Préparer un nouveau cours : de la folie Voici une parenthèse pour répondre à une question commune (le texte sur le crime se trouve plus bas). Une étudiante me demandait « comment il faut de temps pour préparer un cours? » Peu de gens le savent, mais préparer un nouveau cours c’est un peu de la folie. Je viens de terminer mes préparations pour deux séances d’un cours qui s’intitule « Crime et société » (un hommage à Crime et châtiment). Pour préparer un cours de trois heures, il me faut 9 heures de préparations actives (donc de rédaction, de note, de PowerPoint, pour valider des faits, etc.) Et pour 9 heures de préparation, il me faut environ trois fois plus de lecture (soit environ 27 heures de lecture). Donc 3 heures en classe + 9 heures de préparation + 27 heures de lecture donnent un total de 39 heures pour un cours. Oui, je peux sauver du temps quand c’est un cours que j’ai donné dans le passé ou encore un cours directement en lien avec mes études (mes lectures se font plus rapidement). Par contre je suis incapable de présenter quelque chose que je trouve ennuyant… Alors mes recherches durent parfois longtemps. Le plus ironique ? Il est possible que j’ennuie les étudiantes et les étudiants ! J’adore ce travail, mais c’est le genre de travail qui donne souvent l’impression de prêcher dans le désert. Cette semaine je vais répondre à une question liée à un thème du cours. Pourquoi les organisations criminelles émergent, quels sont les mythes qu’elles font circuler à leur sujet et qu’est-ce qui attire les personnalités vers un groupe criminel ? Quel est l’attrait pour les organisations criminelles à part l’appât du gain ? 1. Le besoin d'appartenance ( la famille de procuration) Idéal pour les jeunes hommes rejetés ou provenant d’un milieu difficile, les organisations criminelles jouent le rôle de famille de procuration. La mafia et les Vor proposent des rituels élaborés qui font en sorte que les nouveaux membres fusionnent avec l’organisation et ont l’impression de renaître dans les rangs de l’organisation criminelle. 2. Le besoin d’une progression claire dans une hiérarchie Le groupe criminalisé répond souvent à un besoin fort des jeunes hommes de trouver une place claire et définie. En gros, c’est le contraire d’une partie du système scolaire qui tente d’aplanir la compétition ouverte, donne peu de rétroaction honnête en offrant un but souvent fragile aux étudiants et étudiantes. Dans l’organisation criminelle, la rétroaction est immédiate, les échelons sont clairs et l’objectif nourrit immédiatement le besoin de reconnaissance. 3. L'acceptation de l’agressivité et de la violence Que dire sinon que ce point est une extension explicite du dernier argument ? Les comportements et attitudes qui sont rejetés par la société (ou canaliser dans l’armée et les services de police) sont acceptés et valorisés dans les rangs des organisations criminelles. Le jeune homme violent peut donc trouver preneur pour sa capacité à manifester des comportements violents. 4. Le besoin d’exprimer le non-conformisme Les organisations criminelles sont une forme d’État dans l’État. C’est un sous-groupe qui est un monde pour l’expression d’un non-conformisme extrême. Notre culture apprécie le succès sous toutes ses formes ce qui inclut la célébrité et la gloire. Le criminel notoire Mom Boucher a été chaudement applaudi dans un gala de boxe au Québec, les séries télévisées présentent une tonne de criminels « à la mode » et ainsi de suite. S’afficher « en dehors » et « au-dessus » de la loi par le succès et la force est un attrait majeur des organisations criminelles. Les mythes que le crime organisé entretient L’organisation criminelle : 1. N’agresse que d’autres membres en règle. La population québécoise aime faire circuler cette croyance, surtout à propos des motards criminalisés. La guerre des motards est le meilleur exemple, elle devait durer trois semaines et se dérouler seulement entre membres en règle. Elle dura 8 ans, fit 165 morts, 181 blessés et 20 victimes innocentes. Parmi les victimes innocentes se trouve un enfant. 2. Comporte des membres qui sont tous loyaux. Toutes les organisations criminelles comptent un nombre de délateurs et un historique avec des épisodes de trahisons. 3. Ne commet pas des crimes « immoraux ou illégitimes ». Si c’est parfois vrai lors de la fondation, avec le temps l’organisation criminelle touche à pratiquement tous les marchés disponibles : drogues, prostitutions et une variété de trafics. 5- Font preuve d’un esprit chevaleresque. Belle publicité qui laisse croire que l’organisation a des origines et des pratiques romantiques. Pourtant il faut dire ce qui est : disparition de cadavres, démembrement et les Hells sont allés jusqu’à un attentat sur le journaliste Michel Auger qui s’est fait tirer 6 balles dans le dos en 2006. 6- Ne « te dérange pas si tu ne les déranges pas» Seulement vrai si c’est dans leur intérêt immédiat. Plus réalistement, ils ne feront rien de stupide pour nuire à l’organisation (contrairement aux criminels désorganisés). Ce mythe ne tient pas la route avec les épisodes d’expansion, de conflit et surtout devant les nouvelles formes des organisations criminelles (spécialement l’alliance entre les gangs de rue et les grands groupes criminels). En complément : un bref regard sur deux autres organisations criminelles. Le Yakusa et les Vor Rappel de l’article précédent : les organisations criminelles émergent à cause d’une combinaison de facteurs qui relèvent du contexte social, géographique, politique, culturel et surtout lorsqu’un État nécessite les services d’un groupe criminel. Voyons en rafale le cas du Yakuza et des Vor y Zacone : Le Yakusa Organisation criminelle japonaise, le Yekusa est en fait trois mots (« Ya » ,« ku » et « za ») qui représentent la combinaison 8-9-3 dans un jeu de cartes traditionnel. Cette combinaison était qualifiée « d’inutile », un peu comme quelque chose que l’on jette. Comme dans n’importe quel jeu, cette combinaison colle, revient et on ne s’en débarrasse pas si facilement. Qui pourrait porter avec fierté ce qualificatif? Inutile comme les 500,000 samouraïs désœuvrés après la fin d’une guerre civile. Beaucoup de bandits profitèrent des changements de régime et du désordre. Graduellement, l’ouverture et la modernisation du Japon a mis de côté des guerriers avec une vie de violence. Le Yakusa aime prétendre qu’il est un produit direct des bons samouraïs qui mettaient de l’ordre sur le territoire. L’idée romantique de descendre du guerrier errant. Plus vraisemblablement, ils sont le produit du banditisme et des ex-samouraïs recyclés en chefs de gang. Ici comme ailleurs, le gouvernement sollicita l’aide du Yakuza pour : maintenir l’ordre dans certaines régions, pour l’organisation générale de grands chantiers dans certaines régions, pour assurer des prêts à la population, pour le recouvrement de dettes et plusieurs autres services. De manière illégitime ce sera également, avec le temps, un réseau de prostitution et du trafic humain. L’organisation a été directement impliquée dans des efforts de guerre pendant la Deuxième Guerre mondiale. La coopération entre les autorités du Japon et l’organisation criminelle va si loin que jusqu’à récemment, le Yakuza pouvait ouvrir des commerces en affichant ouvertement son logo. Le recouvrement de dettes est une chose très longue dans le droit japonais et les services du Yakuza sont encore utilisés pour un recouvrement plus rapide et efficace. Les Vor y zakone « Les voleurs dans la loi » Dès 1917 l’organisation prolifère à travers la Russie. Les Vor prolifèrent dans les camps de travail (les goulags russes) et vivent uniquement des activités criminelles. Ce qui est le plus étonnant de l’organisation est qu’elle est très souple. Ce groupe criminel existe sans pyramide hiérarchique ferme comme la mafia ou les Hells Angels. Il existe des tas de petites « familles » indépendantes les unes des autres qui coopèrent selon les besoins. Les Vor sont devenus de plus en plus puissants à travers la longue débâcle du régime stalinien. Le « régime parallèle » est devenu si important pour fournir la population et certains membres du gouvernement qu’il s’est répandu à travers l’Europe et est pratiquement indélogeable. Il est clair que les autorités reposaient sur l’organisation criminelle à travers les camps et les pénuries dans la population. En résumé Comme mentionné en classe, les organisations criminelles répondent avec force au fameux principe qui dit que « la nature a horreur du vide ». Ici ce serait plutôt que l’organisation criminelle raffole des vides de l’État, des pénuries, des jeunes en manquent de reconnaissance et de certains contextes culturels. L’idéal du succès prôné dans notre culture prend parfois la route de l’illégalité. Pour aller plus loin
Je recommande chaudement la liste sous la première partie de l’article ici : www.lacatabase.com/blogue/sur-le-crime-organise Voir aussi : Collectif, Le livre noir des Hells Angels, Les éditions du journal, 2017, Montréal, 341 pages.
0 Commentaires
Votre commentaire sera affiché après son approbation.
Laisser un réponse. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Juin 2024
|