Chaque jour quand je garde une habitude dont je suis fier, j'inscris un "x" sur le calendrier. Les "x" forment une chaîne et la seule règle importante est de "ne pas briser la chaîne". J’ai quelques questions sur la motivation qui méritent des réponses. La question que j’ai souvent est donc double : qu’est-ce qui te motive et comment rester motiver? La réponse est très décevante. « C’est qui je suis » Pour ma part : je lis pratiquement plus que jamais et j’en suis à plus de 230 jours consécutifs d’activité physique quotidienne. Je vise un record de lecture (même si mon travail implique de lire) et pourquoi pas 365 jours d’activité physique? Je prends le temps de me définir, me présenter et d’agir comme une personne active et un lecteur. La source la plus profonde pour des actions ou des comportements serait l’identité. Tout part très exactement de là, que ce soit conscient ou non. Quand on cherche à faire quelque chose de nouveau, c’est souvent par désir « d’être autre chose » ou de « changer ». On explore à tâtons, on « ne sait pas trop » et tout s’accompagne souvent d’un dialogue intérieur ou de commentaires : est-ce que je suis bon ou bonne, qu’est-ce que les autres vont penser de moi, que faire ensuite, est-ce que je vais être valorisé·e pour ma pratique, quels sont mes sentiments? Pour surmonter ce genre de questionnement, on se « motive » ce qui revient à dépenser de l’énergie pour poser des actions nouvelles (souvent inconfortables). Intrinsèque ou extrinsèque La littérature parle de « motivation intrinsèque » (qui vient de l’intérieur de soi) et de « motivation extrinsèque » (qui vient de l’extérieur de soi). On comprend aisément que ce qui est le plus fort est ce qui vient de l’intérieur et ce qui est fragile ou contextuel vient de l’extérieur. On mise donc sur le renforcement de la motivation dite intrinsèque. Mais sérieusement, je trouve tout ça trop compliqué pour les gens qui ne savent pas par quel bout instituer une habitude. Je dis souvent « fuck la motivation ». (je dis souvent fuck, c’est un mot que j’aime, c’est inconscient, c’est intrinsèque : je crois que c’est ma fucking identité.) La réponse simple Voici mon explication simple et ma recommandation de lecture si quelqu’un veut prendre de nouvelles habitudes (avec des exemples). 1 - Dans l’illustration suivante : d’où vient la motivation ? Source : CLEAR, James, Atomic habits, Penguin random house, New York, 2018, 306 pages. L’illustration est en page 30.
Le premier cercle est l’identité; le deuxième est le processus; et le dernier les résultats. L’erreur la plus commune est d’être trop attaché aux résultats. Partons des résultats : la personne veut un « corps plus efficace », on cherche à « obtenir une augmentation », il est question de « décrocher une entrevue », l’athlète veut « gagner une médaille », le plan est de « séduire x, y ou z », « de soumettre quelqu’un au jiu-jitsu », une quantité d’argent, etc. Ce sont des résultats, c’est très contextuel. C’est faible comme motivation, c’est extrinsèque et en dehors. Ceci est un secret zen et mystique de presque toutes les relations : les résultats sont hors contrôle. L’univers peut t’enlever les résultats et une fois que les résultats sont impossibles à atteindre pour une durée de temps, la motivation quitte. Exemple : crise économique (hors contrôle), résultats : très improbable d’être riche. Toutes les femmes que je rencontre sont superficielles ou détestent les rouquins (hors contrôle), résultat : personne n’est réceptif à la séduction. Les partenaires de jiu-jitsu sont plus expérimentés, plus calmes et se préparent à la compétition, résultat : la victoire par soumission m’échappe. Les résultats peuvent varier selon la journée, la température, le contexte économique, la forme physique, l’environnement, l’humeur des autres, l’orientation sexuelle, etc. Le cercle au milieu est le processus, c’est beaucoup plus intrinsèque. C’est le « comment la personne se rend à son objectif » et c’est beaucoup plus solide. S’attacher à s’entraîner, sentir son corps bouger, jouer au dek hockey, courir, cuisiner, obtenir des sourires de quelqu’un, avoir une bonne écoute, pratiquer le piano, répéter le théâtre, s’asseoir confortablement pour plonger dans un livre. Il y a une part extérieure (est-ce que les cours se donnent? Est-ce que j’ai accès à la pratique, quelqu’un à écouter, l’instrument de musique, etc.) Les Américains appellent ça « le grind », c’est une source forte pour les accrocs au travail. Ceci peut comporter une part inconsciente plus forte qui en dit long sur nous et notre passé. Il est fondamental d’apprendre à aimer le processus. Les champions de culturisme sont accrocs au « pump » dans les muscles, Stephen King est rigide à écrire chaque jour, une de mes proches décompresse systématiquement en « frottant les plancher ». Le résultat sera là, mais ce cercle est vraiment le processus. Le dernier cercle est celui de l’identité, c’est pratiquement uniquement intrinsèque (avec quelques composantes externes, des référents matériels). C’est une source presque inépuisable d’actions conscientes et surtout inconscientes. Les habitudes ou motivations qui logent ici sont les plus fortes. Comment on se définit dans le dialogue intérieur ? Qu’est-ce qui est dit lors des présentations à une nouvelle personne? On se dit un fumeur ou un consommateur? Probablement que d’arrêter de fumer sans aide sera difficile. Les qualificatifs sont importants : un artiste, un aidant, quelqu’un de généreux, un prédateur, une personne en forme, un parent responsable, un cultivateur, un professeur, etc. Ceci est profond, le processus vient après (certaines personnes changent de moyens pour combler un besoin identitaire) et les résultats sont variables (parfois on gagne, on perd, peu importe parce que l’identité est la même). L’interprétation des signaux extérieurs passe par l’identité. Ceci explique pourquoi la connaissance de soi est fondamentale et également pourquoi c’est une source si forte. Si on n’actualise pas ceci, on sent que l’on meurt un peu, que l’on s’éteint. Des exemples? Le 230 jours consécutifs d’activité physique modérées ou intenses n’est plus « coûteux » quand il se présente comme un enjeu identitaire :
Je vois le monde de cette manière: je soulève plus de choses, prends plus souvent les escaliers, suis stationné plus loin, mange en conséquence des dépenses énergétiques, pense à ma posture, etc. Les conséquences sont nombreuses : changements corporels, connaissance de soi, investissement de temps, blessures ou douleurs, nouvelles relations dans les arts martiaux, mais les « résultats » ne changent pas mon identité. Je suis actif blessé, par jour de pluie ou de grêle, lors des fériés et ainsi de suite. Un jour sans activité est un jour où je me perds. Plusieurs jours « je me fane » et une longue période serait un choc identitaire. Évidemment mon environnement, mon entourage et d’autres facteurs facilitent l’expression de cette identité. On peut déduire d’autre comportement pour celles et ceux qui se voient comme des artistes, militants, étudiants, victimes, mâles alpha ou autre. Le meilleur livre que j’ai lu pour instaurer de nouvelles habitudes est en référence sous le texte. La meilleure voie pour moi demeure une compréhension profonde de son identité. CLEAR, James, Atomic habits, Penguin random house, New York, 2018, 306 pages
1 Commentaire
Invariablement, la fête des Pères me fait penser au mien et à son dernier repas. Quelque 20 ans après sa mort, je suis à l’aise d’écrire sur ce moment entre nous.
À la table Ce silence interminable entre lui et moi : il était assis en face de moi, me toisant avec son regard bleu et terrible. J’arrivais à le soutenir et à lui montrer que rien ne me faisait peur. Et pourtant, la mort nous rampait dessus et il me tenait en ce lieu pour voir de quoi j’étais fait. Le moment s’éternisait et dans quelques minutes, il serait mort. Il en était très conscient. Jusqu’à la fin, il voulait mesurer l’homme que j’allais devenir. Il brisa enfin le silence pour me faire une confidence. Son dernier secret serait la première phrase que je prononcerais à mon fils bien des années plus tard. Il se dénoua la gorge avec difficulté : « Je t’ai raconté le plus beau jour de ma vie? » *** Rémy Lefebvre En santé, il était fort, grand, érudit, homme ténébreux qui était amoureux de la nature, des lettres, de la biologie, l’écologie, le français et les maths. Il pouvait enseigner tout ça. Il maîtrisait également de longues locutions latines qu’il me murmurait parfois en me regardant. Mon père était une tempête. On aurait dit un animal pris dans le corps d'un homme. Il s’isolait parfois des semaines entières dans la nature, loin de nous, loin de tout, pour se retrouver, lui. Il dégageait parfois une telle colère qu’on l’aurait cru totalement sauvage sur le point de perdre ses facultés. Il vivait mal en société. Père détestait les gens faux, les salamalecs, était inconfortable en groupe, avait des accès de colère et pouvait être très blessant. Il était également connu pour ses engagements, sa culture, son amour des gens intelligents, honnêtes et son mépris sans borne pour d'autres. Je me sentais en sécurité avec lui, il semblait plus fort et terrible que tout. N’empêche qu’il me trouvait toujours faible et que je gardais l’impression permanente d’échouer un examen. D’être un peu comme une déception. Mon père était la mesure de tous les hommes dans mes yeux d’enfant. Dans les dernières années, il s’autodétruisait devant nous avec de l’alcool et de mauvaises habitudes. Son corps était usé plus qu’à son tour. Je ne crois pas qu’il connut souvent la paix. Sans doute parfois avec ma mère, certainement loin de tout dans la nature et assurément lors de cette journée à laquelle il référait de manière cryptique comme étant « le plus beau jour de ma vie ». Pendant sa dernière heure, il avait demandé son repas préféré. De manière soudaine ses plaies s’étaient ouvertes et il saignait des jambes, du torse et puait la mort. Son visage était décoloré et ses traits tirés puisqu’il avait perdu ce qui me semble être 50 kilos. Il urinait quotidiennement beaucoup de sang, son dos était brisé et une de ses jambes presque inutilisable. Je me souviendrais toujours de sa force. Je l’ai bien aidé à faire une distance en le soutenant. À quelques pas de la table, il m’a demandé de le laisser aller : « Tu ne vas pas faire mes derniers pas », puis, mourant, il est allé prendre place pour le repas. Nous avons soupé l’un en face de l’autre, avec peu de mots et son regard se posait parfois sur moi comme pour me demander : « Es-tu prêt? » À un moment du repas, il recracha son breuvage avec dégoût. « Tout goûte pareil », fit-il en soupirant. Il me regarda en silence, dans l’attente. « Tu perds le goût ». Il acquiesça simplement. « Tout goûte la bile mon fils ». Il était stoïque. « Tu es en train de mourir, c’est pour ça que tes sens partent et que tes plaies sont ouvertes ». Il semblait alors très heureux. « Tu es bien éduqué, ça ira pour toi » Le long silence, le regard d’acier. « Je t’ai raconté le plus beau jour de ma vie?» - Jamais vraiment. - C’est le jour où tu es venu au monde, tout le reste a goûté la bile en comparaison. » Quelques minutes plus tard, il allait mourir dans mes bras. Je comprends qu’il avait attendu jusqu’au dernier instant par peur que de célébrer notre lien me rende faible. Je comprends le modèle. Partager ses derniers pas a été un privilège. *** Je garde de forts souvenirs de cet homme qu’était mon père. Dans sa grandeur et sa colère. Des années plus tard, je me suis dit que j’allais partir du même endroit avec mon fils. Il sait que le jour de sa naissance est le plus beau jour de ma vie. Mes premières notes sur le faux-Soi.
J'arrive encore mal à l'exprimer, mais j'ai l'impression qu'il existe un lien direct entre "les personnalités toxiques" et l'expression d'un faux-Soi dans la personnalité. Le lien sociologique que je peux faire, c'est que notre culture favorise l'expression d'une façade superficielle au détriment des personnalités complexes avec des côtés négatifs. Cette obsession collective qui revient à nier la mort, masquer la laideur et notre côté sombre. À force de rejeter la mort on se prive principalement de la vie. La vitesse, l'urgence d'être bien et confortable et l'invasion des distractions légères. C’est vrai à propos du deuil, c’est vrai à propos de tout ce qui est douloureux, inconfortable, inexprimé ou refoulé. Pas moins de quatre personnes de mon entourage traversent des deuils présentement (toutes des femmes). Mon constat est que toutes font face au contexte social qui rend difficile de traverser un deuil. On est tous désarmé devant la mort des autres et j’ai fait une tonne d’erreurs à travers mes deuils de jeunesse. J’écris en pensant aujourd’hui à une orpheline qui souffre l’accumulation des deuils et qui manifeste le manque d’acceptation de la douleur qui vient avec la mort. La mort demeure un tabou. On ne la nomme que du bout des lèvres et trop rapidement. Je recommande toujours Caligula de Camus qui est le seul ouvrage qui m’a permis de confronter ma douleur lors d’un deuil. Cette tendance à nier la mort est également celle à ne pas vouloir « faire notre âge » et à valoriser uniquement le beau. Je vais refaire ici mon plaidoyer pour la laideur et l’acceptation du « shadow self » chez Jung. On a tous des mauvais côtés, des faiblesses, des aspects tyranniques ou un potentiel de noirceur. Il est essentiel d’en prendre conscience et de mettre ses forces/pulsions au travail pour nous et notre entourage. Je referme à l’instant l’excellent Le drame de l’enfant doué de l’autrice Alice Miller. Cet ouvrage aborde principalement le bagage non résolu de l’enfance qui fait en sorte que beaucoup d’adultes se retrouvent avec un faux-Soi très élaboré. Le faux-Soi, un concept que j’explore présentement, me semble être un vecteur d’accélération pour devenir une personnalité toxique (sujet à la mode). Le faux-Soi serait en quelque sorte le visage jugé agréable par les parents, une façade, qui se développe au détriment de ce que l’on est vraiment. Ce n’est pas uniquement le fameux « masque » lors des prestations publiques (le pôle social de l’identité en sociologie). C’est bien plutôt une forme de refoulement de sa personnalité véritable, ses traits ou pulsions jugés inadéquats, au profit d’un « faux-Soi » qui lui se trouve accepté et valorisé dans l’environnement. Des années de ce régime et la personne ne se connaît pas elle-même. Elle risque de se perdre, de se mentir, de vivre une fausse vie (une « shadow-life ») de consommer, d’être compulsive, toxique et surtout de reproduire le modèle avec ses propres enfants. Voici quelques perles de Miller… Elle explique (j’adore la poésie de cet extrait) que le personnage de Narcisse ne voit ni son dos, ni son ombre. Les deux lui restent cachés alors qu’il se contemple à la surface de l’eau. Il s’éprend donc d’une image de lui qui serait son faux-Soi, « car ce ne sont pas seulement les « beaux » et « bons » sentiments, ceux qui nous plaisent, qui font que nous sommes vivants, apportent une profondeur à notre existence et nous offrent des vues concluantes. » (p.60,l.18) Narcisse ne s’est jamais vraiment aimé lui-même contrairement à ce que l’on pense. Il est véritablement sa première victime et est mort bien avant son heure. Miller explique avec éclat que l’on peut violer un enfant de manière non sexuelle en l’humiliant et en lui faisant intégrer un mépris de ce qu’il est profondément. Tout ça au profit d’une image fausse. La plus grande blessure serait de ne jamais être aimé pour ce que l’on est vraiment. S’aimer sans passer uniquement par les grandeurs ( la démesure excessive des « highs ») et l’état dépressif (l’alternance infinie des gens prisonniers du faux-Soi). Parce qu’on est pris avec soi même et que la fuite est un détour de plus qui conduit à une prison intérieure, notre perte ou la perte du vivant. Ce qui est dans notre dos finira par nous rattraper qu’on en soit conscient ou non. Mieux vaut y faire face avec de l’aide au besoin. S’aimer dans la douleur du deuil, dans la laideur, dans ce que nous avons de sombre et d’incontrôlable. Parce que vivre c’est salissant, douloureux et que ce sont des incontournables pour exister. MILLER, Alice, Le drame de l’enfant doué, Éditions Quadrige, 2013 [1996], 107 pages ![]() En décembre dernier, après un horrible épisode de perdition que je n’ai jamais raconté entièrement à quiconque (un mélange entre "The hangover, Fight club, Fifty shades et Fast and furious" dans un espace de quelques heures), j’ai pris une décision. La décision la plus simple, la plus directe. Me commettre à 30 minutes d’activité physique par jour pendant 30 jours consécutifs. L’activité est intense ou modérée. L’intensité, c’est la course par intervalles, la musculation, la boxe ou le jiu-jitsu. La modération, c'est le yoga ou le jogging. 30 jours, comme si ma vie en dépendait. En un sens c’est le cas. Considérant mes prédispositions de caractère, c’est utile de m’occuper. Chaque jour est marqué d’un « X » sur le calendrier. Une seule règle, donc : « ne pas briser la chaîne ». Reposé ou pas, endormi ou non, matin ou soir, sous la pluie, dans le vent, heureux ou en colère, à travers les tempêtes, blessé ou un lendemain de veille épique, avec des souliers plein de trous et des pieds couvert d'ampoules, c'est trente jours ou ce sera rien. Je vise toujours plus loin que l’objectif. Jusqu’à ce que de « ne pas faire quelque chose » devient plus difficile que de répéter l’action. Les 30 jours deviennent 45 et ainsi de suite. J’en suis à 115. C’est maintenant mon identité. Tant qu’à me rebâtir aussi bien partir des bases. Et à ceux qui me demandent « Comment tu as fait pendant que les salles pour l’entraînement sont fermées? » « Le plancher est ouvert, la nature est présente, tu peux bouger, pousser, courir, t’agripper quand même ». Brique par brique, obstacle après obstacle, répétition après répétition que les journées soient bonnes ou mauvaises. Un esprit calme et un corps en mouvement et pas l’inverse. J’aimerais transposer tout ça sur l’écriture, la lecture et le reste. Le temps le dira. En attendant, je suis pratiquement plus en forme que jamais. Le dernier « bonus » est que mon fils m’accompagne parfois dans des cours et il découvre mon humilité devant des personnes plus petites que moi, mais avec de grandes capacités techniques. Je crois que mon fils avait besoin de me voir clairement incompétent et vulnérable dans des situations nouvelles dans lesquelles je suis sous-performant. 115 jours plus tard, la vie n’est pas plus facile, mais je suis armé d’une confiance nouvelle. Pour paraphraser Bruce Lee; « Ne priez pas pour une vie facile, priez pour la force d’endurer les difficultés » « Mieux vaut être un guerrier dans un jardin, qu’un jardinier dans une guerre ». Oui, c’est une photo de moi à l’époque… On peut croire que c’est un ancêtre des « dick pics » avec la coupe de cheveux. J'envisage des poursuites contre mes parents. On l’a pas toujours facile (même les profs) Un étudiant cette semaine, plein de bonnes intentions disait avoir de la difficulté à s’identifier aux professeurs surtout à cause du vécu des profs. Ce problème est accentué parce qu’avec la pandémie, on se sent seul et les jeunes sont négligés depuis le début. C’est un sentiment qui est renforcé, surtout dans un programme comme sciences humaines, dans lequel la majorité des étudiants n’occuperont pas un emploi similaire au nôtre. La capacité de se reconnaître est limitée… L’étudiant est aimable, mais il dégage cette impression que personne ne peut comprendre ses obstacles. J’ai défilé une liste « top of my head » comme disent les Américains des obstacles que je connais qui sont vécus par plusieurs profs : « Il y a des épisodes de dépressions, des blessures, des maladies, des troubles de santé mentale, certains des profs étaient homosexuels alors que c’était peu accepté, certains ont connu la mort d’un enfant, beaucoup de deuils, de la violence conjugale, des relations toxiques, des tentatives de suicide, des familles qui comptent des criminels et ainsi de suite ». Les profs n’en parlent pas, mais ce n'est pas parce qu’on se gère ou le cache que les collègues ne portent pas des cicatrices du passé. Le jeune homme est un peu gêné, il m’explique avoir traversé de grandes périodes de rejet. J'ai écouté (je ne veux pas l'identifier) et ensuite j'ai complété: « Je connais cette merde » Il est surpris « pas comme l’intimidation par exemple, ça laisse des traces… » Mon cher, l’extrait qui suit est pour toi. Sur l’intimidation Tu vois, j’ai des grandes difficultés à même regarder des photos de ma jeunesse (en excluant mon look) parce que je sais que je suis toujours entre deux épisodes misérables à l'époque. Si jamais le purgatoire existe, pour moi ce sera juste de repasser mon cheminement scolaire en boucle. Je suis passé par l’intimidation (remarque comme j’évite le mot victime). Je n’ai jamais été une victime de rien. Je « passe au travers des événements » ou « par les événements ». La vie, la douleur, l’amour, la mort, le rire, le silence, les blessures, les relations, les trahisons, la perte et les moments heureux, tout ça « arrive » à moi comme aux autres. Mais j’imagine que pour établir une démonstration convaincante un top 5 de mes plus vifs souvenirs d'intimidation pourrait être utile. Après tout, l’intimidation ce n’est pas théorique. 5 : Un mélange de ceci : se faire voler ses vêtements dans les vestiaires, recevoir de l’urine, se faire lancer des mouchoirs mouillés pendant que tu te changes, recevoir des coups de serviettes mouillées, se faire agripper les jambes en étant dans les toilettes, se faire enfarger, subir l’atomic wedgie, recevoir des coups dans l’intimité, se faire lancer des ballons au visage, enfermer dans son casier, recevoir des rondelles dures au hockey, endurer le bris de matériel scolaire quotidien, se faire voler des jouets, regarder son vélo se faire briser et ainsi de suite... 4 : Se faire tenir par des assaillants et battre par les autres, un classique qui ne se démode pas. 3 : Se faire agresser par une fille plus vieille dans le transport qui m’a tenu par les cheveux (ceci explique en partie mon changement de coupe de cheveux) jusqu’à ce que mon cuir chevelu saigne. Le plaisir relatif de cette violence s'additionne à celle de mon père à qui je devais expliquer perdre une bagarre aux mains d'une fille... 2 : Être si détaché de la situation qu'il fallait provoquer un agresseur, baisser les bras et se laisser battre par lui sans jamais broncher pour montrer que je suis capable d’en prendre. 1 : Me faire jeter par terre, immobiliser puis brûler dans le cou par une cuillère chauffée à blanc. L’agresseur m’a collé au sol puis brûlé pour ce qui me sembla une éternité. À ce jour je garde un souvenir de cette odeur unique. Est-ce que ceci a fait qui je suis ? C’est difficile à dire. Je ne peux pas le savoir. Dans tous les cas je suis passé par là. Pour moi l’intimidation est une période d’environ 10 ans. J’ai été si con par la suite : je pourrais avoir un chapitre à mon nom dans le manuel de la connerie. Je suis devenu un intimidateur et j’ai fait beaucoup de dommage à des gens qui ne le méritaient pas. Y’a des bonnes journées quand même à l’époque pendant lesquelles j’étais juste terrorisé de croiser quelqu’un, de me faire imiter, ou juste me faire bousculer sporadiquement par les autres. Le plus dur, qui s’explique mal, n’est pas un geste spécifique (je ne sais pas trop quelle a été ma torture préférée). C’est plus l’ambiance quotidienne : ne jamais appartenir à aucun groupe, toujours être de trop, regarder le plancher, passer d’une terreur à l’autre, pas d’amoureuse, peu d’amis, personne pour te comprendre et parfois l’idée que ceci ne prendra jamais fin. C’est aussi le fait de porter des manches longues pour cacher tes blessures, refuser d’en parler aux parents et vivre dans une colère sourde qui pousse à contempler sérieusement l’idée du suicide. En passant si tu as des idées suicidaires, il y a des ressources : 1-866-APPELLE (277-3553) L’équipe de ton cégep, des proches, des profs et d’autres personnes qui sont passées par là. D'autres qui comprennent et d'autres qui sont formés spécialement pour t'accueillir et t'aider à trouver des solutions. Ne t’abandonne pas : les gens qui t’entourent ont un vécu plus complexe que ce que l’on croit généralement. La plupart des gens cachent les blessures, mais il y aura des personnes heureuses de t’écouter, de t’aider et de parler si tu t’ouvres. Tu peux même te dire que l’on ne s’est pas croisé pour rien. Je continue de croire que de l’autre côté de ce qui semble un océan de souffrances, il y a quelque chose pour lequel ça vaut la peine de persévérer. Si on te le donnait aujourd’hui, tu n’en verrais pas la beauté, mais de l’autre côté des difficultés tu trouveras des trésors. Attention aux lecteurs : contrairement à mes habitudes, le niveau de langue est plus bas. Comme j’écris sur l’arrivée dans 2022 je reste civil, mais « j’en ai mon char ». 2021 a été horrible pour moi (bouhou pauvre moi). Je débute 2022 et tous les indicateurs signalent un shit-show de proportion biblique. Comme une piñata pleine de merde suspendue au-dessus de ma tête. « Ok, Roger that » Que faire alors ? Premièrement, j’adhère à la philosophie suivante : Ben oui, c’est une « shit-piñata », mais au moins c’est moi qui vais tenir le bâton. Deuxièmement, je vais citer la série culte « The Wire » en remplaçant le mot « Baltimore” par 2022 : “If the Gods are fucking you, you find a way to fuck them back. It's 2022, gentlemen; the Gods will not save you” Donc, trouvons une manière créative de baiser les dieux (nouveaux et anciens : loin de moi l’idée d’exclure). En 2022, rire sera un acte de résistance. Vivre sera brave, au prix d’être ridicule. Afficher un bout de son incompétence, prendre des risques, oser s’exposer pour commettre des actes d’amour, pour faire ce que l’on aime. Je ne suis pas le meilleur pour m’occuper de moi, mais je suis encore capable de faire rire les autres. Et oui, ceci explique cela. Quelqu’un m’a écrit en privé : « Es-tu rendu à danser comme une graine sur TikTok pour que les étudiants t’aiment? » « Oui »[1] Mais pas pour recevoir de l’amour. Pour en donner, parce que je les perds les étudiants et étudiantes. Pouce par pouce, jour après jour, rencontre Teams par rencontre Teams, abandon après abandon. Je voulais dépasser mes limites en 2021 pour essayer d’être le meilleur et j’ai été complètement détruit par la session et des groupes d’étudiants beaux, plein de potentiel, mais à la dérive. Ma vitesse de correction est celle d’une tortue renversée, bourrée de Jack Daniel’s qui compte les nuages. Je n’ai aucune idée de comment je suis devenu si lent. Pis oui les jeunes sont sur TikTok, pis je sais que c’est de l’édutainement, que les pères fondateurs de la sociologie s’agiteraient dans leur tombe, que ça comble mon grand besoin d’attention. « Keep talking, I’m reloading » Donc oui, s’il faut que je danse comme une graine sur internet je vais le faire. Je trouve le commentaire un peu blessant pour tous les pénis. Incapable de ne pas terminer sur quelque chose d’un tantinet poétique, je vous laisse sur deux mots importants à mes yeux. Le nadir Ce mot je l’ai toujours aimé. Il est trop peu connu et utilisé. Le nadir est l’inverse du zénith. Le zénith c’est quand le soleil est à son point le plus haut dans le ciel au-dessus de soi. On l’utilise souvent dans le sens de l’apogée. Le nadir est exactement l’inverse. C’est lorsque le soleil est à son point le plus bas en dessous de soi donc sous nos pieds. On l’utilise rarement ou jamais. C’est pourtant un mot que j’aime même s’il vient avec une grande douleur. Le zénith, aussi beau soit-il est éphémère et la seule direction suivante est la descente. Le nadir vient avec une tonne de possibilités. Le soleil ne fait que remonter à partir de ce point. Pourquoi pas ne s’assurer de ne pas tomber plus bas? Augmenter nos standards à partir d’un point et tenir la ligne coûte que coûte. Querencia Mot espagnol : c’est le lieu dans l’arène ou le taureau préfère rester. Les matadors savent qu’en cet espace le taureau se sent presque invincible. C’est un espace dans lequel le taureau se sent chez lui. C’est un lieu à partir duquel il attaque, il réplique, c’est un lieu d’authenticité. Le mot « querer » se rapporte au désir, à l'amour et la fin du mot ("encia") est liée à un élan ou une forme de quête. J’ai trouvé qu’Hemingway est responsable de la diffusion de ce mot ici. Chacun doit avoir un espace dans lequel il est presque invincible : par l’art, le sport, la bienveillance, le rire, la danse, la culture, le rapport à la nature et j’invite chacun à renouer avec cet espace. Partir de ce point pour rejoindre les autres. Parce qu’on ne va certainement pas mourir en silence. Donc on accepte que ce point est le nadir, tu loges dans ta querencia et on passe à l’action. Un pas à la fois, un cours à la fois, un geste à la fois. En 2022, les dieux doivent nous entendre. [1] J’ai pas été capable de ne pas ajouter « Moi je suis une graine qui danse, toi tu es une graine qui regarde une autre graine danser. » À lire : Mythes et réalités sur le peuples autochtones de Pierre Lepage! Un ouvrage pour démonter les préjugés et en apprendre plus. Le 2 novembre, j’ai eu le grand privilège de présenter un extrait de conférence sur les traumas subis et transmis dans les pensionnats autochtones.
Je tiens d’emblée à remercier ma collègue Joannie Daigneault pour l’opportunité, son exposé était clair et plein de faits troublants sur le traitement des membres des Premières Nations (Premiers peuples ou Autochtones). Comme il est difficile d’être compris sur un sujet aussi difficile en seulement quelques minutes, je résume ici ma pensée en fournissant des liens additionnels. Mes idées n’engagent que moi : pas mes collègues, pas mon employeur, pas mes ancêtres ni mes enfants. J'ai parfois un regard légèrement excentrique sur les problèmes sociaux. Mon regard personnel:
J’ai ouvert sur des expériences de neurobiologie de Henri Laborit dans Éloge de la fuite (référence ici[1]). En gros, dans un laboratoire on expose des rats à des signaux visuels et sonores qui annoncent des chocs électriques (de la souffrance) en offrant des environnements différents. 1. Environnement 1 Le rat peut fuir sa cage dans un espace capitonné. Cet animal se remettra du trauma relativement facilement en apprenant à fuir la douleur. 2. Environnement 2 Deux rats sont mis ensemble sans possibilité de fuir. Au signal sonore les rats vont se battre pour dissiper la tension. Fait qui semble étrange : les animaux garderons peut ou pas de séquelles du trauma selon Laborit. Comme si le passage à l’action agressive permet de diffuser la tension. 3. Environnement 3 Le rat est seul et ne peut rien faire d’autre que de subir le choc. Non seulement le trauma sera plus fort (après tout, les chocs sont répétés), mais il gardera des séquelles un mois plus tard et possiblement plus longtemps. Autrement dit, il somatise la douleur de l’environnement pour la retourner contre lui. Henri Laborit expose ensuite les trois tendances humaines (agression, fuite, somatisation) devant des chocs de l’environnement, la douleur et ainsi de suite. On peut immédiatement associer une des trois grandes tendances à des cultures ou des comportements plus genrés[2]. Chez le mammifère humain, on s’entend que la communication (le passage par l’univers symbolique) favorise une dissipation des tensions. Sur ce point je recommande le très populaire Guillaume Dulude avec « Je suis un chercheur d’or » (référence ici[3]). Voici les citations utilisées dans la conférence : « Si un humain souffre devant une personne, qui, elle, ne souffre pas, il aura tendance à la faire souffrir pour éviter d’être seul, afin d’équilibrer sa vulnérabilité. Il nous arrive même de faire mal à ceux que nous aimons. […] Ce n’est pas parce que nous aimons le faire. Cela fait ressortir un aspect fondamental de l’humain: il souffre davantage de la solitude ou de l’absence de connexion que de n’importe quelle autre douleur » (p.503 et p.547) En cherchant sur les traumatismes liés au passage dans les pensionnats, on se heurte aux difficultés des sciences sociales à obtenir des données claires sur l’impact du passage dans les pensionnats, sur notre méconnaissance des mécanismes de transmission intergénérationnelle des traumas et sur le fait qu’ici et maintenant il n’y a pas de lien causal entre le passage par les pensionnats et les traumatismes (voir la note 1). Quels sont les liens que l’on peut établir avec mes babillages et le passage dans les pensionnats? Une fois que l’on écarte la causalité scientifique, il ne reste que des témoignages, des prises de conscience, des extrapolations théoriques et pour un sociologue en action : une recommandation aux décideurs politiques. D’après moi, les enfants qui sont passés par ces institutions totalitaires que sont les pensionnats sont les sujets de chocs considérables. Un environnement violent, des agressions quotidiennes dans toutes les catégories et un processus d’intériorisation de la haine de soi. Ceci ressemble étrangement à une cage électrifiée sans possibilité de fuite. Les chances de somatisation sont donc maximales pour les ex-pensionnaires. Si on ajoute à cela l’absence de reconnaissance dans le pays et la province, l’écart de la langue pour reconnaître, partager et vivre la douleur, les tensions seront pratiquement impossibles à dissiper. Et une réserve ressemble à quoi pour la suite ? Parfois à une plus grande cage avec plus de possibilités certes. Les communautés sont variées et certaines s’en sortent mieux que d’autres. Mais « rassembler puis mettre à l’écart » les personnes traumatisées ressemble à une suite violente sans une véritable possibilité de guérison. Et les cultures autochtones ? Elles sont souvent rieuses plutôt qu’agressives, contemplatives plutôt que productives, tournées vers la spiritualité et les cycles. Autant d’ingrédients qui prédisposent à une mélancolie. Les risques de somatisation sont donc immenses et c’est une réaction biologique et sociale qui me semble complètement prévisible. Il y aura certainement des minorités agressives, tout d’abord envers la communauté et ensuite vers l’environnement. Possiblement des branches plus guerrières qui décideront d'extérioriser les tensions. Cette réaction me semble également une suite logique. Et on constate, de l’extérieur, uniquement les soubresauts de cette douleur ou alors les dérangements qui entourent les communautés pour une majorité inconsciente avec des réflexes de déni. Des solutions ? La froide logique comptable des décideurs politiques, ceux qui attendent les définitions parfaites et les preuves irréfutables, fait en sorte que les problèmes sociaux perdurent. Mon sentiment est que la première piste de solution part d’une écoute de chacune des communautés selon ses besoins et sa culture (sous-culture). Il faut évidemment limiter les expressions de violence dans un premier temps (parfois avec de la répression), mais il me semble évident qu’il faut se permettre plus… Il faut faire au moins autant de prévention, d’éducation et de soutien que de répression (et pourquoi pas davantage?). Une intervention holistique (sur les agresseurs, les victimes, les enfants, les aînés, la culture, la langue, la politique, l’histoire et l’environnement socioéconomique) me semble incontournable. On responsabilise donc pleinement les individus sans jamais nier l’importance d’une action collective et d’un environnement sain. Évidemment que l’on peut attendre des années pour prouver hors de tout doute l’impact précis et clair du passage dans les pensionnats et la transmission intergénérationnelle. Mais les gouvernements présentent déjà des excuses pour les pensionnats. Une fois que les excuses sont présentées, mieux vaut errer un peu du côté de la générosité en tentant de réparer et soutenir que d’attendre en espérant que les souffrances disparaissent par magie. Les questions sont légitimes : pourquoi attendre ? Pourquoi prendre le risque de ne pas soutenir les communautés et d’être encore absent dans l’écoute et l’entraide ? Mon impression est que les communautés n’attendent que l’opportunité de faire face aux défis. Note 1 Les données sont difficiles à obtenir pour plusieurs raisons : le poids de la honte des victimes, le peu d’études réalisées rapidement sur ce genre de question, la destruction des données médicales des résidents des pensionnats et la cécité collective sur cette douleur (une forme de fuite par le déni). Voir ici sur les archives médicales: https://www.ledevoir.com/documents/special/2021-06-pensionnats/index.html Voir cette étude sur les traumas à l’âge adulte https://www.erudit.org/en/journals/efg/2016-n25-efg03027/1039497ar/ Voir cet essai doctoral entre autres sur l’impossibilité d’établir un lien causal https://constellation.uqac.ca/2648/ [1] LABORIT, H. Éloge de la fuite, folio essais, 1977, 186 pages. [2] Pour les amateurs de science-fiction : c’est exactement le test que passe Paul Atréides dans Dune avec le « Gom Jabbar ». Essentiellement c’est la question suivante : Est-ce que le personnage de Paul transcende les réflexes de fuite, d’agression et de somatisation ? Peut-il retrouver le calme dans la douleur et se poser en maître de ses instincts et de son destin ? Voir : HERBERT, F. Dune, Robert Laffont , 1970 [1965], 349 pages [3] DULUDE, Guillaume, Je suis un chercheur d’or, Les éditions de l’homme, 2020, 567 pages Note: Trop drôle, j'ai fait une horrible erreur possiblement inconsciente. Plutôt que le mot "crédo" (dans le sens de croire en quelque chose) j'ai écrit "créneau" qui a le sens de "trou dans un rempart". Voici deux actes d'humilité en un! Possiblement que ma personne est encore "trouée" et l'autre chose est que j'ai mal prononcé un mot toute ma vie jusqu'à ma correction par une lectrice! Merci à toi, la route vers la sagesse est longue. Ta vie, ta session, ta carrière, ta famille, ton mariage, ta santé mentale pis toute : quand tu perds le nord et que tu ne comprends plus rien. Le temps ne répare rien, il donne de la perspective. J’essaie de ne pas sombrer comme le personnage de Caligula chez Camus. C’est donc l’occasion de te revivre une deuxième fois. Le mois d'octobre est le mois de ma fête. J’ai maintenant 42 ans et c’était une fête spéciale. Je ne peux pas dire que ça passe trop vite. Pas quand les tuiles s’accumulent. C’est ma première soirée de fête depuis 3 ans ou je ne pleure pas. Je ne peux pas dire pour autant que le bonheur est toujours à portée de main. Comme disait mon poète préféré : "Bien souvent ce n’est pas qu’on veut être heureux, c’est juste que nous voulons arrêter de souffrir". Cette fois c’est juste moi, mon fils, la plus grande simplicité pis les choses importantes (ok, avec un verre de rhum). Une fois le malheur évité… Selon quels principes nous accédons à un bonheur relatif ? Cette année, j’ai été dans l’obligation de me réinventer. Tant qu’à faire cet exercice, aussi bien réaffirmer mes valeurs et tenter d’être un modèle pour mes enfants. On me demande souvent en classe quelles sont les valeurs que je tente de transmettre aux enfants de mon entourage. On se souvient que l’on se donne la définition suivante : Les valeurs sont ce qui motive les actions. Alors j’en profite pour les expliquer ici. Voici une photo de notre mur d’entrée : Vrai (selon la force de nos relations)
Nous disons toujours la vérité ou alors on ne ment pas. On est honnête et intègre dans nos interactions. On admet nos fautes et on s’excuse. Nous gardons en tête que « mieux vaut être laid et vrai et que beau et faux ». Voici comment nous définissons certains éléments : Honnêteté : Quand la parole de quelqu’un est le reflet de la réalité, cette personne est honnête. Intégrité : Quand les actions de quelqu’un sont le reflet de ses paroles, cette personne est intègre. En premier on le fait pour soi, tout simplement pour assurer une cohérence interne. Si quelqu’un est faux, il est perdu. La seule mise en garde est qu’il faut éviter les blessures inutiles. Être vrai ne donne pas l’autorisation de torturer les autres, il faut mesurer nos propos selon la force de nos relations (la capacité de chacun de recevoir). C'est ainsi que l'on peut prendre soin des autres. Libre (mais engagé) Nous faisons des choix qui sont assumés et conscients. Ceci est la suite d’être vrai. Sans la conviction d’être vrai, il est impossible d’être libre. Il est possible de tout remettre en question, parce que rien n’est acquis et il faut s’engager avec cœur et passion dans nos actions. L’opinion des autres est considérée, mais n’a pas le pouvoir de nous contrôler. L’échec n’existe pas, c’est simplement un apprentissage. Il faut se permettre d’agir comme on l’entend avec des engagements que l’on respecte ou que l’on doit réviser. La contrepartie est qu’il y a un prix à payer pour chacune de nos actions. Notre espace rencontre celui des autres et demande une part de négociation. Nos engagements limitent notre liberté, mais permettent d’apprécier un espace créatif. On chemine donc vers notre couleur à travers nos engagements et les obstacles. Fort (et vulnérable) C’est un peu physique, parce qu’on est également des corps. Il est utile de prendre notre mesure physiquement, c’est une manière de s’exprimer. Cet aspect est aussi moral, selon notre capacité à se respecter soi, les autres et nos engagements. C’est également psychologique (la fameuse résilience) parce que nous prenons mesure de nos défauts, de nos failles et nous portons la conviction qu’il est possible de manifester notre force uniquement dans les zones de vulnérabilité[1]. C’est le pendant de la force : nous devons nous exposer et nous prenons des risques. Au terme de chaque projet ou engagement, il faut pouvoir se dire : « j’étais vrai, j’ai exploré ma liberté et j’ai manifesté toute ma force ». C’est faire le pas de plus, la distance de plus, la répétition et ce peut être de garder le silence plus longtemps et même la patience. Dans tous les cas, c’est lié à la vulnérabilité. Drôle Une fois les trois valeurs exprimées, nous aimons passer par le rire. Le rire répond au drame, au tragique et permet de dissiper les tensions. Le rire demande un lien aux autres, de l’esprit et rend les moments plus agréables. On peut agir avec sérieux et toujours rire de bon cœur. On tente de se tenir loin des farces plates et on ne prend jamais pour cible les plus vulnérables. Tant qu’à vivre, aussi bien le faire en riant. Comme je suis un père monoparental en reconstruction, je souhaite recevoir vos valeurs familiales et vos stratégies pour les partager aux enfants. [1] Je recommande « Je suis un chercheur d’or » de Guillaume Dulude sur cette question. Voir les sources de cet article. Sources CAMUS, Albert, Caligula, Les éditions Gallimard, 1958, 245 pages DULUDE, Guillaume, Je suis un chercheur d’or, Les éditions de l’Homme, 2020, 567 pages Porter Caro, Laurent, Steve, Rémy pis les autres Une marche de soutien qui rassemble plus de 200 personnes : des membres de la famille, des militantes, des militants, des ex-conjoints, des féministes, des lecteurs, d’anciens étudiants et étudiantes, des enfants et j’en passe. Tout le monde rassemblé pour une raison : porter Caro. Caro, c’est Caroline Dawson : autrice, prof de sociologie, maman; elle participe à des événements culturels et le monde la découvre de plus en plus. Pour moi, c’est juste mon amie Caro. Qui porte quoi ? À la fin de la marche de soutien, Caro monte dans un véhicule avec sa famille. Avant de s’y engouffrer elle me regarde et « flexe » ses muscles comme un culturiste pour me montrer qu’elle sera forte. C’est fou, pour moi la scène est surréelle. En ce moment, c’est Caro qui me porte, une fois de plus. Je me sens si faible par moment. Parce que la vérité c’est que c’est elle qui nous porte. Je ne suis pas là, je ne suis pas « glamour » comme disent les Français, je suis loin et absent. Quotidiennement c’est son épreuve à elle et ses proches. L’épreuve présentement c’est un cancer. Faut dire que je me sens plus comme « le lâche des lâches » devant cette situation : je suis loin et je ne sais pas quoi faire. Mon amie Caroline est incroyable : c’est une de mes personnes préférées au monde. Elle a un grand sourire, des yeux qui brillent et elle dégage quelque chose de totalement unique. Elle parle comme une poétesse, elle écrit bien, elle est intelligente, nuancée, drôle, belle, dramatique (drama queen d’après moi) et elle est juste plus grande que nature. J’ai été dans une bande militante avec elle: des gens brillants et des gens braves – elle était la meilleure d’entre nous. Elle pourrait bien devenir la reine du monde, pour moi elle restera mon amie Caro. Cette année, le monde commence à découvrir plus activement Caroline Dawson. Par des événements de littérature jeunesse, par sa sensibilité, par son incroyable roman biographique « Là où je me terre » et plus récemment, par l’annonce publique de son cancer. Elle m’apprend donc cet été qu’elle a le même cancer que Terry Fox. C’est fou. Encore cette merde de cancer qui revient dans ma vie. Cette fois la tumeur est surnommée Goliath. Évidemment, si quelque chose peut se mettre sur le chemin de la meilleure amie que j’ai jamais eue, ce sera un cancer digne de Terry Fox avec une tumeur grosse comme un personnage biblique. Faut savoir que Goliath n’a jamais eu de chance dans le combat contre David. L’arme de David (la fronde) était une merveille qui le rendait presque invincible. Caroline est certainement plus brillante que David. Et pis fuck ce Goliath, il ne sait pas à qui il aura affaire. En entrevue, mon amie Caroline évite d’affirmer qu’elle est brave parce qu’elle affirme ne pas avoir le choix. C’est curieux non ? Tous les plus braves guerriers et guerrières de ce monde n’avaient pas le choix, toutes les personnes qui relèvent les plus grands défis, toutes celles qui affrontent l’impossible, des Amazones jusqu’à Rosa Park. « Je n’ai pas vraiment le choix » d’être brave, donc. Terry Fox, puis maintenant mon amie. Ce n’est pas tant moi qui porte Caroline, qu’elle, qui nous porte par son exemple, sa parole et sa lumière. Parce qu’on n’a pas le choix, nous non plus. Elle se montre forte et on montre notre support. On l’aime notre amie, c’est elle qui me portait pendant mes études, pendant des deuils, pendant des peines et qui me donne encore l’exemple. Ce billet est une manière de dire « je t’aime » à tous mes amis (es) et aux familles qui vivent avec le cancer. Je ne parle pas ici de combat, de lutte ou des souffrances. Je n’aime pas dire quoi faire aux autres ou comment voir cette maladie. Le cancer, on peut vivre avec, vivre malgré lui; on peut même vivre longtemps malade sans vraiment le savoir. C’est un mal sérieux et c’est pourquoi il est nécessaire d’apprendre à en parler. Dans notre culture tout ce qui touche la maladie, la souffrance et la mort sont des sujets difficiles. Voici donc quelques personnes que je porte dans mon cœur, des morts et des vivants. Toutes des personnes très différentes pour moi. Comment tuer un party (parenthèse sur mon père) C’était il y a bien des années, une scène classique de party arrosé avec majoritairement des gars. Des dudes en boisson qui parlent, pour une raison obscure, du moment où ils considèrent qu’ils sont devenus des hommes. Pour un, c’est une histoire de « char »; pour un autre, c’est une bagarre et pour la plupart, c’est lié à la première relation sexuelle. Je reste silencieux sur cette question jusqu’à ce qu’on m’interpelle. « Pis toi Lefebvre, c’est à partir de quand que tu t’es considéré comme un homme ? » « C’est le jour où j’ai marché dans le sang de mon père » Yep, le party est mort comme ça. RIP. Namasté pis toute le kit les bros. Cassé #BriceDeNice Je n’ai pas forcé les détails parce que c’était moins exactement du sang et plus un mélange entre la matière fécale et le sang de mon père. Le diable est dans les détails. C’est la vérité cependant : cette scène reste comme un deuxième baptême. J’ai été privilégié de marcher aux côtés de mon père pendant ses derniers moments. Je peux dire que je l’ai porté un peu, même si c’était trop dur. Même s’il avait peur. Même si le colosse qu’il était s’est transformé en homme livide et blessé. Même si j’ai pris la décision de ne pas le réanimer et qu’on le garde froid et mort. Ma mère dit que j’ai été brave. Ha! Porter mon père jusqu’à son dernier souffle. C’était beau par moment, mais il y a un prix à payer. J’ai porté le cadavre symbolique de mon père pendant des années sur mon dos. Une dépression, un côté de famille renié et bien des épisodes plus tard, j’ai fait la paix. C’est beaucoup Caroline Dawson qui m’a permis de faire la paix par son écoute, sa présence et son grand cœur. Cette foule de visages en soins palliatifs J’ai également appris à faire la paix dans une maison en soins palliatifs où la mission était strictement d’accompagner des personnes vers la mort. Des gens seuls, des hommes, des femmes, des personnes parfois entourées, toutes semblables et dissemblables devant la mort. J’ai redécouvert l’importance du rire, de la grâce : une forme de beauté dans la lutte et surtout qu’au Québec, c’est visiblement l’affaire des femmes d’accompagner vers la mort. Mon bref passage en soins palliatifs m’a permis d’accueillir mon fils dans ce monde sans transmettre mon traumatisme du deuil. Laurent (mon ex-beau-père) Et puis mon beau-père a été atteint d’un violent cancer. Il a été brave et beau. Ma belle-famille s’est dépassée. À la fin, un homme qui était pratiquement mon seul ami dans cette famille est mort. De manière poétique, il a terminé sa vie avec la même équipe dans laquelle j’ai été bénévole. Je garde de beaux souvenirs de cet homme si patient et humble. Il saluait toujours ma persévérance et riait de bon cœur bien de mes capacités manuelles. Et les vivants ? Ben oui, tous les gens qui ont le cancer ne sont pas morts. On peut vivre malade. On peut vivre malade et heureux. Il y a bien mon ami Steve Picard, un ancien étudiant, un gars pas comme les autres. Il est audacieux, vivant, sincère et il voit souvent à travers mes masques en classe. Je sais qu’il sera un intervenant qui va se distinguer des autres. Mais notre session devient lourde quand il se présente en classe livide et blanc. Plus tard, il m’annoncera qu’il a un cancer. Encore plus tard, il m’annoncera que c’est un cancer très rare et qu’il risque d’y passer. C’est étrange parce qu’on se lie d’amitié avec un lit d’hôpital entre nous. Ce cher Steve fera une remontée spectaculaire et défiera tous les pronostics. Il est un miracle. Son histoire est trop compliquée, parfois on lui annonce la noirceur et parfois de l’espoir. Il marche tellement souvent entre le monde des vivants et celui des morts qu’on dirait Osiris le dieu égyptien. Pour écouter une entrevue maison que j’ai fait avec Steve « Osiris » Picard c’est ici : www.lacatabase.com/podcast.html (Voir épisode 8 "Heureux et malade") Il ne fait pas pitié, ce n’est pas une victime : il est vivant, il a des projets, il rêve, il veut bien vivre, mais il a encore besoin d’un coup de pouce. Pour l’aider avec son démo de chanson c’est ici : www.youtube.com/results?search_query=Anybody+there Il y a juste trop de vie pour capituler devant la mort Parfois, il y a juste trop de vie pour la contenir dans une seule et même personne. Je crois que c’est un peu le cas de Caroline Dawson. Je crois que c’est aussi ce qui arrive pour le grand cœur de Steve. L’important est de faire de notre mieux pour porter les vivants jusqu’au bout comme on peut. C’est un privilège pour moi quand je suis proche et brave. Avec Caroline je suis loin et les mots me manquent. Une fois de temps en temps je croise des individus qui me semblent exceptionnels comme Steve, comme ma fameuse Caroline et c’est certainement le cas de plusieurs autres personnes. Parce que même devant la mort, il y a des personnes qui nous portent. Le sens de la vie est dans l’entraide et la coopération. Plus on entraide dans des circonstances impossibles, plus on est vivant. C’est presque du Bukowski, « The laughing heart » « You can’t beat death But you can beat death in life, sometimes And the more you learn to do it The more light there will be » Pour trouver Caroline Dawson On peut trouver mon amie Caro ici raconter son parcours d’autrice www.facebook.com/watch/?v=2519101041728087 On peut la trouver ici dans une émission de radio rendre fascinante sa vie avec cette maladie ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/penelope/segments/chronique/369679/caroline-dawson-cancer-depistage-famille On peut l’entendre sur un podcast ici omny.fm/shows/les-effrontees/victime-dun-cancer-agressif-caroline-dawson-a-re-u Tu peux aussi lire "Là où je me terre" et l'aimer. www.editions-rm.ca/livres/la-ou-je-me-terre/ Le 16 septembre dernier, j’ai eu le privilège de participer à l’activité « On papote, grignote et sirote avec… » l’unique Mickaël Bergeron. C’est un journaliste, chroniqueur et auteur de plusieurs livres dont le livre La vie en gros, regard sur la société et le poids[i]. L’ouvrage « La vie en gros » permet adéquatement de réhabiliter l’utilisation du mot « gros » pour qualifier les corps. Je recommande ce livre parce que c’est un exercice d’humanité très touchant pour apprécier les réalités vécues par les grosses personnes dans un climat de grossophobie. Le livre alterne avec une grande adresse entre le registre émotif, les confidences, les statistiques médicales et un débat plus large scientifique et social. Je dois admettre que je suis très impressionné par cette personne. Monsieur Bergeron est sensible, intelligent, bienveillant et possède une chaleur humaine qui fait en sorte que l’on est très à l’aise de nous confier. En face de moi j’avais à faire à ce que je considère un géant sur la question de la diversité corporelle, du rapport au corps et de la grossophobie. Dernière phrase du « fanboy » en moi : je crois que si jamais il fait un cycle avec des entrevues de fond, il pourrait bien devenir un incontournable de sa profession au Québec. Je tiens également ici à souligner l’excellente animation de madame Mylène Rioux, hautement pertinente avec ses questions et très professionnelle dans son écoute. Il va sans dire que tout le mérite de l'activité et de son organisation va à l'équipe d'Arrimage Estrie que l'on peut retrouver ici: arrimageestrie.com/ À lire sans plus attendre : la vie en gros Un message pour la collectivité Je crois que si je pouvais conclure sur l’activité du 16 septembre dernier, je passerais le message que je tente toujours de passer au sujet des étiquettes, des discriminations et des rejets vécus à cause de la différenciation. Au fond, la cause de la diversité corporelle pour moi est toujours la même. Je garde le sentiment très fort que ma collectivité se prive du potentiel d’une partie de la population. Chaque fois qu’une personne différente refuse de s’exprimer, chaque fois qu’elle regarde le plancher, chaque fois qu’elle passe son tour, ne joue pas à un jeu, s’immobilise de corps ou d’esprit, s’efface de la place publique, se cache pour exister, s’étouffe ou s’éteint en silence, mange en cachette, se prive ou se punie pour ce qu’elle est fondamentalement, chaque fois qu’un enfant se fane à cause du regard sur son corps, chaque fois qu’une personne arrête d’explorer ses limites parce qu’elle a intériorisé le regard oppressant de la normalité ma collectivité se prive d’un potentiel qui pourrait bien changer le monde pour le mieux. Autrement dit on ne devrait pas attendre de recevoir la permission d’exister pour se découvrir, se réaliser et contribuer. Chacun d’entre nous vient au monde avec une lumière, un cadeau, un talent ou des capacités. Chaque vie qui n’est pas explorée est un gaspillage inestimable pour notre monde. Et le monde qui vient a grand besoin de toutes les idées et de toute la richesse pour faire face aux défis. Retour sur certains propos Si Mickaël Bergeron semble parfait dans sa parole, c’est beaucoup moins mon cas. Cette personne me donne l’impression que du fond de sa souffrance elle a trouvé des mots brillants pour éclairer le monde. Lors de notre discussion, j’ai ouvert sur mes réserves actuelles à qualifier des gens de grossophobes, de racistes ou de sexistes. Je tente maladroitement de faire une distinction que je juge utile lorsque vient le temps d’établir un dialogue. Je crois encore que quand une discussion vise la prise de conscience, l’échange et la sensibilisation, les étiquettes éloignent les personnes et brisent les échanges. En 2021, la prise de conscience sur les formes d’oppression multiple que vivent les personnes, sur les injustices, les oppressions et les privilèges provoquent une pluie d’étiquettes. On veut provoquer la prise de conscience et c’est une bonne chose. Le bémol vient lorsque la prise de conscience collective s’accompagne des étiquettes que l’on accole rapidement aux interlocuteurs. Un acteur social qui souffre risque de crier sa peine dans l’étape de la dénonciation des injustices. Ceci sape souvent le dialogue et est interprété par la droite conservatrice comme le double phénomène du « novlangue » et du sentiment du « on ne peut plus rien dire ». Les penseurs conservateurs accusent donc la nouvelle gauche d’être « woke » et une partie de la nouvelle gauche taxe les non-alliés d’étiquettes multiple (grossophobe, appropriation culturelle, transphobie, sexisme, racisme, discrimination systémique, etc.) Les deux tendances causent une grande réserve de ma part dans mes prises de parole publique. Je passe pour quelqu’un un peu à droite dans les groupes de gauche et un gauchiste devant les gens plus à droite. Et pourtant tout ce que je veux c’est ceci : dans le cadre d’un dialogue pédagogique pour provoquer une prise de conscience (comme en classe), j’ai la conviction qu’il est fondamental de distinguer la personne des propos. Ainsi, un propos ou une idée peut être grossophobe, discriminatoire, raciste, homophobe sans que la personne soit nécessaire « grossophobe, discriminatoire, raciste ou homophobe ». Je ne nie pas qu’il existe des personnes clairement grossophobes ou racistes. Règle générale je constate que c’est la culture qui l’est, une partie des systèmes ambiants et qu’une majorité de personnes sont juste inconscientes du côté vexatoire ou chargé de certaines idées. En classe si j’explique à une personne « vos propos me semblent racistes et s’ils sont répétés vous pouvez passer pour raciste » ceci provoque plus facilement l’ouverture que de taxer la personne de « raciste » en expliquant que « vos propos n’ont pas leur place ici ». Évidemment, j’ai le privilège d’enseigner et de pouvoir animer plusieurs heures consécutives d’échanges. Avec Arrimage Estrie, j’ai parfois le privilège de participer à des discussions et des échanges qui apportent aussi un peu de lumière. J’espère aider à éclairer le monde, à donner une voix à ceux et celles qui l’avaient perdu et de donner la permission à chaque personne que je rencontre d’exister. En attendant : merci à Arrimage pour cette belle opportunité et à Mickaël Bergeron pour son ouverture. [1] BERGERON, Mickaël, La vie en gros, regard sur la société et le poids, Éditions sommes toutes, 2019, 247 pages. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Février 2023
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