Pour rendre quelqu’un malade et anxieux, ma recommandation serait de le faire suivre quotidiennement par une équipe médicale. Tôt ou tard, les spécialistes vont trouver des problèmes qui vont justifier les interventions. Et une intervention médicale est souvent l’appel à d’autres interventions. Le paradoxe est le suivant: une partie des individus rêvent d’un suivi fréquent de la part du corps médical. L’esprit humain mesure très mal la qualité du lâcher-prise et de la non-intervention. Alors que nous avons la ferme impression que toutes les interventions sauvent les patients d’un mal probable, nous oublions parfois que la santé doit se mesurer dans la réalité et non par des victoires hypothétiques. Du cancer jusqu’à l’échec scolaire : la rage médicale Alors que la Société canadienne du cancer affirme qu’ « on prévoit que près de 1 Canadien sur 2 recevra un diagnostic de cancer au cours de sa vie, et une sur quatre en mourra »[1]. Certains docteurs questionnent ouvertement s’il est utile de diagnostiquer le cancer[2]. Outre le cancer de la prostate qui est un cas clair de surdiagnostic, les diagnostics de cancer de la thyroïde (avec un taux de survie de 95%) sont carrément remis en question. Une étude suggère même que 75% des diagnostics seraient faux[3]. Un diagnostic est un stigmate qui est porté pour le reste de sa vie (et qui vient souvent avec de l’anxiété). Même l’échec scolaire est maintenant l’objet d’une variété de jugements médicaux. À une autre époque, on émettait un jugement moral sur les individus : l’élève était un bon élève, un mauvais élève, un turbulent, un indiscipliné et les professeurs émettaient des jugements. Clairement, le système avait des limites et était parfois violent. Aujourd’hui l’élève turbulent est TDAH, dyslexique, dyspraxique, phobique, anxieux ou autre. Il est important de comprendre qu’un jugement médical reste un jugement et qu’il peut faire autant de tort que de faire la morale. Un jugement médical devient une limite à laquelle l’individu peut s’identifier pour le reste de sa vie[4]. Souvent le diagnostic provoque un réflexe de protection encore plus fort des parents et l’enfant s’enfonce plus loin dans le cycle. On médicalise donc de plus en plus l’enfance, la vieillesse et les écarts à la norme. Médicaments et contention chimique De la mauvaise recherche en santé, des produits dangereux en circulation, une population vieillissante qui nécessite toujours plus de soins, une plus grande résistance de la population aux antibiotiques, le prix trop élevé des médicaments et un gouvernement qui joue mal son rôle à travers des forces contradictoires. Le Québec est un paradis pour les subventions aux compagnies pharmaceutiques qui nous vendent les médicaments plus cher qu’ailleurs. On peut ajouter la contention chimique des ainés : c’est-à-dire qu’une large part des prescriptions en CHSLD servent à « contrôler l’agitation des personnes âgées et les comportements dérangeants »[5]. Les causes de la surmédicalisation de la vieillesse sont un manque d’effectifs, de ressources et le sentiment général d’être dépassé dans un contexte de soin. Depuis plusieurs années, la santé est le premier poste de dépense du Québec. La flambée des coûts de santé ne provient pas du vieillissement de la population, mais plutôt des campagnes de dépistage systématique[6] (cancers du sein, de la peau, de la prostate et du côlon). Sans compter le sacro-saint examen annuel ou la campagne de vaccin antigrippale annuelle (toujours un pas en arrière de la souche grippale visée). Le surdiagnostic a pris des proportions épidémiques, constatent les spécialistes. Il a englouti entre 158 et 226 milliards de dollars aux États-Unis en 2011, selon une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association. « Au Québec, cela pourrait correspondre à cinq milliards de dollars dépensés chaque année pour des examens et traitements qui n’apportent rien »[7] La question du souper de famille : « Si l’industrie de la santé est si néfaste, comment expliquer l’augmentation de l’espérance de vie? » L’augmentation de l’espérance de vie s’explique principalement par l’amélioration générale des conditions de vie. Une collectivité riche qui s’éduque contribue donc automatiquement à l’amélioration de l’espérance de vie, avec ou sans un complexe industriel de soins médicaux. Au Québec, quand on dit « santé », on entend « médecine ». Pourtant, précise Vadeboncoeur, cette dernière, si elle est importante, ne constitue qu’un élément dans le maintien de notre bien-être. Au XXe siècle, l’espérance de vie s’est allongée de 30 ans, mais seulement « 8 de ces 30 années sont imputables aux soins médicaux ».[8] Par ailleurs, comme je le mentionnais plus haut : les médicaments et les soins sont la troisième cause de mortalité. Des soins mesurés sont importants, des interventions systématiques vont nuire et coûter cher à la collectivité. Des solutions? Il est impératif que l’individu repense son rapport à la santé. Il faut également calmer l’hystérie collective devant la mort, la maladie et spécialement les maladies plus sérieuses. Plus qu’un locataire dans un corps qui va mal ou bien de temps à autre, il faut redevenir des propriétaires pour être spécialiste de son propre corps et de sa santé. Comprendre que chaque personne est un corps et qu’un organisme vivant fait tout ce qu’il peut pour survivre (incluant combattre et vaincre plusieurs pathologies comme le cancer au cours de son existence). Se décrisper un peu devant la maladie et la mort en comprenant l’évolution des maladies et apprendre à se faire confiance. Ça, c’est à titre individuel. Tôt ou tard il faut s’extirper de la médicalisation de l’ensemble des aspects de la vie des individus. Avant de consulter un docteur (quelques conseils de grand-mère qui sont plus utiles que bien des prescriptions) : -S’assurer de manger de la nourriture naturelle (transformée au minimum) dans une proportion décente. -S’hydrater adéquatement (avec de l’eau). -Avoir un repos fréquent et naturel (au moins 8 heures de sommeil par nuit). Il faut limiter les écrans avant la période de sommeil. -Bouger au moins 1 heure par jour (activité physique, marche, danse, entraînement). -Garder un « poids génétique » (voir le podcast #1 « Aimer son corps ») et accepter son corps. -Faire la paix avec l’idée que chacun doit mourir. -Si un problème persiste, alors il est sans doute souhaitable de consulter avec sagesse. [1] Société canadienne du cancer, Statistiques nationales sur le cancer en un coup d’œil, 2018, En ligne : http://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-101/canadian-cancer-statistics-publication/?region=qc, consultée le 22 décembre 2017. [2] Vadeboncoeur, Alain, "Faut-il dépister le cancer?", L’Actualité, 13 octobre 2017, En ligne : http://lactualite.com/sante-et-science/2017/10/13/faut-il-depister-le-cancer/ page consultée le 20 décembre 2017. [3] Préjet, Julie, "75% des diagnostics de cancer de la thyroïde au Canada seraient faux", Radio-Canada, 15 août 2017, En ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1050435/cancer-thyroide-diagnostic-sante-etude-recherche, page consultée le 19 décembre 2017. [4] Voir le billet sur ce blogue Tu es plus que tes limites. [5] Moisan, Mylène, "Des CHSLD accrocs aux pilules", Le Soleil, 26 juin 2015, En ligne : http://plus.lapresse.ca/screens/4fa6e7cb-7837-4a89-9893-382e7b6db4ff%7C_0.html, page consultée le 12 décembre 2017. [6] Blanchette, Josée, "Notre système de santé aux soins intensifs", 23 janvier 2015, Le Devoir, En ligne : http://www.ledevoir.com/non-classe/429648/notre-systeme-de-sante-aux-soins-intensifs Page consultée le 12 décembre 2017, [7] Borde, Valérie, "Halte au surdiagnostic", 12 septembre 2014, L’actualité, En ligne : http://lactualite.com/sante-et-science/2014/09/12/halte-au-surdiagnostic-2/, page consultée le 12 décembre 2017. [8] Cornellier, Louis, "L’heure du grand ménage médica"l, Le Devoir, 9 décembre 2017, En ligne : http://www.ledevoir.com/culture/livres/514960/l-heure-du-grand-menage-medical, consultée le 12 décembre 2017.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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