J’ai le privilège de former présentement une partie du personnel infirmier. Je tente de favoriser une prise de conscience par rapport à l’état du système de santé au Québec et en occident. Dans nos sociétés, nous mourrons d’abondance : trop de nourriture riche, de temps de sédentarité devant des écrans, de partenaires sexuels et de soins. Ici on meurt d’être soigné. Et ça coûte cher à nos sociétés. Le surdiagnostic est le principal problème des systèmes de santé des pays industrialisés. C’est ce qui me fait affirmer que notre rapport à la santé est malade. On améliore de la durée de la vie sans en améliorer la qualité. La question se pose : « pourquoi on soigne? » Pour comprendre ce phénomène, il faut accepter qu’il soit multifactoriel. Voici quelques facteurs : -La science médicale comble partiellement le vide laissé par la religion dans nos sociétés. De plus en plus d’aspects « naturels » de la vie sont pris en charge par le système médical : la grossesse, le deuil, la mort, la vieillesse, les troubles de comportements, les troubles d’apprentissages et la dégénérescence naturelle du corps. On s’en remet aux sciences médicales pour un ensemble de questions qui ne relève pas de cette dernière. -La profession médicale s’est lourdement spécialisée. Chaque spécialiste justifie son utilité par ses tests et, un peu comme un thérapeute de couple, le spécialiste croit presque toujours dans la nécessité de son intervention. -L’accroissement technologique nous donne accès à de l’imagerie médicale très précise (qui semble au-delà de nos capacités à agir médicalement). Plusieurs cancers sont détectés de manière précoce et traiter de manière agressive alors que l’impact réel de la maladie sur la vie du patient est pratiquement nul. Le cancer de la glande thyroïde est un exemple classique de ce phénomène. - Une consultation = une prescription La logique clientéliste et marchande du système dans lequel chaque patient est un maintenant un client. La médicamentation de l’ensemble des problèmes de santé (et parfois des phénomènes sociaux et affectifs) fait en sorte qu’un éventail de produits est proposé au système médical. Les clients s’attendent à un service qui prend souvent la forme d’un produit à consommer ou d’un test. La médicalisation implique la course au diagnostic et les diagnostics s’accompagnent de médicaments. Et c’est ici que le bât blesse : « Les médicaments sont la troisième cause de décès après les maladies cardiovasculaires et les cancers »[1]. On meurt de devenir un client de l’industrie des soins. Avant d’aller plus loin (et de m’écrire des lettres de haine, il faut reconnaître quelques réalités : -Quelqu’un qui a des problèmes manifestes de santé devrait consulter un professionnel de la santé. -Quelqu’un qui a des antécédents familiaux devrait sans doute se faire dépister pour la maladie en question. -Pour des problèmes ponctuels, les interventions médicales font des merveilles pour améliorer la qualité de vie des individus. -Mon propre père est mort d’un cancer, je suis amplement sensibilisé aux réalités d’une pareille maladie. -La très forte majorité des élèves en soins (et les jeunes docteurs) sont pleins de bonnes intentions. C'est possible d'être une bonne personne qui œuvre de son mieux dans un système qui fait du dommage à la population (je travaille en éducation). -Un bon suivi de son état de santé n’implique pas forcément un dépistage de toutes les maladies existantes et une prévention agressive. Sur l’iatrogénèse Chaque médicament et chaque intervention comporte des effets iatrogènes. Pour simplifier au maximum, il faut comprendre que les effets iatrogènes sont tous les effets indésirables qui viennent avec une intervention. Il arrive que les effets iatrogènes aillent au-delà des bénéfices pour le bien-être d’une personne ou d’une population. Les effets secondaires des médicaments sont une évidence, tout comme la période de réhabilitation suite à une importante intervention médicale. D’autres effets sont plus pernicieux : comme l’accoutumance, la dépendance, le stress chronique d’un diagnostic ou d’une hypothèse médicale. Le surdiagnostic mène au surtraitement et à la surprescription (souvent le point fort de l’iatrogénèse). Le point le plus fort est quand un médicament en nécessite un autre pour contrer les effets secondaires. La crise qui vient au sujet du monde médical et pharmaceutique risque d’être l’équivalent de la crise de confiance envers la Vatican. Les intérêts corporatistes et industriels sont en contradiction directe avec la santé de la population. C’est parfois aussi absurde que la complexité dans la rémunération des médecins. À d’autres moments, c’est pernicieux comme la crise des opioïdes qui fait de plus en plus de ravage dans la population[2] (sur cette question, une partie de la profession médicale reconnaît sa coresponsabilité).
Sur le plan collectif, il faut reprendre le contrôle de notre système de santé et des médicaments. Il faut valoriser le « non agir » qui est différent de l’inaction. La suite de cet article portera justement sur d’autres dérives et sur les pistes de solutions potentielles. Pour aller plus loin : -Je recommande les traductions du docteur Fernand Turcotte M. Hadler, Nortin, Le dernier des bien portants , PUL, 2008, 344 pages Welch, H. Gilbert, Le surdiagnostic , PUL, 2012,328 pages Vadeboncoeur, Alain, Désordonnance, Lux éditeur, 2017, 344 pages Pour comprendre l’essentiel en une seule entrevue sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=z3XJ-VxdwLE&index=2&t=1333s&list=PL4xbjtxi8p6S-qEdHttYguZ1qjk-vlRy0 Un article d’actualité qui va dans une direction similaire : Cornellier, Louis, «L’heure du grand ménage médical», Le Devoir, 9 décembre 2017, en ligne : http://www.ledevoir.com/culture/livres/514960/l-heure-du-grand-menage-medical, page consultée le 12 décembre 2017 [1] Blanchette, Josée, «Notre système de santé aux soins intensifs», 23 janvier 2015, Le Devoir, En ligne : http://www.ledevoir.com/non-classe/429648/notre-systeme-de-sante-aux-soins-intensifs Page consultée le 12 décembre 2017, [2] Robillard, Jean-Philippe, "Crise des opioïdes : Québec hausse son niveau de surveillance", Radio-Canada, 22 février 2017, Radio-Canada, En ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1018336/crise-opioides-quebec-hausse-niveau-surveillance-deces-colombie-britannique page consultée le 12 décembre 2017.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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