Le 16 septembre dernier, j’ai eu le privilège de participer à l’activité « On papote, grignote et sirote avec… » l’unique Mickaël Bergeron. C’est un journaliste, chroniqueur et auteur de plusieurs livres dont le livre La vie en gros, regard sur la société et le poids[i]. L’ouvrage « La vie en gros » permet adéquatement de réhabiliter l’utilisation du mot « gros » pour qualifier les corps. Je recommande ce livre parce que c’est un exercice d’humanité très touchant pour apprécier les réalités vécues par les grosses personnes dans un climat de grossophobie. Le livre alterne avec une grande adresse entre le registre émotif, les confidences, les statistiques médicales et un débat plus large scientifique et social. Je dois admettre que je suis très impressionné par cette personne. Monsieur Bergeron est sensible, intelligent, bienveillant et possède une chaleur humaine qui fait en sorte que l’on est très à l’aise de nous confier. En face de moi j’avais à faire à ce que je considère un géant sur la question de la diversité corporelle, du rapport au corps et de la grossophobie. Dernière phrase du « fanboy » en moi : je crois que si jamais il fait un cycle avec des entrevues de fond, il pourrait bien devenir un incontournable de sa profession au Québec. Je tiens également ici à souligner l’excellente animation de madame Mylène Rioux, hautement pertinente avec ses questions et très professionnelle dans son écoute. Il va sans dire que tout le mérite de l'activité et de son organisation va à l'équipe d'Arrimage Estrie que l'on peut retrouver ici: arrimageestrie.com/ À lire sans plus attendre : la vie en gros Un message pour la collectivité Je crois que si je pouvais conclure sur l’activité du 16 septembre dernier, je passerais le message que je tente toujours de passer au sujet des étiquettes, des discriminations et des rejets vécus à cause de la différenciation. Au fond, la cause de la diversité corporelle pour moi est toujours la même. Je garde le sentiment très fort que ma collectivité se prive du potentiel d’une partie de la population. Chaque fois qu’une personne différente refuse de s’exprimer, chaque fois qu’elle regarde le plancher, chaque fois qu’elle passe son tour, ne joue pas à un jeu, s’immobilise de corps ou d’esprit, s’efface de la place publique, se cache pour exister, s’étouffe ou s’éteint en silence, mange en cachette, se prive ou se punie pour ce qu’elle est fondamentalement, chaque fois qu’un enfant se fane à cause du regard sur son corps, chaque fois qu’une personne arrête d’explorer ses limites parce qu’elle a intériorisé le regard oppressant de la normalité ma collectivité se prive d’un potentiel qui pourrait bien changer le monde pour le mieux. Autrement dit on ne devrait pas attendre de recevoir la permission d’exister pour se découvrir, se réaliser et contribuer. Chacun d’entre nous vient au monde avec une lumière, un cadeau, un talent ou des capacités. Chaque vie qui n’est pas explorée est un gaspillage inestimable pour notre monde. Et le monde qui vient a grand besoin de toutes les idées et de toute la richesse pour faire face aux défis. Retour sur certains propos Si Mickaël Bergeron semble parfait dans sa parole, c’est beaucoup moins mon cas. Cette personne me donne l’impression que du fond de sa souffrance elle a trouvé des mots brillants pour éclairer le monde. Lors de notre discussion, j’ai ouvert sur mes réserves actuelles à qualifier des gens de grossophobes, de racistes ou de sexistes. Je tente maladroitement de faire une distinction que je juge utile lorsque vient le temps d’établir un dialogue. Je crois encore que quand une discussion vise la prise de conscience, l’échange et la sensibilisation, les étiquettes éloignent les personnes et brisent les échanges. En 2021, la prise de conscience sur les formes d’oppression multiple que vivent les personnes, sur les injustices, les oppressions et les privilèges provoquent une pluie d’étiquettes. On veut provoquer la prise de conscience et c’est une bonne chose. Le bémol vient lorsque la prise de conscience collective s’accompagne des étiquettes que l’on accole rapidement aux interlocuteurs. Un acteur social qui souffre risque de crier sa peine dans l’étape de la dénonciation des injustices. Ceci sape souvent le dialogue et est interprété par la droite conservatrice comme le double phénomène du « novlangue » et du sentiment du « on ne peut plus rien dire ». Les penseurs conservateurs accusent donc la nouvelle gauche d’être « woke » et une partie de la nouvelle gauche taxe les non-alliés d’étiquettes multiple (grossophobe, appropriation culturelle, transphobie, sexisme, racisme, discrimination systémique, etc.) Les deux tendances causent une grande réserve de ma part dans mes prises de parole publique. Je passe pour quelqu’un un peu à droite dans les groupes de gauche et un gauchiste devant les gens plus à droite. Et pourtant tout ce que je veux c’est ceci : dans le cadre d’un dialogue pédagogique pour provoquer une prise de conscience (comme en classe), j’ai la conviction qu’il est fondamental de distinguer la personne des propos. Ainsi, un propos ou une idée peut être grossophobe, discriminatoire, raciste, homophobe sans que la personne soit nécessaire « grossophobe, discriminatoire, raciste ou homophobe ». Je ne nie pas qu’il existe des personnes clairement grossophobes ou racistes. Règle générale je constate que c’est la culture qui l’est, une partie des systèmes ambiants et qu’une majorité de personnes sont juste inconscientes du côté vexatoire ou chargé de certaines idées. En classe si j’explique à une personne « vos propos me semblent racistes et s’ils sont répétés vous pouvez passer pour raciste » ceci provoque plus facilement l’ouverture que de taxer la personne de « raciste » en expliquant que « vos propos n’ont pas leur place ici ». Évidemment, j’ai le privilège d’enseigner et de pouvoir animer plusieurs heures consécutives d’échanges. Avec Arrimage Estrie, j’ai parfois le privilège de participer à des discussions et des échanges qui apportent aussi un peu de lumière. J’espère aider à éclairer le monde, à donner une voix à ceux et celles qui l’avaient perdu et de donner la permission à chaque personne que je rencontre d’exister. En attendant : merci à Arrimage pour cette belle opportunité et à Mickaël Bergeron pour son ouverture. [1] BERGERON, Mickaël, La vie en gros, regard sur la société et le poids, Éditions sommes toutes, 2019, 247 pages.
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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