Une caricature de Michael Addler dans le Totonto Star. Dans 12 ans mon fils en aura 17 et quel est exactement le monde que je vais lui laisser ? Je peux dire qu'il adore les animaux marins plus que tout et me pose d'incessantes questions de biologie marine. J’essaie de guider mes enfants dans un monde incertain et je sais que je ne suis pas le seul. Mon père était professeur d'écologie, de biologie et un amoureux de l'environnement. Ce qu'il m'enseignait sur les saisons n'est déjà plus adapté aux réalités de 2019. Récemment, l’article « Un enfant sur fond de fin du monde » anime les discussions. On reproche à la mère d’être alarmiste, de transmettre son anxiété ou alors on salue la résilience devant le prochain grand péril pour la planète. L’article est ici : plus.lapresse.ca/screens/8c78fc35-b0b6-46ea-a095-72d494a08365__7C___0.html Je suis un peu ailleurs sur cette question… J’enseigne aux enfants que la nécessité est la mère de l’innovation. Qu’au-delà de la « résilience » (concept qui suppose que l’on garde la même forme) il faudra faire preuve de « croissance post-traumatique » et innover pour changer le monde. Je garde le sentiment que c’est plus simple de réussir quand on n’a pas le choix. Et encore, ce n’est pas une garantie de succès parce que toutes les relations sont le produit de plusieurs interactions. J’écris « plus simple » et pas « plus facile ». L’humanité se tiendra très bientôt au bout d’une corde et on pourra se la passer au cou ou se tirer vers le haut. Alarmiste ou non, on pourrait faire changement et errer un peu du côté de la précaution par rapport à l'environnement. Encore faut-il être pleinement conscient de la situation, de son importance et des actions à prendre. Surtout quand c’est difficile et que tu es battu jusque dans ton dernier retranchement. Un peu comme le grimpeur Karl Prusik La légende raconte que Prusik (un alpiniste) s'est retrouvé confronté au décès de son partenaire en pleine ascension. Le pauvre est demeuré coincé à flanc de montagne, incapable de remonter la corde d’escalade qui est alors trop petite. C’est donc la fin pour lui, car la seule avenue est d'attendre une mort certaine. Au bout de tout, il va alors défaire ses lacets pour inventer un nœud autobloquant (qui se serre en cas de chute) ce qui va lui permettre de remonter le long de la corde. Si je comprends bien, le nœud se serre lorsqu’on met du poids dessus et est plus lousse quand on enlève la pression. Glissant ses pieds dans les boucles du lacet, Prusik remonta la corde mètre après mètre pour retrouver la sécurité. Une innovation qui sauva l’alpiniste et changea la confection des nœuds dans le domaine. C’est également un exemple de remontée spectaculaire vers la lumière alors que tout est perdu[1]. Mais encore faut-il que le grimpeur soit pleinement conscient du danger. Mon sentiment d'horreur au sortir de l'été L’humanité au grand complet est au bord de la chute. La seule véritable urgence planétaire est celle du réchauffement climatique et, selon les experts dans le domaine, l’humanité dispose de 12 ans pour faire des changements majeurs dans la consommation énergétique. C’est exactement comme une guerre mondiale dans laquelle il faut embarquer toutes les nations contre un ennemi commun (ce qui veut dire la Chine, l’Inde et également le Moyen-Orient) [2]. Il faudra également provoquer une prise de conscience collective majeure et rapide. On devra le faire par l’éducation, par les choix individuels et surtout un changement global par rapport à l’approvisionnement énergétique en limitant drastiquement l’utilisation des combustibles fossiles. Un peu comme tente de le faire le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques) : « Les scientifiques s’efforcent de créer une prise de conscience collective, seule finalité positive »[3]. Nous sommes, comme Prusik, au bout d’une corde et seul un effort d’innovation et d’imagination peut nous sortir de cette situation. Mais il faut prendre mesure du péril. Les médias de masse Alors que le mois de juillet est le mois le plus chaud jamais mesuré dans le monde, j’entends une météorologue qui affirme « qu’on est bien chanceux parce que ça été le plus beau mois de juillet depuis plus de 100 ans ». On est bien chanceux. Le plus beau mois. J’ai l’impression de revoir cette scène du film La Liste de Schindler dans laquelle un juif affiche sa joie de retrouver les autres dans un ghetto. Quelques scènes avant les camps de la mort. Dans une émission radio du « retour à la maison », des personnalités publiques m’expliquent qu’il faut éviter de tout dire directement aux enfants parce qu’on peut provoquer une déprime et de l’anxiété. La fameuse écoanxiété ou la « dépression verte ». Les rapports sont publics, tout comme les données scientifiques. Mes enfants vont me poser des questions avant longtemps sur notre responsabilité dans la situation. Il est difficile de mesurer l'impact des activités humaines, mais on peut certainement faire mieux. Mon plus petit est parfois triste parce que le nombre de mammifères s’amenuise et je ne lui cache absolument rien. Je lui explique avec douceur et bienveillance que les animaux du globe sont en grand péril. Qu’est-ce qu’il répond ? « On va en parler à tout le monde et on va sauver les animaux! » Si on veut préserver le monde, je garde le sentiment qu’il faudra le faire avec les yeux ouverts. C’est un effort colossal que l’humanité devra déployer pour pondre un nœud de Prusik. 12 ans avant de faire des dommages irréversibles à la planète, c’est pratiquement comme 5 minutes. Nous sommes bien à 5 minutes d’assister au début de la fin du monde. 5 minutes avant le début de la fin du monde, il se consomme encore de l’eau embouteillée, alors que les premières guerres pour le contrôle des plans d’eau sont une possibilité croissante. 5 minutes avant le début de la fin du monde, les météorologues de TVA Nouvelles se félicitent du beau temps de juillet. 5 minutes avant le début de la fin du monde et l’important c’est de savoir ce que je pense de la crise d’adolescence de Céline Dion. Est-ce sa première ? Sa deuxième ? Est-ce que sa robe est indécente ? Qu’en dirait René ? 5 minutes avant le début de la fin du monde, on veut me faire croire que la menace terroriste est celle de l’Islam et est liée aux migrants. Depuis 10 ans, aux États-Unis les extrémistes de droites ont fait trois fois plus de victimes que les djihadistes. Voir ici : http://plus.lapresse.ca/screens/e6d70eff-2f76-4863-aa3c-acc7aac1b701__7C___0.html?utm_medium=Facebook&utm_campaign=Microsite+Share&utm_content=Screen&fbclid=IwAR3GNI1IrcEhicyoLGKqJcWQq2GwcV9Q09C-ERgfRMQTT8VL9jK6akGhN8w 5 minutes avant le début de la fin du monde, la priorité est de lutter pour repousser des immigrants (surtout le 3% de musulmans dans la population) parce que mon mode de vie serait en péril. J'ai le choix d'être identitaire ou multiculturaliste. Voici quelques faits sur cette question épineuse: www.sciencepresse.qc.ca/actualite/detecteur-rumeurs/2017/04/19/7-mythes-musulmans-quebec 5 minutes avant le début de la fin du monde, l’important c’est le pH de la piscine, de trouver le confort pendant la canicule, d’attendre ta douce à l’air climatisé dans un véhicule. 5 minutes avant le début de la fin du monde, on ridiculise la jeune militante Greta Thunberg pour toutes les raisons possibles. Plutôt que de faire la part de choses, les politiciens la qualifient d’alarmiste ou alors on commente son apparence. Voir « Je regrette, Greta » http://plus.lapresse.ca/screens/b3eb63c6-4a4f-4864-820c-6e926ac86f32__7C___0.html?utm_medium=Facebook&utm_campaign=Microsite+Share&utm_content=Screen&fbclid=IwAR2bWjBI7Fkmilii3d-avFeSf0eNN3Yvs9_y3SB66PiREQSLJ-PW8F4uYT0 5 minutes avant la fin du monde, il ne faudrait pas que la situation me déprime trop. L’important est de ne pas exposer les faits aux enfants. Quand parler du réchauffement climatique devient de la partisanerie parce que Maxime Bernier doute des changements climatiques, mais pas d’une infiltration islamiste[4]… J’ai hâte de retrouver les étudiants et les étudiantes parce qu’il faut un sérieux changement de mentalité. On faisait des enfants pendant la Deuxième Guerre mondiale et on en fera encore sur fond de fin du monde. L’important est de s’engager consciemment dans cette lutte. Le 27 septembre prochain, c’est un jour de grève pour la planète. Je vais sans doute être dans les rues quelque part avec une affiche sur laquelle il y aura des animaux marins. Toujours dans l’espoir que l’on ne se réveille pas 5 minutes trop tard. [1] Cette anecdote me vient du film de Lars Von Trier « Nyphomaniac volume 2 ». Dans une pénible séquence portant sur le sadomasochisme, les personnages discutent de la confection de nœud. [2] L'entrevue de Bernie Sanders avec Joe Rogan expose une perspective similaire ici: www.youtube.com/watch?v=2O-iLk1G_ng [3] Voir le site : https://www.fournisseur-energie.com/giec/ et quelques données sur les changements climatiques. Mieux encore : une courte recherche sur les derniers rapports du GIEC devrait permettre de trouver beaucoup d’informations utiles. [4] https://www.lesoleil.com/actualite/politique/parler-du-rechauffement-climatique-pourrait-etre-considere-comme-partisan-284b90752bae066b945998b07b57cdfc
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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