité de s’améliorer à partir des chocs et du désordre[1]. C’est la croissance post-traumatique, un domaine qui est pratiquement inexploré en psychologie. C’est la juste dose de répression qui permet l’expansion d’un mouvement social. C’est ce qui t’arrive quand tu t’entraines et que tu tombes dans un état catabolique (une forme de dégradation moléculaire pour générer de l’énergie) pour ensuite traverser l’état anabolique (l’état opposé) et voir une reconstruction moléculaire. La catabase vient de ce principe même : traverser la douleur pour tirer de la force. Une déconstruction excessive te tue, une déconstruction raisonnable favorise une saine reconstruction. Le seul état véritablement sans douleur est la mort (possiblement le coma). Voilà pourquoi j’affirme que d’empêcher les petites blessures, c’est empêcher le développement d’une personne. « La douleur est obligatoire, la souffrance est optionnelle »[2]. Suite à une blessure raisonnable, la douleur est donc un état, la souffrance est souvent un choix. Si mon expérience m’indique une chose, c’est que l’ego aime s’identifier à la douleur et à une limite. Ce que je souhaite aux gens que j’aime, c’est une longue vie, ponctuée de mille chocs et de plusieurs blessures raisonnables. L’idéal c’est de chasser nos souffrances et celles de nos proches. Au bout de la route, j’ai la certitude qu’un individu capable en ressort plus fort que jamais. Des exemples (c'est trop abstrait). Les exemples extrêmes : La liste des personnes sous mon post « Tu es plus que tes limites » ; Colette Roy-Laroche dans les suites de la tragédie de Lac-Mégantic (elle est passée de la mairesse presque anonyme à la meilleure politicienne du Québec) ; La nature et les réponses des écosystèmes aux perturbations, la prohibition pour le crime organisé, le succès du film pornographique Deep Throat qui a connu un succès monstre après plusieurs tentatives pour le bannir, etc. Autres exemples : Traverser une courte période de pauvreté, la réponse physiologique à un entrainement physique à haute intensité, le développement de Georges St-Pierre suite à l’intimidation à l’école, le fait que le sociologue Malcolm Gladwell rappelle que l’on retrouve une proportion importante d’orphelins d’un parent dans la population carcérale et chez les personnes avec une grande réussite sociale, etc. Notes : Cette publication est très fortement influencée par les écrits de Nicholas Nassim Taleb sur l’antifragilité. Je ne partage pas toutes ces idées, mais je crois qu’il est très juste dans sa manière de dépasser la résilience. Je me promets de publier un résumé du livre. Références : Robert Krulwich, Successful children who lost a parent, why are there so many of them ?, 16 octobre 2013 , en ligne http://www.npr.org/sections/krulwich/2013/10/15/234737083/successful-children-who-lost-a-parent-why-are-there-so-many-of-them, page consultée le 20 septembre 2017. Gladwell, Malcolm , David et Goliath, Montréal, Québec, Les éditions transcontinental, 2014, 253 p. (Ouvrage à prendre avec certaines réserves. L’auteur est souvent accusé d’une exagération au profit de sa théorie) Nicholas Nasim Taleb, Antifragile : les bienfaits du désordre, Paris : Les belles lettres, 2013, 649 pages. [1] TALEB, Nassim Nicholas, Antifragile : les bienfaits du désordre, Paris : Les belles lettres, 2013, 649 pages. [2] GILBERT, Daniel Todd, Et si le bonheur vous tombait dessus, Paris : Laffont, 2007, 281 p.
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Trop souvent, il m’arrive en classe quelqu’un qui se présente comme ceci : « Bonjour, je suis TDAH ». C’est de plus en plus courant, la personne me donne son étiquette avant son nom. C’est étrange pour moi de rencontrer quelqu’un qui se présente par l’entremise d’une limite, voire comme une incarnation vivante de cette dernière. J’entends donc : « Bonjour, je suis le TDAH ». Mais tu n’es pas tes limites. Avant tout c’est une personne que j’ai devant moi. Personne ne devrait être réduit à une caractéristique réelle ou imaginaire apposée par un système. Autrement dit : s’identifier à un état est un choix. Et c’est le choix que je mets en doute. La limite enferme parfois l’individu dans une réalité : « pour le reste de ton parcours voilà ta limite ». Ça ressemble souvent à une pathologisation de l’échec scolaire [1]. On regarde maintenant le vécu d’une personne (les écarts de comportements et les difficultés antérieures) ainsi que les obstacles futurs par la lorgnette du diagnostic. Ça me fait toujours mal de voir une jeune personne se définir par un obstacle ou une situation vécue. La vie est devant et j’ai peine à croire qu’à 18 ans les limites passées délimitent le futur. Il ne faut pas devenir sa limite, sa blessure et son propre obstacle. Soyez toujours alerte du discours que vous entretenez sur vous-mêmes. Assurez-vous que c’est le vôtre. Pas la voix d’un proche, la catégorie d’un manuel (même celle d’un manuel de sociologie) ou d’un système qui aspire les différences dans le tordeur des troubles de la personnalité. L’univers est plein de possibilités et refuser de les explorer est une attitude qui peut mener au pire. Le jour de B B est cette étudiante qui participait à mes cours il y a quelques années. Mon cours demande alors des exposés en classe avec des sujets imposés et un temps minuté très strict. Je pige le nom de B. L’étudiante fige et me dit qu’elle « ne peut pas faire ça ». Je pointe l’avant de la classe : « tu y vas ». Elle bredouille, est inconfortable et j’ai l’impression qu’elle rampe vers l’avant de la classe comme un fantassin dans les tranchées. Comme elle est livide dans le silence de la classe, je me propose de l’accompagner à l’avant pour me tenir à côté d’elle avec fermeté. Elle traverse sa présentation comme Rocky Balboa, sans jamais arrêter de lutter contre l’obstacle. Elle émerge finalement après quelques longues minutes. Lorsque le cours termine, elle reste en classe, visiblement troublée. « Savais-tu que c’est la première présentation orale de ma vie? ». Elle m’apprend qu’elle est une grande anxieuse avec de l’agoraphobie. Comme je ne m’intéresse qu’à elle, j’ai ignoré ses limites. Je l’ai poussé à l’avant exactement comme les autres. Dans mon rôle, j’ai fait quelques pas avec elle. Je respecte la personne, l’effort et le combat. Je suis privilégié d’avoir assisté à la première présentation de B. Pendant quelques instants, sans béquille, elle courait comme les autres. Le paradoxe est que mon insensibilité à ses limites est possiblement ce qui lui a entrouvert une porte. Peu importe votre limite ou votre obstacle, quelqu’un a déjà vécu une situation similaire et a laissé des traces de son expérience. Quelques cas étonnants Il existe une quantité d’individus avec d’importantes limites (visuelles, auditives, cognitives et physiques) qui ont remis en question ce qui est possible ou non. La plupart de ces personnes partent du refus de s’identifier à une limite personnelle. Kyle Maynard Une personne amputée aux 4 membres qui escalada le Kilimandjaro. https://www.youtube.com/watch?v=OPFmq2x_0Mg Helen Adam Keller La première femme sourde et aveugle avec un baccalauréat. Elle a écrit de nombreux livres et a de nombreux accomplissements. https://www.youtube.com/watch?v=8ch_H8pt9M8 Daniel Kish Un aveugle qui fait de l’écholocalisation et qui refuse de s’identifier strictement comme non-voyant parce qu’il trouve la définition limitative. Grâce à l’écholocalisation, Daniel Kish se considère comme un individu qui voit, mais d’une autre manière. Sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=a05kgcI9D2Q&t=106s En podcast (Merci à Caroline D pour le lien): http://www.npr.org/programs/invisibilia/378577902/how-to-become-batman Temple Grandin Une autiste qui est devenue conférencière et qui révolutionna une industrie au grand complet. Voici sur Wikipédia (une tonne de ressources existent sur elle) : https://en.wikipedia.org/wiki/Temple_Grandin Wim Hof Le « Iceman » qui, suite au suicide de l’amour de sa vie, développe une méthode d’exposition au froid qui bouleverse la science. Il est capable de provoquer une montée d’adrénaline dans son système plus grande que lorsque quelqu’un saute en bungee. Il détient également de nombreux records du monde, dont celui de demeurer pratiquement deux heures couvert de glace pratiquement sans grande variation de sa température corporelle. Il est capable d’enseigner sa méthode aux autres. https://www.youtube.com/watch?v=mxCGDFlH1_k&t=519s David Goggins Sur le fait de repousser ses limites sans arrêt. Très proche de l’idéologie des Navy Seal. Je ne le recommande pas pour les oreilles sensibles. https://www.youtube.com/watch?v=78I9dTB9vqM&t=2888s 1. OTERO, Marcelo, Les fous dans la cité, Éditions boréal, 2015, 352 p. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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