Oui, c’est une photo de moi à l’époque… On peut croire que c’est un ancêtre des « dick pics » avec la coupe de cheveux. J'envisage des poursuites contre mes parents. On l’a pas toujours facile (même les profs) Un étudiant cette semaine, plein de bonnes intentions disait avoir de la difficulté à s’identifier aux professeurs surtout à cause du vécu des profs. Ce problème est accentué parce qu’avec la pandémie, on se sent seul et les jeunes sont négligés depuis le début. C’est un sentiment qui est renforcé, surtout dans un programme comme sciences humaines, dans lequel la majorité des étudiants n’occuperont pas un emploi similaire au nôtre. La capacité de se reconnaître est limitée… L’étudiant est aimable, mais il dégage cette impression que personne ne peut comprendre ses obstacles. J’ai défilé une liste « top of my head » comme disent les Américains des obstacles que je connais qui sont vécus par plusieurs profs : « Il y a des épisodes de dépressions, des blessures, des maladies, des troubles de santé mentale, certains des profs étaient homosexuels alors que c’était peu accepté, certains ont connu la mort d’un enfant, beaucoup de deuils, de la violence conjugale, des relations toxiques, des tentatives de suicide, des familles qui comptent des criminels et ainsi de suite ». Les profs n’en parlent pas, mais ce n'est pas parce qu’on se gère ou le cache que les collègues ne portent pas des cicatrices du passé. Le jeune homme est un peu gêné, il m’explique avoir traversé de grandes périodes de rejet. J'ai écouté (je ne veux pas l'identifier) et ensuite j'ai complété: « Je connais cette merde » Il est surpris « pas comme l’intimidation par exemple, ça laisse des traces… » Mon cher, l’extrait qui suit est pour toi. Sur l’intimidation Tu vois, j’ai des grandes difficultés à même regarder des photos de ma jeunesse (en excluant mon look) parce que je sais que je suis toujours entre deux épisodes misérables à l'époque. Si jamais le purgatoire existe, pour moi ce sera juste de repasser mon cheminement scolaire en boucle. Je suis passé par l’intimidation (remarque comme j’évite le mot victime). Je n’ai jamais été une victime de rien. Je « passe au travers des événements » ou « par les événements ». La vie, la douleur, l’amour, la mort, le rire, le silence, les blessures, les relations, les trahisons, la perte et les moments heureux, tout ça « arrive » à moi comme aux autres. Mais j’imagine que pour établir une démonstration convaincante un top 5 de mes plus vifs souvenirs d'intimidation pourrait être utile. Après tout, l’intimidation ce n’est pas théorique. 5 : Un mélange de ceci : se faire voler ses vêtements dans les vestiaires, recevoir de l’urine, se faire lancer des mouchoirs mouillés pendant que tu te changes, recevoir des coups de serviettes mouillées, se faire agripper les jambes en étant dans les toilettes, se faire enfarger, subir l’atomic wedgie, recevoir des coups dans l’intimité, se faire lancer des ballons au visage, enfermer dans son casier, recevoir des rondelles dures au hockey, endurer le bris de matériel scolaire quotidien, se faire voler des jouets, regarder son vélo se faire briser et ainsi de suite... 4 : Se faire tenir par des assaillants et battre par les autres, un classique qui ne se démode pas. 3 : Se faire agresser par une fille plus vieille dans le transport qui m’a tenu par les cheveux (ceci explique en partie mon changement de coupe de cheveux) jusqu’à ce que mon cuir chevelu saigne. Le plaisir relatif de cette violence s'additionne à celle de mon père à qui je devais expliquer perdre une bagarre aux mains d'une fille... 2 : Être si détaché de la situation qu'il fallait provoquer un agresseur, baisser les bras et se laisser battre par lui sans jamais broncher pour montrer que je suis capable d’en prendre. 1 : Me faire jeter par terre, immobiliser puis brûler dans le cou par une cuillère chauffée à blanc. L’agresseur m’a collé au sol puis brûlé pour ce qui me sembla une éternité. À ce jour je garde un souvenir de cette odeur unique. Est-ce que ceci a fait qui je suis ? C’est difficile à dire. Je ne peux pas le savoir. Dans tous les cas je suis passé par là. Pour moi l’intimidation est une période d’environ 10 ans. J’ai été si con par la suite : je pourrais avoir un chapitre à mon nom dans le manuel de la connerie. Je suis devenu un intimidateur et j’ai fait beaucoup de dommage à des gens qui ne le méritaient pas. Y’a des bonnes journées quand même à l’époque pendant lesquelles j’étais juste terrorisé de croiser quelqu’un, de me faire imiter, ou juste me faire bousculer sporadiquement par les autres. Le plus dur, qui s’explique mal, n’est pas un geste spécifique (je ne sais pas trop quelle a été ma torture préférée). C’est plus l’ambiance quotidienne : ne jamais appartenir à aucun groupe, toujours être de trop, regarder le plancher, passer d’une terreur à l’autre, pas d’amoureuse, peu d’amis, personne pour te comprendre et parfois l’idée que ceci ne prendra jamais fin. C’est aussi le fait de porter des manches longues pour cacher tes blessures, refuser d’en parler aux parents et vivre dans une colère sourde qui pousse à contempler sérieusement l’idée du suicide. En passant si tu as des idées suicidaires, il y a des ressources : 1-866-APPELLE (277-3553) L’équipe de ton cégep, des proches, des profs et d’autres personnes qui sont passées par là. D'autres qui comprennent et d'autres qui sont formés spécialement pour t'accueillir et t'aider à trouver des solutions. Ne t’abandonne pas : les gens qui t’entourent ont un vécu plus complexe que ce que l’on croit généralement. La plupart des gens cachent les blessures, mais il y aura des personnes heureuses de t’écouter, de t’aider et de parler si tu t’ouvres. Tu peux même te dire que l’on ne s’est pas croisé pour rien. Je continue de croire que de l’autre côté de ce qui semble un océan de souffrances, il y a quelque chose pour lequel ça vaut la peine de persévérer. Si on te le donnait aujourd’hui, tu n’en verrais pas la beauté, mais de l’autre côté des difficultés tu trouveras des trésors.
0 Commentaires
Votre commentaire sera affiché après son approbation.
Laisser un réponse. |
AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
|