Voici un contenu spécial!
Un enregistrement audio sans montage avec quelques conseils que je donne à un ancien étudiant qui est en route pour devenir père. Voici un résumé des conseils : À partir du cliché « On ne naît pas père… » I – Toujours agir comme un volontaire II – Accepter que c’est une des plus grandes aventures III – L’importance de faire la paix avec ton éducation /tes origines IV – Cultiver avec trois objectifs ( richesse, stabilité, stimulation) V – Quelques principes en rafale -Tout passe (ne pas obséder avec des détails) -Vivre tes émotions, se montrer vulnérable et confiant -Transmettre quelque chose de plus -Accepter l’expression inattendue de la vie -Donner une idée claire de la réussite, chacun à sa mesure -Faire quelque chose de difficile -La fin du rôle de parent
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Il y a des souvenirs qui vivent pour l’éternité. Quelques moments avec les enfants qui suggèrent qu’ils incarnent tout ce que j’ai de meilleur. Je continue de croire que ce monde n’est pas vraiment prêt pour quelqu’un d’aussi gentil que mon petit dernier. Je ne crois pas vraiment que c’est à cause de mes efforts, je crois qu’il avait tout en lui, mais les plus beaux souvenirs de ma vie sont en sa compagnie et particulièrement quand il me renvoie des leçons que je tente de lui inculquer en étant nettement meilleur. Ce souvenir date de l’année dernière, lors d’une sortie scolaire. Je suis parent-accompagnateur lors d’une course à obstacles dans la boue. Je suis encore amoché de ma dernière course un ou deux jours avant, mais je saisis l’opportunité d’accompagner des enfants survoltés du primaire et une belle équipe de profs. Les petits sont en feu et l’activité déborde de vie. Je jette un œil vigilant sur mon fils de temps à autre, de loin, surtout pour lui envoyer le message : « Fais-toi confiance, tu es solide ». On échange quand même quelques paroles sans cérémonie : « Tu sais ce que tu dois faire », il hoche la tête le regard plein de défi et pose ses yeux sur l’horizon. Le bon vieux « You got this ». Le sens de la force
C’est une question éternelle entre nous, la plus fréquente… Quelle est la responsabilité de quelqu’un quand il est plus rapide, drôle, fort, rusé ou joyeux que les autres? La réponse que l’on se donne est que quand on a une longueur d’avance, on veille sur les autres. C’est un privilège de manifester des talents ou des compétences. La force ne prend son sens que dans le service du groupe. Il comprend, je sais qu’il est en feu. Je fais ce qu’il faut souvent faire comme parent : ne pas me mettre en travers de son chemin. Mon fils sait la place que je vais prendre : derrière le groupe, avec les plus vulnérables, les plus fragiles et ceux qui ont le pas lent. La course s’enclenche sous les cris de joie. Après une distance relativement courte, on rencontre un bouchon devant un obstacle qui pose problème. Ce genre de course est sécuritaire, mais une prof me cherche. Un enfant a fait une vilaine chute d’un obstacle, il est avec elle, un petit gaillard avec un bras mou comme un spaghetti trop cuit. Ses joues sont mouillées de larmes, sa journée s’est terminée abruptement et quelqu’un doit le raccompagner à l’accueil. Je suis l’élu. Je dois tenir le petit bras et c’est laid. Le petit membre semble cassé en deux endroits, la peau en est déformée. Le petit est apeuré et ne sait quoi faire de mes soupirs stoïques pendant le bref examen. Il a l’air brave, mais surtout inquiet. Je me positionne à sa hauteur. « Est-ce que mon bras est cassé monsieur? » [Il m'appelle par mon prénom et moi le sien, mais je ne veux pas nommer l'enfant ici] « On fera regarder ça par un docteur, ici et maintenant il se faut se concentrer sur le retour à l’accueil. » Il comprend « Mais je peux te dire une chose, ce que tu as c’est comme une cicatrice et tous les grands guerriers en ont ». Il regarde son bras avec un éclair d’émerveillement, j’ajoute : « Moi je pense qu’on va s’amuser quand même jusqu’à l’accueil ». Nous marchons ensemble, je maintiens son bras et chaque bosse est un test pour le petit. Il est touchant dans son combat, nous prenons finalement une pause qui, sans surprise, est pire que l’épreuve. Il a besoin d’énergie. « Hey, je veux que tu penses à quelqu’un qui te fait du bien, quelqu’un qui console et qui donne de la force ». Il se redresse, fort et fier, les yeux sur la route qui nous reste. « J’ai quelqu’un, monsieur! Il me console, je peux tout lui dire, il est brave et toujours là pour moi, c’est mon ami ». « Ok, tu le garde dans ton cœur et tu penses à lui quand c’est dur ». Il marche brave et solide, puis lance : « Mon ami s’appelle Mathys » je suis scié. « Tu sais quoi petit? » « … » « Je suis le père de Mathys » Il s’illumine comme jamais, plus de larme, les fractures probables sont presque drôles et il a maintenant le courage de 10 personnes. « Je me sens tellement bien » qu’il chantonne parfois en me regardant avec fierté. À l’accueil, nous sommes si proches que les responsables croient que c’est lui mon fils. Je dois le laisser entre des mains plus compétentes que les miennes. Plus tard, j’ai bien retrouvé mon fils au bout d’un sentier. Il est coincé avec une équipe mixte en difficulté. Je les approche sans bruit et l’équipe est sur le point de tomber à la renverse. Ils doivent transporter un objet trop lourd et doivent se relayer ce qui fait que de reprendre l’objet sans arrêt est difficile. Tous se relaient sauf ce petit… le mien… Mathys courbe l’échine sous le poids, mais il fait tout pour stabiliser l’équipe et il lutte à chaque instant. Il est au bout de ses capacités. Je sors l’équipe de l’embarras après mon admiration de la lutte et pendant quelques minutes des enfants me posent des questions sur le petit qui est tombé en début de course. Après quelques explications, mon fils est partagé entre ses sentiments, mais rassuré que son ami soit sauf. Essoufflé, il me demande finalement : « Pa, qu’est-ce que tu fais avec nous? » le regard constant. On se comprend, il dépasse encore mes attentes. Je termine pour lui : « Tu crois que quelqu’un pourrait avoir besoin d’aide? » Il hoche de la tête, le regard lumineux: « Fais ce que tu dois faire Pa » C'est dans son regard, dans sa fierté de servir en silence et de m'en demander autant que je sais qu'il porte quelque chose de merveilleux. Ma journée était faite et à ce jour cette médaille de participation est celle à propos de laquelle je suis le plus fier. Le monde n’est pas prêt pour quelqu’un d’aussi bon que lui. Cette année je suis privilégié, je commence avec trois cours d’étudiantes et d’étudiants brillants et ouvertes. Je tente de plus en plus des moments de coopération en classe et jusqu’ici les résultats semblent prometteurs. J’écris ces lignes et pourtant je sais qu’il me manque quelque chose, que si je ne tente par quelque chose de radical je vais terminer avec une grande déception… « Humble pie » J’ai toujours aimé cette expression. Cette année, c’est mon tour de manger quelques pointes. L’humilité est une qualité qui manque souvent à mon personnage d’enseignant. Crédit photo : AA C’est difficile, mais il arrive que l’on doive changer notre personnage. Je crois être toujours resté bienveillant, c’est vrai, mais j’ai toujours gardé la peur que ma gentillesse passe pour de la faiblesse. J’ai souvenir de mon état d’esprit enfant, quand l’intimidation a commencé pour moi, et je veux éviter de retomber dans cette dynamique. Pour plusieurs raisons j’entretiens la croyance que le fait de me montrer humble devant un groupe me fera prêter le flanc. Cette attitude est probablement le produit de mes anciennes interactions, mais je reste le seul responsable.
Les dernières années sont trop difficiles pour que je garde le mode « Darth Vader-Terminator-Johnny Lawrence ». Mécanismes de défense ou pas, il y a un prix à payer pour se présenter comme grandiose à la limite de l’arrogance. Je constate que depuis un certain temps la carte « grandeur » de mon personnage me coupe de plusieurs étudiants et étudiantes. En plus, le temps des fêtes a été pénible. Janvier a été une longue descente pour mon personnage : plein de vieilles blessures, des inquiétudes, une incapacité physique à bouger comme je veux, des faiblesses de caractère et une fatigue générale intense. Comment tirer profit de cette situation? J’en profite pour tenter un exercice d’humilité. Je reste compétitif et j’aime faire rire, mais je vais ouvertement assumer mes limites et exposer une grande vulnérabilité. Je fais donc le choix de célébrer une longue liste de malaises et de limites : Comme la fois où j’ai mélangé Roxton Pond et le chemin Roxham. Comme celle où un étudiant m’a repris sur la vitesse possible d’un moineau au badminton (il avait parfaitement raison sur les pointes de vitesse fulgurantes de ce sport). Comme toutes les fois où je suis trop fatigué, faible, blessé ou juste paresseux pour faire ce que j’ai à faire. Toutes les fois où je suis trop catégorique avant de réfléchir plus longuement à une question pour la nuancer. Comme mes nombreuses fautes et mes tares de caractères qui sont visibles depuis l’espace. Comme tous les cœurs brisés, même le mien, parce que je comprends avec beaucoup trop de lenteur les gens qui m’entourent. Pour toutes les blessures que je suis trop petit pour réparer. Comme quand je fais une énorme faute au tableau. Comme un alcoolique qui retombe au fond de sa bouteille et qui constate sa rechute. Comme une paraphrase de Dan Bigras « Quand je serre les fesses plus fort que les poings ». Je n’avais pas le choix, tôt ou tard il fallait que je tente une session dans ce mode. C’est un exercice éprouvant pour moi parce que c’est montrer une grande vulnérabilité. Dans l’espoir de terminer ce cycle et de trouver une manière de coexister avec le sauvage que j’étais, j’entame maintenant une grande marche silencieuse. Tout le monde me parle de sa beauté. Il est enjoué, unique et très spécial à mes yeux. Je comprends que presque tous les parents peuvent en dire autant de leur enfant. Je crois quand même que mon petit dernier m’offre un défi unique. Quand vient la question de l’éducation, je suis entièrement d’accord avec ceci : « Notre travail, en tant que parents, n’est donc pas de produire un type d’enfant particulier. Notre travail consiste au contraire à fournir un espace protégé d’amour, de sécurité et de stabilité dans lequel des enfants de tous types, imprévisibles et différents, peuvent s’épanouir. » (p.29,l.16) -Alison Gopnik (1) Pour une raison mystérieuse, mon fils a déjà tous les ingrédients qui me manquent. Où parfois on me dit « un peu cute », lui il on le dit « beau », quand on me soupçonne « intelligent », lui on le dit « brillant » et il manifeste chaleur et gentillesse avec aisance tandis que moi je ne suis que lenteur à cerner mes relations. Être son père est un grand privilège.
Comment aborder les vérités ternes sur le monde (surtout notre rapport à la nature), les visions les plus rationnelles et scientifiques sans pour autant le désenchanter, le dégoûter ou le séparer de l’humanité ? Je refuse de mentir, je refuse de le flétrir. Pas de "jusqu'ici tout va bien" ou le "ça va bien aller" devant une crise sans précédent pour l'humanité. Il y a quelques années, c’était : « Je suis le père d’un enfant de 4 ans qui demande au Père Noël qui visite sa garderie pourquoi il ne porte pas les mêmes bottes que lorsqu’il est au centre commercial? » Aujourd’hui je dois me regarder dans le miroir et me dire : « Je suis le père d’un garçon de 8 ans qui rêve d’inventer une méthode pour convertir le vide intersidéral en source d’énergie pour sauver les écosystèmes ». J’ai un garçon de 8 ans qui comprend que le Léviathan dans Pinocchio joue le même rôle que l’armure de Darth Vader dans Star Wars. L’enfant sauve le père du ventre du monstre pour revenir à la vie. Le principe énoncé plus tôt dans la citation de Gopnik me semble une principe idéal et je tente d’appliquer cette idée tous les jours pour aider cet enfant à s'épanouir. Je dois admettre que c’est difficile. Nous sommes en janvier 2023 et je commence à être dépassé par la profondeur des questions d’un enfant de 8 ans. Nous jouons sous la pluie froide d’automne en faisant semblant que tout va bien. Nous empruntons des livres à la bibliothèque dans lesquels une large part des animaux sont en danger. Je lui enseignerais bien les saisons, mais les bouleversements vont si vite que je ne peux pas transmettre ce que mes parents m’ont appris à propos des saisons et de la nature. On dit que la fin du monde sera « instagrammable » pour le plus grand plaisir des gens qui vivent dans l'immédiat(2). Les décideurs feront sans doute la « gestion de la crise » pour prolonger notre mode de vie de plus en plus éloignés des autres vivants le plus longtemps possible. « Ça va bien aller » right (vos chèques sont en route) ? J’ai en face de moi un enfant qui veut rire, jouer, explorer, découvrir le monde et croire que le bonheur est éternel. J’ai également un esprit critique, fasciné par les mathématiques, les fossiles, la paléontologie et les merveilles de la nature. Mais ce petit garçon demande des réponses souvent scientifiques et très rationnelles. C'est de trouver le point d'équilibre entre l’esprit et le niveau de conscience d’un jeune adulte et le cœur de l'enfant sans gâcher l'un ou l'autre. La grisaille de son esprit coïncide mal avec le feu galopant de son cœur d’enfant. Nous jouons donc sous cette froide pluie d’automne et mon fils ne comprend pas pourquoi les gens ne se mobilisent pas devant l’effondrement écologique pour sauver la planète et les animaux qu’il aime tant. À 8 ans il est capable de se demander pourquoi j’ai fait le choix d’avoir un enfant dans un monde si gris. Il se demande si Thanos n’a pas raison dans sa quête contre les Avengers (3). Je lui transmets donc tout ce que je peux : mes maigres connaissances, mes valeurs comme autant de propositions, de la culture, la certitude que la vie est un grand privilège et surtout une forme d’espoir qui me tient également; pas l’espoir que l’humanité s’en sortira avec un monde préservé - je crois sincèrement qu’il est déjà trop tard. C'est plutôt la certitude que nous nous battrons jusqu’au dernier souffle. Que des gens courageux et lucides faisaient des enfants pendant les grandes guerres. Que le privilège d'être vivant vaut toute la peine du monde. Que l’on annonce la fin du monde depuis longtemps. Lui dire et que même si, en toute vraisemblance, nous vivons bien le début d’une fin sans précédent, le sens de la vie est bien plus dans la lutte que dans la victoire. Un combat que l’on est assuré de gagner est sans valeur. Notre devoir de vivant est d’agir et de lutter pour les vivants sans se faire emporter par la grisaille de l’esprit ou naïf à cause de la joie au cœur. Sources: 1- GOPNIK, Alison, "Anti-Manuel d’éducation ; l’enfance révélée par les sciences", Éditions Le pommier, 2017 [2016], New York. 2 - COSSETTE, Josiane, "La fin du monde sera instagrammable", Le Devoir, 8 octobre 2022, en ligne [www.ledevoir.com/opinion/idees/762459/point-de-vue-la-fin-du-monde-sera-instagrammable] 3-Dans les films de Marvel, Thanos est un titan qui veut limiter l'expansion de la vie en éliminant la moitié de toutes les créatures vivantes. Le fantasme de notre époque pour notre mode de vie soit éternel : les héros le stopperont finalement grâce à un voyage à travers le temps. Sur la route pour pourfendre le Bouddha ![]() Plus le temps passe, plus j’apprécie le fait que je suis un simplet. Le fait que, malgré mon âge, j’arrive encore à commander avec une réponse positive presque tous les muscles de mon corps. Par contre, la moindre commande à mon esprit rencontre de la résistance. Donc « ne pas trop stresser avec » (un classique), « ne pas s’en faire », l’horreur derrière le slogan « continuons » avec en arrière-plan la fin du monde ( « jusqu’ici tout va bien ») ou m’interdire de visualiser un éléphant rose sont des commandes qui se soldent par des échecs. Mon esprit me résiste. Fait amusant : mes sens ne me résistent généralement pas à l’exception de l’odorat. Si quelqu’un me dit « ne respire pas, ça pue la moufette morte! », il est invariable que l’on peut compter sur moi pour prendre une inspiration et m’emplir le nez de la puanteur. J’en suis à un nombre incalculable de whiff de m****. Un véritable simplet. Le lien entre ça et le zen (pis c’est quoi un koan)? Un koan est un outil, un prétexte, un exercice mental qui favorise l’atteinte d’un état de conscience, qui favorise de vivre le moment présent en pleine conscience. L’exercice prend souvent la forme d’une question mystérieuse, comme un cas, avec lequel on passe du temps parce qu’il est impossible de le résoudre. Il est cependant impossible de le résoudre avec la raison. Les koans sont une pratique, au même titre que la méditation dans le zen qui est un mouvement plus général pour atteindre la connaissance de soi (le zen peut aller d’un arrangement floral jusqu’à la méditation profonde). C’est spirituel et non religieux. Tout le monde peut pratiquer le zen sans attache religieuse. On dit souvent que c’est comme le thé : les chrétiens, bouddhistes, musulmans et athées peuvent en boire. Le zen japonais explore le vide ou le « néant » d’une manière très intéressante sans jamais l’opposer au monde matériel ou à celui des formes. En résumé, le vide est bien le contraire du monde matériel sans être son opposé (oui, il est possible d’être le contraire de quelque chose sans opposition). L’idée est d’atteindre un point d’équilibre entre le vide et le plein, parce que l’un te fait apprécier l’autre. Tout ça dans le but d’avoir une solide connaissance de soi et d’explorer le monde en étant lié à toutes les créatures vivantes. Il m’arrive parfois d’atteindre temporairement un état d’équilibre fragile qui toujours m’échappe dans ce monde torturé. Ceci semble un peu complexe parce que si est inconscient qu’on le cherche, alors il nous échappe et si on le cherche trop consciemment, il s’échappe assurément. 2 koans Je vais rapporter deux extraits de koans zen significatifs pour moi. [Je m’autorise à les citer sans les sources puisque les deux se retrouvent dans un nombre incalculable de sources zen. Je propose trois livres dans les notes de cet article.] I - Le chien et la nature de Bouddha « Un moine demande au maître, Le chien a-t-il la nature de Bouddha? Le maître répond, «MU». » Mu signifie « non ». « néant » ou « cette question ne s’applique pas ». Pourquoi le maître répond ainsi? L’idée est que chaque créature vivante partage la même nature fondamentale (« Nous sommes des poussières d’étoiles »). Ainsi on peut affirmer que le chien a une nature de Bouddha. Le problème vient du fait que si le moine pose la question, ceci suggère une séparation avec les autres créatures vivantes. C’est pourquoi la question est irrecevable et que « Mu! » est la réponse. Le maître ne peut pas répondre « oui » à cause de cette division ou « non » à cause de la négation de la nature de Bouddha. Ceci est donc un koan fondamental, un grand classique. C’est celui avec lequel j’ai passé le plus de temps. Fondamentalement, toutes les créatures vivantes sont liées les unes aux autres et c’est la division qui nous fait souffrir dans la forme. Mais pourquoi, si notre nature est la même, nos formes sont différentes? Et comment cheminer avec la même nature par l’entremise des différences de forme? La compréhension profonde (intellectuelle et émotive) de ce « mu » rapproche les pratiquants zen de « la grande mort ». La grande mort, c’est lorsque le pratiquant se détache de son esprit, de son état et de sa forme pour se dissoudre et se confondre dans toute chose : la nature, le vent, la joie, la peine, le chien, la pratique, le mouvement et l’immobilité. Paradoxalement, ceci n’est pas loin de la fuite provoquée par la consommation ou les comportements excessifs. Mais le grand choc est que cet état d’esprit n’est pas l’illumination. C’est un outil, une étape qui rapproche de la barrière. On parle souvent de « franchir la barrière qui est ouverte ou la barrière sans porte ». Être inconscient et trop conscient sont les principaux obstacles pour éloigner de l’illumination. Ce qui me fait poser le deuxième koan et l’idée de « pourfendre le Bouddha » II – L’épée du général Kan « Au moment soudain de cette expérience singulière, ce sera l’explosion de la conversion et vous étonnerez le ciel et ébranlerez la terre. Vous volerez l’épée du général Kan ; vous en ferez votre arme et quand vous rencontrerez le Bouddha, vous le tuerez ; quand vous rencontrerez les patriarches, ils seront tranchés. Alors, installé dans cet instant de réalité flottant entre la vie et la mort, vous posséderez l’existence d’une grande liberté qui n’est ni vie ni mort, et parmi les six mondes et les quatre modes d’existence, vous jouirez de l’univers de paix et de réalité.» Être conscient de notre détachement ou notre capacité à se détacher sont des pièges. L’ego se sent immédiatement supérieur en comparaison à l’état des autres (qui sont moins conscients de la nature véritable ou trop attachés). L’ego est également friand de sa dissolution dans « la grande mort » par l’illusion de son unification avec le tout. Parce qu’on est unifié à l’ensemble par notre nature, mais véritablement séparé dans notre forme. C’est pourquoi il faut « revenir au monde » à partir de la grande mort et passer de la noirceur à la lumière. Et si, sur la route, on croise un Bouddha, il sera pourfendu! On doit tuer notre attachement égoïste au détachement de l’ego, pour ne pas se poser en illuminé retiré du monde ou en insupportable arrogant dans ce dernier. On tranche le Bouddha, les patriarches et les enseignements. Comme nous avons la nature du Bouddha, c’est une part de nous que l’on tranche. L’idée est de revenir au monde, dans notre forme unique et séparée des autres avec pourtant la même nature que le chien. L’illumination serait cet état d’équilibre fragile entre le néant et la pleine conscience. Le Yin et le Yang. C’est pourquoi on postule que l’homme simple qui fait cette réalisation est un saint. C’est également pourquoi on affirme que le saint qui fait cette réalisation vaut moins qu’un homme simple. « MU » Un simplet spécial quoi. SOURCES YAMADA, KOUN, The gateless gate the classic book of zen koans,Wisdom publications, Boston, 2015 [2004], 297 pages. YAMADA, KOUN, The authentic gate, Wisdom publications, Boston, 2015, 226 pages. ISHMAEL FORD, James et Melissa Myozen Blacker, The book of Mu, Wisdom publications, Boston, 2011, 329 pages (Un texte sans alcool) La sagesse du fond de la cuvette
En classe, je monte sur les bureaux, récite des poèmes, fais des blagues « trashy », j’ai chanté, fais un début d’effeuillage, bref j’arrive comme une tempête. Je suis chanceux, pas vrai : la réputation d’être pratiquement invincible, toujours capable d’improviser et ainsi de suite. 10 ans dans ce métier et je suis à l’aise de livrer ici mon « rituel » de chaque rentrée. Avant le premier cours, je suis frappé d’un « trac » soudain et un mal me prend les tripes. Je transpire comme un animal sauvage que l’on tient trop serré. Je saute sur place, je suis enfermé dans ma tête et j’écoute des chansons qui m’aident à canaliser mes émotions. C’est vraiment comme une torture et le temps devient distordu dans ce tunnel de peur. Je m’enferme aux toilettes, je m’asperge de l’eau au visage et je finis dans une cabine à contempler l’eau d’une cuvette (je m’asperge avec de l’eau du robinet, pas celle de la cuvette). C’est donc la contemplation de l’eau de la cuvette, une version accessible du miroir de Galadriel. Je suis parfois malade et au bord des vomissements. Il est fréquent que je me sente la plus petite personne du monde. C’est ce que j’appelle affectueusement « le rituel du puke ». Je finis d’habitude par me parler, me regarder dans le miroir pour ensuite foncer vers la classe. Mon arène Je tente de débuter chaque session comme s’il s’agissait de ma dernière, d’entamer chaque cours comme si la mort allait me frapper dans la minute. On enseigne comme on est en vie, comme on aime, comme on se bat. Et on le fait pour elles et eux (pis iels aussi). Je me souviens lors d’une rentrée il y a quelques années, j’arrive en complet pour le premier cours et un cadre qui se souvenait de mon entrevue m’aborde dans le corridor « Pierre-Philippe tu étais moins bien habillé en entrevue !? » (pause, échange de regards) « Je travaille pour les étudiants en premier, les autres sont loin derrière ». La classe est comme une arène, dans laquelle je m’acquitte de deux dettes. Ma première est pour toutes les fois où l’école m’emmerdait. Les fois où tu te dis : « je peux faire mieux que cette personne à l’avant ». Ce quelque chose en toi qui comporte une part d’ego et qui est proche de l’arrogance. J’ai gardé cette impression longtemps et c’est devenu une certitude avec le temps. J’aime payer le prix de ce sentiment et de me dire que je dois attaquer/enseigner/transmettre de toutes mes forces. L’autre dette est celle d’incarner l’adulte que je voulais rencontrer quand j’étais jeune. À 17 ans, j’étais perdu. Je voulais des profs vivants, engagés, capables de regarder dans les yeux, d’enflammer le monde et surtout de permettre aux gens d’exister. C’est un mélange difficile entre la rigueur intellectuelle, l’empathie, la transmission de ce que l’on sait, le doute quant à ses croyances en s’accompagnant du doute devant l’infinitude de tout ce que l’on ne sait pas, de la fragilité des vivants et d’un futur incertain. Enseigner est un privilège, un art, un combat. Oui, je me dis tout ça en regardant le fond d’une toilette. Notes : J'aimerais recommander des lectures ou donner des trucs pour combattre la pression du premier cours, mais je crois sincèrement qu'il faut juste le faire. Autrement dit : ceci reviendrait à lire un texte sur "Comment sauter à l'eau". Dabs les mots de Yoda "There is no try". « Stie » Réponse de mon instructeur dans un cours privé quand je lui ai demandé pour la troisième fois s’il était bien certain que sa manière de procéder était meilleure que la mienne. Depuis peu, on m’a remis une ceinture blanche en jiu-jitsu brésilien, un art martial de combat au sol. Est-ce que je connais quelque chose en profondeur sur cette discipline? Non.
Est-ce que j’ai vraiment l’autorité pour en parler? Non. Je reste ce que je suis : je lis chaque semaine, explore lentement mon sujet et réfléchis à chaque leçon. Je suis incapable de ne pas faire des liens entre cet art martial et les autres pratiques dans ma vie (l’enseignement surtout). Je ne suis pas capable de ne pas m’accompagner du rire, c’est qui je suis. Évidemment, je pourrais parler de la grande qualité de mes instructeurs (3 personnes uniques, fascinantes et compétentes), de la camaraderie entre les élèves, des personnes que je rencontre et de l’état d’esprit de celles-ci, mais je garde le texte uniquement sur les leçons (et sous la barre des mille mots). Voici donc en rafale mes premiers apprentissages de ceinture blanche. Les principes de base du jiu-jitsu 0 - Une fois que le combat est au sol : I-Passer la garde de l’adversaire; II-Prendre une position avantageuse (ou dominante) ; III-Solidifier la position avantageuse; IV-Attaquer ET (si tout est solide et nécessaire) appliquer la force nécessaire. À venir (ceci est mon interprétation) : V - Explorer les alternatives possibles selon l’évolution de la discipline et la résistance de l’adversaire. Le parallèle avec l’enseignement est fascinant, c’est exactement ce que je fais en classe avec les sujets difficiles. I - Démonter les préjugés, fausses connaissances (prénotions), les réserves, contourner soigneusement les sensibilités et les blessures; II- Partager des notions et faits scientifiques solides en s’assurant de la compréhension de la classe. III- Renforcer les connaissances à partir du lien de confiance avec le groupe et des multiples recherches sur un sujet; IV- Valider l’application des théories en délogeant, remplaçant ou modifiant le regard sur le monde avec un travail sérieux (des rédactions, recherches, évaluations). Pour la suite : V- Explorer les alternatives possibles selon les contextes et attendre que la science supplante la présente théorie avec un meilleur modèle d’explications ou de compréhension. Les autres leçons de ceinture blanche
Dans mes victoires, même toutes croches lorsque je compense avec ma force de bœuf, j’arrête d’apprendre et il arrive même que mon ego prend de l’expansion (je peux me croire compétent alors que la victoire vient d’une mauvaise technique appliquée avec une tonne de force). Ma ceinture blanche m’apprend que la défaite est l’autoroute vers les apprentissages. La seule manière de perdre est donc l’abandon, l’irrespect de soi et des autres ou la démesure (l’expansion de l’ego). La leçon capitale : l’humilité C’est le slogan du gym que je fréquente. C’est la leçon des meilleurs élèves de la famille Gracie (des légendes dans cet art martial) et c’est la clef pour toutes les progressions dans cette discipline. C’est juste un autre niveau d’humilité. De manière classique, je suis fort : ici souvent ma force ne sert à rien ou est une nuisance. Dans les contacts physiques, j’arrivais à compenser avec ma masse/mon poids. Ici, mes adversaires expérimentés m’écrasent avec ma propre masse. Mon niveau de conditionnement et d’endurance était élevé : en combat c’est plus ou moins la clef, je suis une machine à gaspiller de l’énergie inutilement. Je compte parmi les élèves les moins expérimentés de l’école que je fréquente : je mélange encore ma gauche et ma droite, récemment j’ai mélangé mes bras et mes jambes. C’est vraiment hilarant, cette discipline fait en sorte qu’un de mes atouts devient un défaut. En combat libre « rolling », je me bagarre comme une remorqueuse en utilisant beaucoup trop de force et en écrasant lentement tout ce que je trouve pour obtenir une soumission. Le résultat est que j’apprends plus lentement que je devrais à cause de ma force. Pire encore, il m’est arrivé de croire que je devenais compétent parce que je compense mes défauts techniques en écrasant tout. Mon plan de match: « Hulk Smash! » J’ai beau me consoler en me disant que le légendaire Georges St-Pierre s’est fait soumettre 5 fois en 5 minutes à ses débuts en jiu-jitsu par un adversaire plus petit, je suis à plusieurs galaxies sous le niveau de GSP et en plus les instructeurs de mon école sont tous plus légers. C’est difficilement plus drôle. Surtout dans la complicité avec les autres. L’autre jour, un étudiant que j’aime bien m’a soufflé à l’oreille en me roulant doucement en boule sur moi-même : « Ne t’inquiète pas, j’ai roulé un cochon de 300 livres de cette manière cette semaine ». Je garde l’impression d’être un projet d’origami pour les autres. Donc, je me fais soumettre par des petits, des grands, des jeunes et des plus vénérables que moi. Forcément, cet art martial fonctionne et la principale leçon que je retiens est que si jamais j’ai juste une partie de ce talent, je vais pouvoir soumettre des adversaires beaucoup plus grands et forts. « Hulk ego smash, sniff sniff » Sources De simples recherches de base dans les outils électroniques peuvent donner une tonne d’informations… Tu veux me rouler en boule en me disant des mots doux à l’oreille? Tu veux t’initier aux arts martiaux et découvrir un autre monde? Je te recommande de suivre le lien suivant : www.neovsgym.com/?fbclid=IwAR0RzCGN_BlNUi5hZgMt0RwCrgNPHbWPTBcbeeolwgGYwmwh_B-3fWmDx8w Chaque jour quand je garde une habitude dont je suis fier, j'inscris un "x" sur le calendrier. Les "x" forment une chaîne et la seule règle importante est de "ne pas briser la chaîne". J’ai quelques questions sur la motivation qui méritent des réponses. La question que j’ai souvent est donc double : qu’est-ce qui te motive et comment rester motiver? La réponse est très décevante. « C’est qui je suis » Pour ma part : je lis pratiquement plus que jamais et j’en suis à plus de 230 jours consécutifs d’activité physique quotidienne. Je vise un record de lecture (même si mon travail implique de lire) et pourquoi pas 365 jours d’activité physique? Je prends le temps de me définir, me présenter et d’agir comme une personne active et un lecteur. La source la plus profonde pour des actions ou des comportements serait l’identité. Tout part très exactement de là, que ce soit conscient ou non. Quand on cherche à faire quelque chose de nouveau, c’est souvent par désir « d’être autre chose » ou de « changer ». On explore à tâtons, on « ne sait pas trop » et tout s’accompagne souvent d’un dialogue intérieur ou de commentaires : est-ce que je suis bon ou bonne, qu’est-ce que les autres vont penser de moi, que faire ensuite, est-ce que je vais être valorisé·e pour ma pratique, quels sont mes sentiments? Pour surmonter ce genre de questionnement, on se « motive » ce qui revient à dépenser de l’énergie pour poser des actions nouvelles (souvent inconfortables). Intrinsèque ou extrinsèque La littérature parle de « motivation intrinsèque » (qui vient de l’intérieur de soi) et de « motivation extrinsèque » (qui vient de l’extérieur de soi). On comprend aisément que ce qui est le plus fort est ce qui vient de l’intérieur et ce qui est fragile ou contextuel vient de l’extérieur. On mise donc sur le renforcement de la motivation dite intrinsèque. Mais sérieusement, je trouve tout ça trop compliqué pour les gens qui ne savent pas par quel bout instituer une habitude. Je dis souvent « fuck la motivation ». (je dis souvent fuck, c’est un mot que j’aime, c’est inconscient, c’est intrinsèque : je crois que c’est ma fucking identité.) La réponse simple Voici mon explication simple et ma recommandation de lecture si quelqu’un veut prendre de nouvelles habitudes (avec des exemples). 1 - Dans l’illustration suivante : d’où vient la motivation ? Source : CLEAR, James, Atomic habits, Penguin random house, New York, 2018, 306 pages. L’illustration est en page 30.
Le premier cercle est l’identité; le deuxième est le processus; et le dernier les résultats. L’erreur la plus commune est d’être trop attaché aux résultats. Partons des résultats : la personne veut un « corps plus efficace », on cherche à « obtenir une augmentation », il est question de « décrocher une entrevue », l’athlète veut « gagner une médaille », le plan est de « séduire x, y ou z », « de soumettre quelqu’un au jiu-jitsu », une quantité d’argent, etc. Ce sont des résultats, c’est très contextuel. C’est faible comme motivation, c’est extrinsèque et en dehors. Ceci est un secret zen et mystique de presque toutes les relations : les résultats sont hors contrôle. L’univers peut t’enlever les résultats et une fois que les résultats sont impossibles à atteindre pour une durée de temps, la motivation quitte. Exemple : crise économique (hors contrôle), résultats : très improbable d’être riche. Toutes les femmes que je rencontre sont superficielles ou détestent les rouquins (hors contrôle), résultat : personne n’est réceptif à la séduction. Les partenaires de jiu-jitsu sont plus expérimentés, plus calmes et se préparent à la compétition, résultat : la victoire par soumission m’échappe. Les résultats peuvent varier selon la journée, la température, le contexte économique, la forme physique, l’environnement, l’humeur des autres, l’orientation sexuelle, etc. Le cercle au milieu est le processus, c’est beaucoup plus intrinsèque. C’est le « comment la personne se rend à son objectif » et c’est beaucoup plus solide. S’attacher à s’entraîner, sentir son corps bouger, jouer au dek hockey, courir, cuisiner, obtenir des sourires de quelqu’un, avoir une bonne écoute, pratiquer le piano, répéter le théâtre, s’asseoir confortablement pour plonger dans un livre. Il y a une part extérieure (est-ce que les cours se donnent? Est-ce que j’ai accès à la pratique, quelqu’un à écouter, l’instrument de musique, etc.) Les Américains appellent ça « le grind », c’est une source forte pour les accrocs au travail. Ceci peut comporter une part inconsciente plus forte qui en dit long sur nous et notre passé. Il est fondamental d’apprendre à aimer le processus. Les champions de culturisme sont accrocs au « pump » dans les muscles, Stephen King est rigide à écrire chaque jour, une de mes proches décompresse systématiquement en « frottant les plancher ». Le résultat sera là, mais ce cercle est vraiment le processus. Le dernier cercle est celui de l’identité, c’est pratiquement uniquement intrinsèque (avec quelques composantes externes, des référents matériels). C’est une source presque inépuisable d’actions conscientes et surtout inconscientes. Les habitudes ou motivations qui logent ici sont les plus fortes. Comment on se définit dans le dialogue intérieur ? Qu’est-ce qui est dit lors des présentations à une nouvelle personne? On se dit un fumeur ou un consommateur? Probablement que d’arrêter de fumer sans aide sera difficile. Les qualificatifs sont importants : un artiste, un aidant, quelqu’un de généreux, un prédateur, une personne en forme, un parent responsable, un cultivateur, un professeur, etc. Ceci est profond, le processus vient après (certaines personnes changent de moyens pour combler un besoin identitaire) et les résultats sont variables (parfois on gagne, on perd, peu importe parce que l’identité est la même). L’interprétation des signaux extérieurs passe par l’identité. Ceci explique pourquoi la connaissance de soi est fondamentale et également pourquoi c’est une source si forte. Si on n’actualise pas ceci, on sent que l’on meurt un peu, que l’on s’éteint. Des exemples? Le 230 jours consécutifs d’activité physique modérées ou intenses n’est plus « coûteux » quand il se présente comme un enjeu identitaire :
Je vois le monde de cette manière: je soulève plus de choses, prends plus souvent les escaliers, suis stationné plus loin, mange en conséquence des dépenses énergétiques, pense à ma posture, etc. Les conséquences sont nombreuses : changements corporels, connaissance de soi, investissement de temps, blessures ou douleurs, nouvelles relations dans les arts martiaux, mais les « résultats » ne changent pas mon identité. Je suis actif blessé, par jour de pluie ou de grêle, lors des fériés et ainsi de suite. Un jour sans activité est un jour où je me perds. Plusieurs jours « je me fane » et une longue période serait un choc identitaire. Évidemment mon environnement, mon entourage et d’autres facteurs facilitent l’expression de cette identité. On peut déduire d’autre comportement pour celles et ceux qui se voient comme des artistes, militants, étudiants, victimes, mâles alpha ou autre. Le meilleur livre que j’ai lu pour instaurer de nouvelles habitudes est en référence sous le texte. La meilleure voie pour moi demeure une compréhension profonde de son identité. CLEAR, James, Atomic habits, Penguin random house, New York, 2018, 306 pages Invariablement, la fête des Pères me fait penser au mien et à son dernier repas. Quelque 20 ans après sa mort, je suis à l’aise d’écrire sur ce moment entre nous.
À la table Ce silence interminable entre lui et moi : il était assis en face de moi, me toisant avec son regard bleu et terrible. J’arrivais à le soutenir et à lui montrer que rien ne me faisait peur. Et pourtant, la mort nous rampait dessus et il me tenait en ce lieu pour voir de quoi j’étais fait. Le moment s’éternisait et dans quelques minutes, il serait mort. Il en était très conscient. Jusqu’à la fin, il voulait mesurer l’homme que j’allais devenir. Il brisa enfin le silence pour me faire une confidence. Son dernier secret serait la première phrase que je prononcerais à mon fils bien des années plus tard. Il se dénoua la gorge avec difficulté : « Je t’ai raconté le plus beau jour de ma vie? » *** Rémy Lefebvre En santé, il était fort, grand, érudit, homme ténébreux qui était amoureux de la nature, des lettres, de la biologie, l’écologie, le français et les maths. Il pouvait enseigner tout ça. Il maîtrisait également de longues locutions latines qu’il me murmurait parfois en me regardant. Mon père était une tempête. On aurait dit un animal pris dans le corps d'un homme. Il s’isolait parfois des semaines entières dans la nature, loin de nous, loin de tout, pour se retrouver, lui. Il dégageait parfois une telle colère qu’on l’aurait cru totalement sauvage sur le point de perdre ses facultés. Il vivait mal en société. Père détestait les gens faux, les salamalecs, était inconfortable en groupe, avait des accès de colère et pouvait être très blessant. Il était également connu pour ses engagements, sa culture, son amour des gens intelligents, honnêtes et son mépris sans borne pour d'autres. Je me sentais en sécurité avec lui, il semblait plus fort et terrible que tout. N’empêche qu’il me trouvait toujours faible et que je gardais l’impression permanente d’échouer un examen. D’être un peu comme une déception. Mon père était la mesure de tous les hommes dans mes yeux d’enfant. Dans les dernières années, il s’autodétruisait devant nous avec de l’alcool et de mauvaises habitudes. Son corps était usé plus qu’à son tour. Je ne crois pas qu’il connut souvent la paix. Sans doute parfois avec ma mère, certainement loin de tout dans la nature et assurément lors de cette journée à laquelle il référait de manière cryptique comme étant « le plus beau jour de ma vie ». Pendant sa dernière heure, il avait demandé son repas préféré. De manière soudaine ses plaies s’étaient ouvertes et il saignait des jambes, du torse et puait la mort. Son visage était décoloré et ses traits tirés puisqu’il avait perdu ce qui me semble être 50 kilos. Il urinait quotidiennement beaucoup de sang, son dos était brisé et une de ses jambes presque inutilisable. Je me souviendrais toujours de sa force. Je l’ai bien aidé à faire une distance en le soutenant. À quelques pas de la table, il m’a demandé de le laisser aller : « Tu ne vas pas faire mes derniers pas », puis, mourant, il est allé prendre place pour le repas. Nous avons soupé l’un en face de l’autre, avec peu de mots et son regard se posait parfois sur moi comme pour me demander : « Es-tu prêt? » À un moment du repas, il recracha son breuvage avec dégoût. « Tout goûte pareil », fit-il en soupirant. Il me regarda en silence, dans l’attente. « Tu perds le goût ». Il acquiesça simplement. « Tout goûte la bile mon fils ». Il était stoïque. « Tu es en train de mourir, c’est pour ça que tes sens partent et que tes plaies sont ouvertes ». Il semblait alors très heureux. « Tu es bien éduqué, ça ira pour toi » Le long silence, le regard d’acier. « Je t’ai raconté le plus beau jour de ma vie?» - Jamais vraiment. - C’est le jour où tu es venu au monde, tout le reste a goûté la bile en comparaison. » Quelques minutes plus tard, il allait mourir dans mes bras. Je comprends qu’il avait attendu jusqu’au dernier instant par peur que de célébrer notre lien me rende faible. Je comprends le modèle. Partager ses derniers pas a été un privilège. *** Je garde de forts souvenirs de cet homme qu’était mon père. Dans sa grandeur et sa colère. Des années plus tard, je me suis dit que j’allais partir du même endroit avec mon fils. Il sait que le jour de sa naissance est le plus beau jour de ma vie. Mes premières notes sur le faux-Soi.
J'arrive encore mal à l'exprimer, mais j'ai l'impression qu'il existe un lien direct entre "les personnalités toxiques" et l'expression d'un faux-Soi dans la personnalité. Le lien sociologique que je peux faire, c'est que notre culture favorise l'expression d'une façade superficielle au détriment des personnalités complexes avec des côtés négatifs. Cette obsession collective qui revient à nier la mort, masquer la laideur et notre côté sombre. À force de rejeter la mort on se prive principalement de la vie. La vitesse, l'urgence d'être bien et confortable et l'invasion des distractions légères. C’est vrai à propos du deuil, c’est vrai à propos de tout ce qui est douloureux, inconfortable, inexprimé ou refoulé. Pas moins de quatre personnes de mon entourage traversent des deuils présentement (toutes des femmes). Mon constat est que toutes font face au contexte social qui rend difficile de traverser un deuil. On est tous désarmé devant la mort des autres et j’ai fait une tonne d’erreurs à travers mes deuils de jeunesse. J’écris en pensant aujourd’hui à une orpheline qui souffre l’accumulation des deuils et qui manifeste le manque d’acceptation de la douleur qui vient avec la mort. La mort demeure un tabou. On ne la nomme que du bout des lèvres et trop rapidement. Je recommande toujours Caligula de Camus qui est le seul ouvrage qui m’a permis de confronter ma douleur lors d’un deuil. Cette tendance à nier la mort est également celle à ne pas vouloir « faire notre âge » et à valoriser uniquement le beau. Je vais refaire ici mon plaidoyer pour la laideur et l’acceptation du « shadow self » chez Jung. On a tous des mauvais côtés, des faiblesses, des aspects tyranniques ou un potentiel de noirceur. Il est essentiel d’en prendre conscience et de mettre ses forces/pulsions au travail pour nous et notre entourage. Je referme à l’instant l’excellent Le drame de l’enfant doué de l’autrice Alice Miller. Cet ouvrage aborde principalement le bagage non résolu de l’enfance qui fait en sorte que beaucoup d’adultes se retrouvent avec un faux-Soi très élaboré. Le faux-Soi, un concept que j’explore présentement, me semble être un vecteur d’accélération pour devenir une personnalité toxique (sujet à la mode). Le faux-Soi serait en quelque sorte le visage jugé agréable par les parents, une façade, qui se développe au détriment de ce que l’on est vraiment. Ce n’est pas uniquement le fameux « masque » lors des prestations publiques (le pôle social de l’identité en sociologie). C’est bien plutôt une forme de refoulement de sa personnalité véritable, ses traits ou pulsions jugés inadéquats, au profit d’un « faux-Soi » qui lui se trouve accepté et valorisé dans l’environnement. Des années de ce régime et la personne ne se connaît pas elle-même. Elle risque de se perdre, de se mentir, de vivre une fausse vie (une « shadow-life ») de consommer, d’être compulsive, toxique et surtout de reproduire le modèle avec ses propres enfants. Voici quelques perles de Miller… Elle explique (j’adore la poésie de cet extrait) que le personnage de Narcisse ne voit ni son dos, ni son ombre. Les deux lui restent cachés alors qu’il se contemple à la surface de l’eau. Il s’éprend donc d’une image de lui qui serait son faux-Soi, « car ce ne sont pas seulement les « beaux » et « bons » sentiments, ceux qui nous plaisent, qui font que nous sommes vivants, apportent une profondeur à notre existence et nous offrent des vues concluantes. » (p.60,l.18) Narcisse ne s’est jamais vraiment aimé lui-même contrairement à ce que l’on pense. Il est véritablement sa première victime et est mort bien avant son heure. Miller explique avec éclat que l’on peut violer un enfant de manière non sexuelle en l’humiliant et en lui faisant intégrer un mépris de ce qu’il est profondément. Tout ça au profit d’une image fausse. La plus grande blessure serait de ne jamais être aimé pour ce que l’on est vraiment. S’aimer sans passer uniquement par les grandeurs ( la démesure excessive des « highs ») et l’état dépressif (l’alternance infinie des gens prisonniers du faux-Soi). Parce qu’on est pris avec soi même et que la fuite est un détour de plus qui conduit à une prison intérieure, notre perte ou la perte du vivant. Ce qui est dans notre dos finira par nous rattraper qu’on en soit conscient ou non. Mieux vaut y faire face avec de l’aide au besoin. S’aimer dans la douleur du deuil, dans la laideur, dans ce que nous avons de sombre et d’incontrôlable. Parce que vivre c’est salissant, douloureux et que ce sont des incontournables pour exister. MILLER, Alice, Le drame de l’enfant doué, Éditions Quadrige, 2013 [1996], 107 pages |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Février 2023
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