Partie 2 : La méthode russe Une fois que l'on convient que le principal ingrédient est la constance, il faut trouver des stratégies pour apprécier et progresser dans l'entraînement. Trouver la zone Pour que l’activité physique soit intéressante et le demeure, il faut trouver une manière d’entrer dans la fameuse « zone ». On appelle souvent la zone le « flow state, le tunnel, les moments de grâce » et ainsi de suite. C’est un moment pendant lequel le rapport au temps est altéré de manière importante. Plusieurs ont parfois l’impression d’être possédés, de flotter, de traverser sans encombre les obstacles et le terrain. La recherche est plutôt claire sur ce qui produit cet état. Essentiellement, il s’agit d’un équilibre entre une demande physique (un « challenge ») et l’ennui (le « boredom »). La zone (le « flow channel ») se trouve exactement entre l’ennui et l'importante demande physique. Une trop grande demande produit un état de stress ou d’anxiété dont il peut être difficile de récupérer. Une trop petite demande provoque l’ennui. Voici l’illustration (voir les références) qui représente l'état qui est recherché : Ce principe est vrai dans toutes les activités de votre vie. Si je demande à un groupe d’élèves de me parler d’une journée de travail dont ils sont très fiers, ils vont tous relater une variation de la journée suivante : « Une journée difficile pendant laquelle je croyais être incapable de m’en sortir, j’ai soudain trouvé des ressources en moi pour finalement surmonter des épreuves en me sentant vraiment bien ». Et si je demande aux étudiantes et étudiants de décrire la journée la plus souhaitable ? La très forte majorité propose une journée tranquille dans laquelle ils sont sous-stimulés et tombent dans l’ennui… Rechercher « la zone » c’est se permettre de rester en amour avec l’activité physique ou le travail et d’en faire une partie de sa vie. Le principe du « grease the groove »[1] (huiler la machine) Il s’agit de répéter le même mouvement souvent, sans jamais rechercher la fatigue. L’idée est tout simplement de rechercher la compétence en créant de nouvelles connexions neuromusculaires. C’est un peu comme répéter une chorégraphie pour faire un spectacle. La compétence se développe par l’entremise de la répétition. Après un grand nombre de pratiques qui sont des réussites, le corps est capable de reproduire les mouvements avec une plus grande facilité. C’est souvent le principe contraire qui est proposé aux personnes qui commencent l’entraînement. : on demande de rechercher l’échec et la grande fatigue. Encore une fois, pour développer une habitude il est préférable de se sentir confiant plutôt que de répéter les échecs. C’est donc par exemple de trouver un mouvement que l’on peut répéter 10 fois tout au plus et de faire 2 ou 3 répétitions plusieurs fois par jour. Après seulement quelques jours, la compétence dans le mouvement, la confiance et le sentiment de se développer sans trop d’efforts seront plus grands. Après un certain temps, l’effort maximal va s’accroître et la progression sera plus grande. Un programme simple serait donc ainsi : 3 à 5 répétitions parfaites du mouvement que l’on vise plusieurs fois par jour (par exemple matin, midi et soir). Il est intéressant de constater que les enfants utilisent intuitivement une méthode similaire par l’entremise des jeux physiques. Plusieurs enfants font 3 ou 4 pirouettes tous les jours jusqu’à soudainement être capable de faire des roues latérales sans arrêt. La progression par le volume Sur une échelle de temps, le volume d’entraînement est souvent plus important que l’intensité. Comparons deux jeunes hommes fictifs, disons deux étudiants de mon cours de sport. Les deux cherchent à devenir très compétents pour faire des tractions à la barre (« des pullups »). Joey est costaud, il peut faire 12 belles répétitions solides avec une forme parfaite. 12 répétitions est son maximum. Lors de sa séance d’entraînement, il repousse ses limites comme si le diable est à ses trousses et exécute 12 répétitions! Bravo! Pendant 3 jours, Joey est ankylosé et fait peu d’activités en espérant s’entrainer de nouveau. Par contre, la simple idée d’un entraînement le taxe mentalement. Il a éprouvé un stress important et doit se reposer. Adrien s’est toujours trouvé un peu chétif. Il s’entraine peu et rechigne à l’idée de s’épuiser à faire des répétitions. On lui propose un programme très simple. Le petit Adrien est incapable de faire plus que 5 tractions à la barre, c’est son maximum. Même si on menace sa vie, il est strictement incapable de dépasser 5 répétitions. On le lance dans un programme simple. Il fait 2 répétitions tous les jours de la semaine pendant une semaine, la dernière journée il est capable d’en faire 3. Faisons le calcul : Si ce que raconte Adrien est vrai, il a fait plus de répétitions que notre costaud cette semaine. Je sais, je sais, 12 d’un coup est beaucoup plus difficile que 3, mais Adrien veut devenir vraiment fort et non pas faire des spectacles. La semaine suivante, nos deux athlètes se dépassent. Joey est en feu et fait 12 solides répétitions suivies de 11. (un total de 23 tractions à la barre) Adrien lui, continue comme une fourmi : 3/3/3/4/4/4/4. (25 répétitions) Les semaines passent et si Adrien poursuit ses efforts il est probable que sa progression ressemble à ceci : Adrien : 4/4/4/4/5/5/repos (24 répétitions) Adrien : 5/5/6/6/6/7/repos (35 répétitions) Adrien : 7/7/7/8/8/8/9 (54 répétitions) Même si le petit Adrien rencontre quelques reculs, sa constance va finir par lui donner une force absolument improbable. Si Joey n’est pas constant dans ses efforts, je suis prêt à parier que notre Adrien sera un adversaire de taille en seulement quelques mois. Sur une échelle de temps, le volume d’entraînement est plus important que l’intensité. Avec cette méthode, il est improbable que notre Adrien développe beaucoup de masse musculaire visible (les fameux muscles de plage). Ce qu’il risque de gagner est un sentiment de compétence et une force relative qui appartient à une autre époque. Conclusion : la force du fermier Ici se trouve donc la réponse à une question commune des étudiantes et étudiants de mon cours sur le sport : pourquoi les fermiers, avec une relativement petite masse musculaire, sont très forts? Les fermiers s’entraînent avec un volume important, tout comme un maçon ou une personne sur un chantier de construction. Le volume d’entraînement ( la journée de travail) et le repos très court (une ferme ne s’arrête jamais) font en sorte que les muscles s’adaptent sans nécessairement prendre beaucoup de volume. C’est également l’objectif de beaucoup de combattants: être capable de ne pas changer de catégorie de poids tout en déployant plus de force. Avoir la force du fermier est certainement un objectif aussi noble que les autres. Références et sources PODCAST La plupart des notions des deux derniers articles se retrouvent ici : ROGAN, Joe, JRE podcast épisode #32 avec Firas Zahabi, 19 juin 2018, en ligne : http://podcasts.joerogan.net/podcasts/jre-mma-show-32-with-firas-zahabi, page consultée le 2 septembre 2019 Pour éviter un épisode de 3 heures, voici un résumé des propos de Firas Zahabi qui tient en 20 minutes : www.youtube.com/watch?v=_fbCcWyYthQ Livres CSIKSZENTMIHALYI, Mihaly, Flow : the psychology of optimal experience, Harper Perrenial Modern classics, 2008, 336 pages. Note : le concept du “flow” existe depuis plus longtemps. TSATSOULINE, Pavel, The naked warrior, Dragon door publications, 2003, 218 pages. [1] Le concept de grease the groove nous vient de Pavel Tsatsouline, l’homme responsable de l’introduction du kettlebell en Amérique.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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