Sur la route pour pourfendre le Bouddha Plus le temps passe, plus j’apprécie le fait que je suis un simplet. Le fait que, malgré mon âge, j’arrive encore à commander avec une réponse positive presque tous les muscles de mon corps. Par contre, la moindre commande à mon esprit rencontre de la résistance. Donc « ne pas trop stresser avec » (un classique), « ne pas s’en faire », l’horreur derrière le slogan « continuons » avec en arrière-plan la fin du monde ( « jusqu’ici tout va bien ») ou m’interdire de visualiser un éléphant rose sont des commandes qui se soldent par des échecs. Mon esprit me résiste. Fait amusant : mes sens ne me résistent généralement pas à l’exception de l’odorat. Si quelqu’un me dit « ne respire pas, ça pue la moufette morte! », il est invariable que l’on peut compter sur moi pour prendre une inspiration et m’emplir le nez de la puanteur. J’en suis à un nombre incalculable de whiff de m****. Un véritable simplet. Le lien entre ça et le zen (pis c’est quoi un koan)? Un koan est un outil, un prétexte, un exercice mental qui favorise l’atteinte d’un état de conscience, qui favorise de vivre le moment présent en pleine conscience. L’exercice prend souvent la forme d’une question mystérieuse, comme un cas, avec lequel on passe du temps parce qu’il est impossible de le résoudre. Il est cependant impossible de le résoudre avec la raison. Les koans sont une pratique, au même titre que la méditation dans le zen qui est un mouvement plus général pour atteindre la connaissance de soi (le zen peut aller d’un arrangement floral jusqu’à la méditation profonde). C’est spirituel et non religieux. Tout le monde peut pratiquer le zen sans attache religieuse. On dit souvent que c’est comme le thé : les chrétiens, bouddhistes, musulmans et athées peuvent en boire. Le zen japonais explore le vide ou le « néant » d’une manière très intéressante sans jamais l’opposer au monde matériel ou à celui des formes. En résumé, le vide est bien le contraire du monde matériel sans être son opposé (oui, il est possible d’être le contraire de quelque chose sans opposition). L’idée est d’atteindre un point d’équilibre entre le vide et le plein, parce que l’un te fait apprécier l’autre. Tout ça dans le but d’avoir une solide connaissance de soi et d’explorer le monde en étant lié à toutes les créatures vivantes. Il m’arrive parfois d’atteindre temporairement un état d’équilibre fragile qui toujours m’échappe dans ce monde torturé. Ceci semble un peu complexe parce que si est inconscient qu’on le cherche, alors il nous échappe et si on le cherche trop consciemment, il s’échappe assurément. 2 koans Je vais rapporter deux extraits de koans zen significatifs pour moi. [Je m’autorise à les citer sans les sources puisque les deux se retrouvent dans un nombre incalculable de sources zen. Je propose trois livres dans les notes de cet article.] I - Le chien et la nature de Bouddha « Un moine demande au maître, Le chien a-t-il la nature de Bouddha? Le maître répond, «MU». » Mu signifie « non ». « néant » ou « cette question ne s’applique pas ». Pourquoi le maître répond ainsi? L’idée est que chaque créature vivante partage la même nature fondamentale (« Nous sommes des poussières d’étoiles »). Ainsi on peut affirmer que le chien a une nature de Bouddha. Le problème vient du fait que si le moine pose la question, ceci suggère une séparation avec les autres créatures vivantes. C’est pourquoi la question est irrecevable et que « Mu! » est la réponse. Le maître ne peut pas répondre « oui » à cause de cette division ou « non » à cause de la négation de la nature de Bouddha. Ceci est donc un koan fondamental, un grand classique. C’est celui avec lequel j’ai passé le plus de temps. Fondamentalement, toutes les créatures vivantes sont liées les unes aux autres et c’est la division qui nous fait souffrir dans la forme. Mais pourquoi, si notre nature est la même, nos formes sont différentes? Et comment cheminer avec la même nature par l’entremise des différences de forme? La compréhension profonde (intellectuelle et émotive) de ce « mu » rapproche les pratiquants zen de « la grande mort ». La grande mort, c’est lorsque le pratiquant se détache de son esprit, de son état et de sa forme pour se dissoudre et se confondre dans toute chose : la nature, le vent, la joie, la peine, le chien, la pratique, le mouvement et l’immobilité. Paradoxalement, ceci n’est pas loin de la fuite provoquée par la consommation ou les comportements excessifs. Mais le grand choc est que cet état d’esprit n’est pas l’illumination. C’est un outil, une étape qui rapproche de la barrière. On parle souvent de « franchir la barrière qui est ouverte ou la barrière sans porte ». Être inconscient et trop conscient sont les principaux obstacles pour éloigner de l’illumination. Ce qui me fait poser le deuxième koan et l’idée de « pourfendre le Bouddha » II – L’épée du général Kan « Au moment soudain de cette expérience singulière, ce sera l’explosion de la conversion et vous étonnerez le ciel et ébranlerez la terre. Vous volerez l’épée du général Kan ; vous en ferez votre arme et quand vous rencontrerez le Bouddha, vous le tuerez ; quand vous rencontrerez les patriarches, ils seront tranchés. Alors, installé dans cet instant de réalité flottant entre la vie et la mort, vous posséderez l’existence d’une grande liberté qui n’est ni vie ni mort, et parmi les six mondes et les quatre modes d’existence, vous jouirez de l’univers de paix et de réalité.» Être conscient de notre détachement ou notre capacité à se détacher sont des pièges. L’ego se sent immédiatement supérieur en comparaison à l’état des autres (qui sont moins conscients de la nature véritable ou trop attachés). L’ego est également friand de sa dissolution dans « la grande mort » par l’illusion de son unification avec le tout. Parce qu’on est unifié à l’ensemble par notre nature, mais véritablement séparé dans notre forme. C’est pourquoi il faut « revenir au monde » à partir de la grande mort et passer de la noirceur à la lumière. Et si, sur la route, on croise un Bouddha, il sera pourfendu! On doit tuer notre attachement égoïste au détachement de l’ego, pour ne pas se poser en illuminé retiré du monde ou en insupportable arrogant dans ce dernier. On tranche le Bouddha, les patriarches et les enseignements. Comme nous avons la nature du Bouddha, c’est une part de nous que l’on tranche. L’idée est de revenir au monde, dans notre forme unique et séparée des autres avec pourtant la même nature que le chien. L’illumination serait cet état d’équilibre fragile entre le néant et la pleine conscience. Le Yin et le Yang. C’est pourquoi on postule que l’homme simple qui fait cette réalisation est un saint. C’est également pourquoi on affirme que le saint qui fait cette réalisation vaut moins qu’un homme simple. « MU » Un simplet spécial quoi. SOURCES YAMADA, KOUN, The gateless gate the classic book of zen koans,Wisdom publications, Boston, 2015 [2004], 297 pages. YAMADA, KOUN, The authentic gate, Wisdom publications, Boston, 2015, 226 pages. ISHMAEL FORD, James et Melissa Myozen Blacker, The book of Mu, Wisdom publications, Boston, 2011, 329 pages
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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