La compétition classique
La scène se déroule sur le terrain d’une école primaire, l’excitation est palpable parce que c’est un jour de compétition sportive. Une course est organisée par l’école et les enfants prennent l’activité à cœur. C’est une compétition classique : un gagnant et des perdants, du meilleur et du pire. Les enfants sont naturellement enthousiastes devant ce genre d’activité. Pour les adultes responsables il faut vivre avec le fait que dans ce cadre l’échec est public parce que la compétition l’est tout autant. Le mot fait peur dans notre système scolaire parce qu’il est rapidement associé à l’élimination du plus faible. On imagine facilement le tableau final avec un gagnant qui traverse la ligne d’arrivée suivi d’un deuxième (qui serait le premier perdant dans la logique du « winner takes all »). Après suivra le long défilé des humiliés. Le dernier, probablement un enfant au physique désavantageux, subira la double humiliation de la sous-performance et des regards sur son décalage à l’idéal athlétique. Le compétiteur gagnant se tient fièrement de l’autre côté de l’épreuve, victorieux, et il est probable que les trois premières places obtiennent une récompense sous la forme d’une médaille ou d’un trophée. L’alternative c’est quoi ? Le monde beige de la coopération Pas de compétition, on donne des médailles de participation à chaque enfant, on célèbre avec une grande modération la personne gagnante et on sourit avec gentillesse au dernier. Pas vraiment de gagnant quand tout le monde gagne. Par l’élimination des perdants nous évitons l’humiliation individuelle parce le groupe est ensemble et solidaire. Les critiques diront que l’on entretient la médiocrité. Un cynique dirait que l’humiliation est maintenant diffusée dans le groupe. Les parents sensibles sont heureux que tous soient valorisés, les chroniqueurs écriront que c’est la théorie de la haie de cèdres (qui est coupée également sans aucune branche qui dépasse). On limite l’excès de la victoire et on célèbre autant le dernier que le premier. Sauf que l’activité manque d’excitation. Les premiers sont perplexes de la récompense et les derniers acceptent parfois à contrecœur la fameuse médaille. C’est l’impasse de notre vision archaïque : gagnant/perdant; réussite/échec; positif/négatif. Je crois sincèrement que l’on peut faire mieux. Voici une alternative Entretenir à la fois l’idéal de la réussite et la beauté de la coopération. C’est un modèle qui se nomme la « coopétition ». Autrement dit : chacun tente d’être le meilleur selon les standards de compétition, mais en tentant d’élever les autres (de tirer la barre vers le haut). On célèbre la meilleure performance et le groupe supporte chaque participant. C’est possible de mettre ce modèle en place. Je partage ici les résultats d’une vraie journée de course dans une école de ma région. Comme dans le premier scénario, l’élève gagnant traverse la ligne d’arrivée et il est brièvement célébré. L’air résolu, notre compétiteur se met à courir en sens inverse pour aller chercher le deuxième. Une fois à ses côtés, les deux enfants courent ensemble vers la ligne d’arrivée. Le deuxième, qui avait des jambes de plomb, est maintenant poussé par la présence du premier. On est à la fois humble et victorieux en traversant la ligne d’arrivée. Ensemble. La magie opère et les enfants sont maintenant dans un effet de groupe. Pas besoin d’une consigne ou d’une pression du personnel enseignant. Après l’arrivée de la vague de tête et de brefs encouragements, les 10 premiers courent en groupe pour rejoindre les derniers. Les enfants se motivent, s’appuient et se transfèrent une quantité d’énergie. Quel grand privilège de partager sa force et son succès. Ici on fait partie d’un groupe où les meilleurs sont derrière soi pour nous pousser à réussir. Notre groupe franchit une dernière fois la ligne d’arrivée. On célèbre à la fois le premier et le dernier. On salue la performance et l’effort. La grandeur et l’humilité. Le bruit de la victoire et le silence de l’effort acharné. Parce que nous sommes tous liés les uns aux autres, qu’on le veuille ou non. Le premier fera plusieurs pas de course de plus : c’est le prix à payer pour être un exemple et pour protéger le dernier. Le dernier apprend à se pousser, n’est jamais exclu ou injustement célébré et il fait toujours partie des compétiteurs. Parce qu’on apprend en faisant, en gagnant, en perdant et en enseignant aux autres. Parce que cultiver le désir de gagner ne veut pas dire que l’on souhaite défaire les autres. Entre la violence de la compétition débridée et la mollesse de la coopération forcée il y a autre chose de possible : la coopétition. C'est présentement mon sujet de recherche et c'est une alternative que je propose au monde de l'éducation. Mon petit i had a dream personnel.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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