Mes premières notes sur le faux-Soi.
J'arrive encore mal à l'exprimer, mais j'ai l'impression qu'il existe un lien direct entre "les personnalités toxiques" et l'expression d'un faux-Soi dans la personnalité. Le lien sociologique que je peux faire, c'est que notre culture favorise l'expression d'une façade superficielle au détriment des personnalités complexes avec des côtés négatifs. Cette obsession collective qui revient à nier la mort, masquer la laideur et notre côté sombre. À force de rejeter la mort on se prive principalement de la vie. La vitesse, l'urgence d'être bien et confortable et l'invasion des distractions légères. C’est vrai à propos du deuil, c’est vrai à propos de tout ce qui est douloureux, inconfortable, inexprimé ou refoulé. Pas moins de quatre personnes de mon entourage traversent des deuils présentement (toutes des femmes). Mon constat est que toutes font face au contexte social qui rend difficile de traverser un deuil. On est tous désarmé devant la mort des autres et j’ai fait une tonne d’erreurs à travers mes deuils de jeunesse. J’écris en pensant aujourd’hui à une orpheline qui souffre l’accumulation des deuils et qui manifeste le manque d’acceptation de la douleur qui vient avec la mort. La mort demeure un tabou. On ne la nomme que du bout des lèvres et trop rapidement. Je recommande toujours Caligula de Camus qui est le seul ouvrage qui m’a permis de confronter ma douleur lors d’un deuil. Cette tendance à nier la mort est également celle à ne pas vouloir « faire notre âge » et à valoriser uniquement le beau. Je vais refaire ici mon plaidoyer pour la laideur et l’acceptation du « shadow self » chez Jung. On a tous des mauvais côtés, des faiblesses, des aspects tyranniques ou un potentiel de noirceur. Il est essentiel d’en prendre conscience et de mettre ses forces/pulsions au travail pour nous et notre entourage. Je referme à l’instant l’excellent Le drame de l’enfant doué de l’autrice Alice Miller. Cet ouvrage aborde principalement le bagage non résolu de l’enfance qui fait en sorte que beaucoup d’adultes se retrouvent avec un faux-Soi très élaboré. Le faux-Soi, un concept que j’explore présentement, me semble être un vecteur d’accélération pour devenir une personnalité toxique (sujet à la mode). Le faux-Soi serait en quelque sorte le visage jugé agréable par les parents, une façade, qui se développe au détriment de ce que l’on est vraiment. Ce n’est pas uniquement le fameux « masque » lors des prestations publiques (le pôle social de l’identité en sociologie). C’est bien plutôt une forme de refoulement de sa personnalité véritable, ses traits ou pulsions jugés inadéquats, au profit d’un « faux-Soi » qui lui se trouve accepté et valorisé dans l’environnement. Des années de ce régime et la personne ne se connaît pas elle-même. Elle risque de se perdre, de se mentir, de vivre une fausse vie (une « shadow-life ») de consommer, d’être compulsive, toxique et surtout de reproduire le modèle avec ses propres enfants. Voici quelques perles de Miller… Elle explique (j’adore la poésie de cet extrait) que le personnage de Narcisse ne voit ni son dos, ni son ombre. Les deux lui restent cachés alors qu’il se contemple à la surface de l’eau. Il s’éprend donc d’une image de lui qui serait son faux-Soi, « car ce ne sont pas seulement les « beaux » et « bons » sentiments, ceux qui nous plaisent, qui font que nous sommes vivants, apportent une profondeur à notre existence et nous offrent des vues concluantes. » (p.60,l.18) Narcisse ne s’est jamais vraiment aimé lui-même contrairement à ce que l’on pense. Il est véritablement sa première victime et est mort bien avant son heure. Miller explique avec éclat que l’on peut violer un enfant de manière non sexuelle en l’humiliant et en lui faisant intégrer un mépris de ce qu’il est profondément. Tout ça au profit d’une image fausse. La plus grande blessure serait de ne jamais être aimé pour ce que l’on est vraiment. S’aimer sans passer uniquement par les grandeurs ( la démesure excessive des « highs ») et l’état dépressif (l’alternance infinie des gens prisonniers du faux-Soi). Parce qu’on est pris avec soi même et que la fuite est un détour de plus qui conduit à une prison intérieure, notre perte ou la perte du vivant. Ce qui est dans notre dos finira par nous rattraper qu’on en soit conscient ou non. Mieux vaut y faire face avec de l’aide au besoin. S’aimer dans la douleur du deuil, dans la laideur, dans ce que nous avons de sombre et d’incontrôlable. Parce que vivre c’est salissant, douloureux et que ce sont des incontournables pour exister. MILLER, Alice, Le drame de l’enfant doué, Éditions Quadrige, 2013 [1996], 107 pages
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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