L'enseignant comme jardinierOn dit souvent que le professeur se doit d’être comme le jardinier. Il cultive et donne un environnement favorable, fait de son mieux et finalement se retire pour laisser la nature suivre son cours en faisant confiance dans la suite. Le module 2 du cours « Actualisation de sa pratique enseignante » me donne beaucoup de ressources et me plonge dans une réflexion sur mes rôles et responsabilités à titre d’enseignant. Mon plus grand défi : ma personnalité fait parfois « trop d’ombre » à la classe et aux étudiants. C’est difficile à admettre, mais je suis un jardinier qui est maladroitement dans le chemin. Pour terminer cette analogie entre le jardinier et le professeur, je me permets d’ouvrir les réflexions sur un proverbe qui vient du monde arabe. « La nature de la pluie demeure la même, mais elle fait de la boue dans un marécage et fait pousser des fleurs dans un jardin. » Le même enseignant, avec le même contenu, produit des effets parfois opposés sur des étudiants. Voici quelques brèves réflexions sur le module 2 du cours. L'importance sociale de l'enseignement et de la réussiteL’enseignement est une des fonctions les plus anciennes des sociétés. Il s’agit de transmettre des connaissances et des compétences, ceci est une évidence, mais l’éducation supérieure est un lieu d’intégration dans l’univers social et scientifique. Pour plusieurs étudiants et étudiantes, l’école est le seul endroit qui permet de donner une perspective sur un futur très différent que celui proposé par le milieu social et familial d’origine. C’est donc un vecteur de « mobilité sociale » toujours vivant dans un milieu comme celui où j’enseigne. La raison même de la mise en place du réseau collégial est de permettre la mobilité sociale à une large part de la population. Permettre le contact avec une variété de disciplines, avec la littérature, autant d'éléments qui font voyager autour du monde et dans le temps l’espace pendant quelques semaines. C’est certainement un moyen de se préparer au monde du travail et au développement du sens critique dans la société, mais l’éducation est d’abord et avant tout un exercice qui donne du pouvoir et permet de faire des choix sur sa vie. En ce sens, le mot réussite se comprend vraiment autrement que dans une perspective de métier ou de rapport académique. Quelques exemples significatifs Réussir pour l’établissement c’est d’obtenir de bonnes notes. C’est parfois accéder à un emploi visé pour les gens des techniques, c’est souvent de poursuivre vers l’université. Mais c’est tellement plus. C’est cette citoyenne qui me croise (dans une station-service) plus de cinq années après mon cours : « J’ai complètement changé la manière d’éduquer mes enfants et je vis bien avec mes choix différents de ceux des autres ». C'est aussi : « j'ai recommencé à parler à mon père, merci! ». C’est cette personne qui découvre qu’elle est capable de se dépasser et de faire des présentations orales alors qu’elle se sentait ridicule il y a quelques semaines. Les aléas de la vie font qu’elle abandonne le cours, mais elle fonce vers un autre domaine, confiante qu’elle peut attaquer une variété de défis. Plus d’un millier d’étudiants plus tard, les exemples sont innombrables des bienfaits des contacts avec l’histoire, la littérature, la philosophie, tout ce qui contribue directement à des réussites sociales et qui élève les âmes et les coeurs. La quête d'équilibreSource : Auteur inconnu[1], « Différence entre un triangle didactique et un triangle pédagogique », Prof innovant, en ligne : https://www.profinnovant.com/difference-entre-triangle-didactique-et-triangle-pedagogique/, page consultée le 30 juillet 2023 Le triangle de Houssaye me fait réaliser que je passe trop de temps dans la relation « savoirs-enseignant » au détriment des autres relations. Même si cette réalisation semble simple, je dois tenter de mettre en place des mesures concrètes pour couvrir l’ensemble des relations possibles dans le triangle didactique (je reviens concrètement sur cette faute dans les mesures concrètes qui se trouvent plus bas). Outil pour régler les questions éthiques (quand il y a des conflits de valeurs) J’ai bien apprécié un nouvel outil disponible dans les lectures du cours qui permet d’aborder les tensions éthiques de manière structurée. Plutôt que de faire une simple répétition de la lecture, je vais présenter un cas vécu avec un étudiant qui est devenu un ami. Un exemple : le cas d’un ami Au fil des années, je me suis lié d’amitié avec plusieurs étudiants. L’un d’eux a fait des sessions intermittentes dans le collège pour cause de maladie. Au courant d’une session avec moi, il a appris qu’il avait une maladie grave. Pendant l’été suivant cette session, nous sommes demeurés en contact et, quand son état a dégénéré, j’ai fait partie de ses visiteurs à l’hôpital. À partir de ce point, une amitié s’est développée au point où j’ai passé du temps avec lui dans l’intimité (lire : prendre un verre et discuter longuement d’homme à homme). Sa maladie était incurable et seule la mort attendait le jeune homme. Par un « miracle heureux », mon ancien étudiant et ami connaît une rémission fulgurante qui défie la science. Le premier problème : il poursuit ses études, le deuxième problème : il se retrouve dans un de mes cours optionnels. Je me suis donc retrouvé dans l’impossibilité de corriger ses travaux. Après plusieurs tergiversations nous avons été en mesure de mobiliser un autre professeur pour procéder à la correction des travaux et des examens de cet étudiant. Notre « relation » a fait en sorte que la correction était plus complexe, mais la relation pédagogique est demeurée intacte. Malgré notre élégance pour négocier cette situation, il est clair qu’un outil comme ceux proposés dans Desaulniers, M.-P. et Jutras, F. (2016) aurait été d’une grande utilité. Mesures concrètes à mettre en place dans ma pratique Dans les réflexions à venir, je vais certainement m’accompagner de l’outil éthique dans les tensions et situations vécues avec les étudiants et les collègues. Le principal mérite de l’outil est de permettre d’éclaircir les enjeux et de mener une démarche jusqu’au bout sans piétiner sur ou « tourner autour » des enjeux. Pour le triangle didactique de Houssaye, je vais explicitement diviser des moments du cours pour chaque relation du triangle didactique. Dans mon cas précis, je n’accorde que trop peu de temps pour faire un retour sur la « relation d’apprentissage » telle que vécue par les étudiants. Suite à mes lectures, je crois que de présenter de quelle manière j’arrive personnellement à lire les textes proposés pour ouvrir des échanges sur les difficultés et défis rencontrés par les étudiants et étudiantes. Il me sera également possible de proposer des exercices formatifs sous la forme de questionnaire sur « comment on comprend un texte ou un exercice » (donc une activité méta cognitive) pour arriver à aider individuellement les étudiants qui sont isolés dans la relation d’apprentissage. Rapport aux collègues et aux devoirs de l'enseignantSur l'approche par compétence Avec une formation plutôt classique et un rapport « au maître » plutôt traditionnel, j’ai tout d’abord été très fermé à la mise en place de « l’approche par compétence ». Ma principale crainte était que les savoirs soient évacués littéralement au profit des compétences en asservissant l’éducation au monde du travail. Avec le temps, les réflexions et les ajustements, je dois admettre que la combinaison « approche-programme » et « approche par compétence » donne une place très intéressante aux savoirs disciplinaires. Comme les compétences sont plus clairement balisées et mesurées et que tout repose sur une vision commune, les savoirs entourant les compétences se retrouvent renforcés. Les compétences sont acquises à travers deux moments réflexifs intenses : d’une part de manière préalable pour comprendre l’historique, le comment, les rôles, les fonctions et le contexte de la compétence et d’autre part avec une métaréflexion sur la compétence dans un ensemble. Il y a toujours une réflexion métacognitive pour garder un esprit critique dans l’acquisition des compétences (Carles, S. 2022.). Autrement dit : ce que je craignais était que cette approche transforme les étudiants et étudiantes en exécutant qui sont formatés pour tirer des leviers. Je peux maintenant raconter l’histoire du levier, son rôle, celui de la machine, le contexte de travail et permettre une réflexion sur pourquoi et comment on tire le levier. Dans une certaine limite, l’approche par compétence permet une plus grande remise en question que la formation classique (Dang Ngoc, T. Trâm. 2021). Les superprofsJe ne peux passer sous silence le détour de plus que j’ai pris dans les apprentissages du module 2. Après la lecture de l’article sur les « superprofs de Magnan, L.-M. (2010) j’ai décidé de me procurer l’ouvrage de Ken Bain What the best college teachers do (Bain, 2004.) Je pourrais présentement écrire une dizaine de pages uniquement sur ce que je retire des résultats de cette enquête et sur le travail que j’ai à faire suite à la lecture de ce livre. Je vais me concentrer ici sur les quelques pistes qui sont les plus prometteuses pour moi.
L’idée est donc souvent de partager des réflexions similaires aux auteurs et aux classiques pour que les étudiants cheminent dans une réflexion semblable. Plutôt que de transmettre des savoirs ou des compétences, il s’agit plus d’insuffler une énergie qui motive à explorer le monde avec une nouvelle perspective. Quelques moyens à mettre en place dans ma pratique Je vais désormais toujours ouvrir et fermer mes cours avec une question plus large avec une portée scientifique. Je vais faire écho aux questions posées par les pères fondateurs de la Sociologie et les réflexions que je demande en classe aux étudiants. Un autre moyen clair est que je vais maintenant faire un détour pour lier explicitement les réflexions de chacune des séances à un contenu extérieur au cours (une œuvre d’art, un film, un débat politique) pour que les étudiants mesurent mieux à quel point les savoirs, questionnements et compétences sont transposables dans plusieurs sphères de la vie en société. BibliographieBain, K. (2004), What the best college teachers do, Harvard university press, États-Unis.
Basque, J. (2015). Le concept de compétences : Quelques définitions. Montréal, Canada : Projet MAPES (Modélisation de l'approche-programme en enseignement supérieur), Réseau de l’Université du Québec. Accessible en ligne sur le Portail de soutien à la pédagogie universitaire du réseau de l’Université du Québec : http://pedagogie.uquebec.ca Carles, S. (2022) L’autonomie professionnelle, Collège Montmorency. Dang Ngoc, T. Trâm. (2021, 1 mars). Approche par compétences. Dans Blogue personnel. https://bit.ly/3qIGbzb Desaulniers, M.-P. et Jutras, F. (2016). Chapitre 5. Dans M-P Desaulnier et F. Jutras. L’éthique professionnelle en enseignement. Fondements et pratiques (p. 93-106). Presses de l’Université du Québec. Lenoir, Y. (2012). Réfléchir dans et sur sa pratique, une nécessité indispensable. Université de Sherbrooke. Magnan, L.-M. (2010). Ken Bain et les « superprofs » : une lecture à faire, Pédagogie collégiale, 23 (2), 33-34. http://eduq.info/xmlui/handle/11515/21776 Carles, S. (2022) Approche programme Collège Montmorency.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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