Plus je vieillis, plus je considère tout ce que l’on perd en excluant les femmes. Mes conclusions me troublent de plus en plus. Il arrive que je cherche des modèles de courage ou de ténacité. Je cherche parfois à travers l’histoire et les contes. Le défi est que les exemples dans la culture populaire sont presque exclusivement masculins.
Le sentiment demeure que ma collectivité passe à côté de quelque chose d’essentiel. En cherchant derrière les modèles masculins les plus virils, je trouve presque sans exception une contribution féminine pour le développement de l’endurance, du courage et de la ténacité. J’ai de la difficulté à trouver des exceptions. C'est cette piste que je vais suivre un instant. « Le courage supérieur réside, il me semble, dans ce qui est féminin » [ 1 ] Une simple phrase qui me percute de plein fouet. Dans un livre que j’adore. Le roman s’intitule Les murailles de feu de Steven Pressfield et il raconte le sacrifice des 300 spartiates et du roi Léonidas pour stopper l’innombrable armée de l’empire perse. Ce qui est étonnant de cette lecture est toute la sensibilité pour faire ressortir l’amour, le courage et la dignité devant une fin inévitable. Pour celles et ceux qui veulent se garder toutes les surprises d’une lecture, il est possible de s’arrêter ici. C’est donc l’histoire du roi Léonidas et des 300 qui se sacrifient dans la bataille des Thermopyles pour insuffler un courage sans précédent à toute la Grèce. C’est une histoire virile et sauvage, avec des massacres explicites et une culture militaire très genrée (les hommes à la guerre et les femmes responsables du domaine familial). Spontanément, on pourrait croire que l’auteur en profite pour valoriser l’aspect romantique des frères d’armes en y portant un regard très masculin. C’est en partie véridique, mais l’auteur affirme clairement que la force inégalée de Sparte repose autant sur les femmes que sur les hommes. Sinon plus sur les femmes... Et on découvre quelques trésors concernant la contribution féminine. Au fil de l’histoire, on révèle que le secret de la puissance militaire inégalée de Sparte repose sur la forme la plus élevée du courage qui est transmise par les mères et les femmes. Si les guerriers sont poussés par une vie de discipline et un entraînement colossal, tous reconnaissent que c’est le courage qui fait toute la différence au combat. C’est cet ingrédient qui assure à chacun d’être à la hauteur au moment fatidique. Dans un passage spécialement touchant, Léonidas révèle à une mère spartiate la raison derrière le choix des 300 guerriers pour la mission suicide. La mère est confuse parce que le roi semble faire un choix très arbitraire des soldats. L’unité d’élite mêle des jeunes et des aguerris, dont plusieurs qui sont parents. Cette mère doit donc regarder partir son mari et son fils vers une mort certaine. Elle confronte donc son roi dans un entretien qui est une perle. Le roi explique qu’il a choisi les 300 sacrifiés sur la base des femmes de leur famille. « Quand la bataille sera finie et que les trois cents seront morts, la Grèce tournera son regard vers les spartiates pour savoir comment ils endurent l’épreuve. Mais qui regarderont-ils? Toi. Toi et les autres mères et épouses, sœurs et filles des héros. […] Si vous gardez la tête haute et l’œil sec, et que non seulement vous supportez votre deuil, mais que vous méprisez la douleur et ne considérez que l’honneur, alors Sparte tiendra. Et toute l’Hellade se rangera derrière elle. » [ 2 ] Le courage des hommes serait une affaire relativement brève, car il passe par la mort à travers une épreuve insurmontable. Le courage des femmes est une épreuve d’endurance, car il passe par une vie de dignité malgré les épreuves insurmontables. Cette société, aussi barbare soit-elle dans ses pratiques, propose une complémentarité dénuée de tout mépris. Des hommes et des femmes parfaitement complémentaires devant la vie et la mort. Une combinaison de contributions différentes pour le bien commun. C’est avec un cœur plein d’amour que les jeunes spartiates marchent vers l’ennemi et cet amour leur vient directement des femmes. Elles ont le courage d’accoucher, d’éduquer, de supporter les décisions d’une guerre improbable. Elles ont la force de ne jamais se plaindre et de survivre aux enfants qui se sacrifient. Un guerrier explique que le courage masculin lui semble plus « naturel » car ce dernier passe par de l’agression externe. Il explique que le courage des femmes est contre nature, car elles doivent passer par une très forte abnégation de soi pour supporter la cité. Bref, le sacrifice des femmes est inestimable. En refermant le livre, je me dis qu’à s’aliéner (se mettre à dos, abandonner et nier la contribution de) la moitié de l’humanité, nous perdons également la beauté de notre propre contribution, aussi virile soit-elle. Je sais que j’écris ses lignes à partir d'un point privilégié: je suis un homme avec une tonne d’avantages. Je sais également que deux pères ou deux mères peuvent correctement éduquer des enfants. Tout ce que j’affirme ici c’est que notre société se prive du meilleur en sous-valorisant les contributions féminines. Nous avons besoin de modèles féminins forts. Il faut aller au-delà de la simple égalité : parce que la contribution des femmes peut prendre des formes nouvelles et possiblement des formes meilleures que les contributions masculines. D’autres hommes qui témoignent de la force des femmes. D’autres hommes, sans être ouvertement des féministes, comprennent la contribution des femmes dans la construction des hommes d’une société. C’est en partie ce que tentait de montrer Gorges Miller dans sa dernière version de Mad Max (qui a tant fait réagir les masculinistes). Je ne crois pas que le film est féministe, mais beaucoup de femmes sont impliquées dans le film (l’écriture, les costumes, la réalisation). Miller tente de répondre à la question : qu’arriverait-il aux hommes si les femmes sont réduites à des possessions qui servent la procréation dans un environnement post apocalyptique? Voici quelqu’un qui croit que le film est féministe : madame.lefigaro.fr/celebrites/les-cinq-raisons-qui-font-de-mad-max-fury-road-un-film-feministe-150515-96568 Voici quelqu’un qui pense le contraire (c’est plus proche de mon opinion): www.newstatesman.com/culture/2015/05/no-mad-max-fury-road-not-feminist-masterpiece-s-ok Le puissant CT Fletcher, qui répète sans cesse ISYMS (It still your motherf***** set) un mantra des gens qui s’entraînent sans relâche. Dans son viédo il explique qu’il tire son endurance directement de sa mère qui ne s’est jamais plaint de sa vie. www.youtube.com/watch?v=MkiNCx3wiuI David Goggins (voir les références du premier billet sur le blogue), tire une partie de son inspiration de sa mère. [1] Pressfield, Steven, Les murailles de feu, L'archipel, 1998 [2001], p.271 [2] ibid.,p.419
1 Commentaire
Une femme
10/15/2017 05:24:21 am
Elles ont aussi le courage de surmonter les blessures (psycho/physique) que les hommes leurs infliges... !
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AuteurJ'essaie d'inspirer chaque personne que je rencontre. À défaut, je la faire rire ou je l'ignore. Je suis professeur de sociologie au Cégep de Granby depuis quelques années. J'habite également mon corps et ne vois aucune contradiction à combiner la force de l'esprit et celle du corps. Dans le passé, j'ai occupé la fonction de représentant des organismes communautaires de l'Estrie. Mon objectif est de favoriser une prise de conscience par l'entremise de ma discipline et de mes expériences. Archives
Octobre 2024
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