Tout le monde me parle de sa beauté. Il est enjoué, unique et très spécial à mes yeux. Je comprends que presque tous les parents peuvent en dire autant de leur enfant. Je crois quand même que mon petit dernier m’offre un défi unique. Quand vient la question de l’éducation, je suis entièrement d’accord avec ceci : « Notre travail, en tant que parents, n’est donc pas de produire un type d’enfant particulier. Notre travail consiste au contraire à fournir un espace protégé d’amour, de sécurité et de stabilité dans lequel des enfants de tous types, imprévisibles et différents, peuvent s’épanouir. » (p.29,l.16) -Alison Gopnik (1) Pour une raison mystérieuse, mon fils a déjà tous les ingrédients qui me manquent. Où parfois on me dit « un peu cute », lui il on le dit « beau », quand on me soupçonne « intelligent », lui on le dit « brillant » et il manifeste chaleur et gentillesse avec aisance tandis que moi je ne suis que lenteur à cerner mes relations. Être son père est un grand privilège.
Comment aborder les vérités ternes sur le monde (surtout notre rapport à la nature), les visions les plus rationnelles et scientifiques sans pour autant le désenchanter, le dégoûter ou le séparer de l’humanité ? Je refuse de mentir, je refuse de le flétrir. Pas de "jusqu'ici tout va bien" ou le "ça va bien aller" devant une crise sans précédent pour l'humanité. Il y a quelques années, c’était : « Je suis le père d’un enfant de 4 ans qui demande au Père Noël qui visite sa garderie pourquoi il ne porte pas les mêmes bottes que lorsqu’il est au centre commercial? » Aujourd’hui je dois me regarder dans le miroir et me dire : « Je suis le père d’un garçon de 8 ans qui rêve d’inventer une méthode pour convertir le vide intersidéral en source d’énergie pour sauver les écosystèmes ». J’ai un garçon de 8 ans qui comprend que le Léviathan dans Pinocchio joue le même rôle que l’armure de Darth Vader dans Star Wars. L’enfant sauve le père du ventre du monstre pour revenir à la vie. Le principe énoncé plus tôt dans la citation de Gopnik me semble une principe idéal et je tente d’appliquer cette idée tous les jours pour aider cet enfant à s'épanouir. Je dois admettre que c’est difficile. Nous sommes en janvier 2023 et je commence à être dépassé par la profondeur des questions d’un enfant de 8 ans. Nous jouons sous la pluie froide d’automne en faisant semblant que tout va bien. Nous empruntons des livres à la bibliothèque dans lesquels une large part des animaux sont en danger. Je lui enseignerais bien les saisons, mais les bouleversements vont si vite que je ne peux pas transmettre ce que mes parents m’ont appris à propos des saisons et de la nature. On dit que la fin du monde sera « instagrammable » pour le plus grand plaisir des gens qui vivent dans l'immédiat(2). Les décideurs feront sans doute la « gestion de la crise » pour prolonger notre mode de vie de plus en plus éloignés des autres vivants le plus longtemps possible. « Ça va bien aller » right (vos chèques sont en route) ? J’ai en face de moi un enfant qui veut rire, jouer, explorer, découvrir le monde et croire que le bonheur est éternel. J’ai également un esprit critique, fasciné par les mathématiques, les fossiles, la paléontologie et les merveilles de la nature. Mais ce petit garçon demande des réponses souvent scientifiques et très rationnelles. C'est de trouver le point d'équilibre entre l’esprit et le niveau de conscience d’un jeune adulte et le cœur de l'enfant sans gâcher l'un ou l'autre. La grisaille de son esprit coïncide mal avec le feu galopant de son cœur d’enfant. Nous jouons donc sous cette froide pluie d’automne et mon fils ne comprend pas pourquoi les gens ne se mobilisent pas devant l’effondrement écologique pour sauver la planète et les animaux qu’il aime tant. À 8 ans il est capable de se demander pourquoi j’ai fait le choix d’avoir un enfant dans un monde si gris. Il se demande si Thanos n’a pas raison dans sa quête contre les Avengers (3). Je lui transmets donc tout ce que je peux : mes maigres connaissances, mes valeurs comme autant de propositions, de la culture, la certitude que la vie est un grand privilège et surtout une forme d’espoir qui me tient également; pas l’espoir que l’humanité s’en sortira avec un monde préservé - je crois sincèrement qu’il est déjà trop tard. C'est plutôt la certitude que nous nous battrons jusqu’au dernier souffle. Que des gens courageux et lucides faisaient des enfants pendant les grandes guerres. Que le privilège d'être vivant vaut toute la peine du monde. Que l’on annonce la fin du monde depuis longtemps. Lui dire et que même si, en toute vraisemblance, nous vivons bien le début d’une fin sans précédent, le sens de la vie est bien plus dans la lutte que dans la victoire. Un combat que l’on est assuré de gagner est sans valeur. Notre devoir de vivant est d’agir et de lutter pour les vivants sans se faire emporter par la grisaille de l’esprit ou naïf à cause de la joie au cœur. Sources: 1- GOPNIK, Alison, "Anti-Manuel d’éducation ; l’enfance révélée par les sciences", Éditions Le pommier, 2017 [2016], New York. 2 - COSSETTE, Josiane, "La fin du monde sera instagrammable", Le Devoir, 8 octobre 2022, en ligne [www.ledevoir.com/opinion/idees/762459/point-de-vue-la-fin-du-monde-sera-instagrammable] 3-Dans les films de Marvel, Thanos est un titan qui veut limiter l'expansion de la vie en éliminant la moitié de toutes les créatures vivantes. Le fantasme de notre époque pour notre mode de vie soit éternel : les héros le stopperont finalement grâce à un voyage à travers le temps.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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